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Accueillir et soigner: le cas de Omar

Requérant d’asile, mineur, tuberculeux

Omar est Ethiopien, requérant d’asile et mineur. Après son enregistrement dans un centre fédéral, il a été envoyé à Broc, dans le canton de Fribourg. Depuis six mois, le centre d’hébergement Les Passereaux loge, en plus des familles, des mineurs non accompagnés (MNA). Leur accueil constitue un véritable défi pour l’équipe d’accompagnement du foyer. Leur nombre a rapidement augmenté et la plupart sont, comme Omar, trop âgés pour être scolarisés.
Alexandra Wicht, assistante sociale, a été engagée pour s’occuper des MNA à Broc. Elle se sent souvent démunie: seule pour dix-huit jeunes, elle cadre, elle occupe, elle surveille. Mais, en théorie, elle n’éduque pas. Cette tâche ne fait pas partie du mandat global que l’entreprise ORS AG a signé avec le canton Fribourg pour la prise en charge des requérants d’asile.

Créée en 1992, ORS Service AG (Organisation für Regie und Spezialaufträge) est leader sur le marché de l’asile. La société zurichoise génère près de 100 millions de francs de chiffre d’affaires, principalement en Suisse, mais aussi en Autriche et en Allemagne. Elle emploie 600 collaborateurs en Suisse, où elle loge quelque 6000 requérants dans 14 centres fédéraux, 35 centres cantonaux et 450 appartements. Les cantons d’Argovie, de Berne, de Bâle-Ville, de Fribourg, de Soleure et de Zurich, ainsi que plus de 40 communes lui ont confié des mandats.
Fribourg est le seul canton à avoir proposé à ORS Services AG un mandat global, comprenant l’accueil, le logement, la formation, l’information et la santé. L’entreprise y a repris en 2008 le mandat qu’effectuait, depuis 25 ans, la Croix-Rouge. Cela comprenait le réseau de santé, qui a soigné Omar.

Un réseau de soin pour les requérants

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Le jeune Ethiopien souffre de la tuberculose. Il ne le sait que depuis quelques semaines. «J’avais perdu pas mal de poids, je toussais et je me sentais fatigué. C’est tout.» Après une consultation chez un médecin généraliste, il a directement pris la direction de l’Hôpital cantonal, à Fribourg. Là, des analyses complémentaires – prélèvements de salive, d’urine et de selles, radios et scanner – ont confirmé les soupçons. Le jeune Ethiopien souffre d’une forme de tuberculose difficile à détecter, mais non contagieuse. Il a pu rentrer au Foyer des Passereaux après une dizaine de jours. Sinon, l’hospitalisation aurait duré deux semaines.
Au centre fédéral d’enregistrement et de procédure, un mois avant cela, le questionnaire médical obligatoire n’avait rien révélé. Depuis 2006, tous les requérants d’asile sont soumis à une enquête écrite, dans les cinq jours suivant leur arrivée. Un logiciel, disponible en 32 langues, permet de répondre à une série de questions. L’objectif est de détecter les quelque 6% de requérants souffrant de tuberculose. Mais 90% des malades passent au travers des mailles du filet. Ils ne seront diagnostiqués qu’à leur arrivée dans les centres d’hébergement cantonaux.

Quatre infirmiers pour 2000 dossiers

Pour le mineur non accompagné éthiopien, la prise en charge médicale a été accélérée. Mais tous les nouveaux venus se rendent chez un médecin référant pour une prise de sang. Le praticien vient au foyer deux semaines après, pour leur présenter leurs résultats. Chaque résident effectue aussi une anamnèse médicale avec l’infirmier du centre et se voit proposer les vaccins standards. Durant son séjour, il peut ensuite se rendre librement aux consultations hebdomadaires. «Nous offrons, au minimum, deux demi-jours de présence infirmière dans chaque institution», souligne Marie Guisolan, coordinatrice fribourgeoise pour les questions d’asile et des réfugiés. «Dans les foyers, mais aussi à Bulle, à Romont et à Fribourg, pour les réfugiés vivant en appartement.» Des traducteurs sont présents si nécessaire.
Quatre infirmiers – 3,5 équivalents plein-temps – s’occupent de quelque 2000 requérants pour le compte d’ORS Service AG. Cela semble peu, mais, selon Stéphane Buchs, responsable du foyer des Passereaux, le système fonctionne: «A Neuchâtel, par exemple, il n’y a pas de permanences médicales dans les centres. Dès qu’un résident a besoin de soins, son assistant social lui prend un rendez-vous chez le médecin.» Le réseau fribourgeois soigne et filtre. Il a été développé à la demande des médecins généralistes du canton. Ces derniers ne voulaient plus voir débarquer dans leurs cabinets, pour un oui ou un non, des réfugiés qu’ils ne comprenaient pas. Josepha Pasche, infirmière, apprécie la diversité de son travail, malgré ces importantes contraintes.

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Josepha Pasche : Infirmière au centre d'hébergement de Broc

Tous à l’assurance de base

Tous les demandeurs d’asile bénéficient des prestations de base définies par la Loi sur l’assurance maladie. Les primes, les franchises et les quotes-parts sont payées par le forfait que la Confédération verse aux cantons pour l’accueil de ces migrants. «A Fribourg, ce montant s’élève à 1475 fr. 34 par personne et par mois, note Marie Guisolan. Dans le calcul fédéral, qui tient notamment compte du coût de la vie dans chaque canton, les dépenses de santé comptent pour 378 fr. 75.» Afin de limiter les frais administratifs, l’Etat de Fribourg a confié l’ensemble des dossiers à une seule caisse maladie, la Visana.
Les soins dentaires d’urgence sont couverts hors assurance, jusqu’à 500 fr. par année. Au-delà de ce montant, une demande est adressée au médecin-dentiste-conseil, qui décide d’accorder ou non les soins. Le canton doit encore assumer le coût des «moyens auxiliaires» que l’AI ne rembourse pas: prothèses, appareils auditifs, fauteuils roulants… Car la règle est simple: si la personne avait un handicap avant son arrivée en Suisse ou si elle n’y réside pas depuis au moins dix ans, l’AI n’entre pas en matière.

Quand la politique s’en mêle

Un consensus existe à Fribourg sur l’utilité du réseau de santé. Même si certains critiquent son inertie, comme Bernard Huwiler, responsable de l’association Osons l’accueil et généraliste à la retraite: « La prise en charge est bonne. Mais en passant par l’infirmier du réseau, il y a des attentes de trois, dix, voire quinze jours pour obtenir un rendez-vous chez un médecin. »
La gestion de l’accueil fait, elle, bien plus débat. D’autant que ORS Service AG a été éclaboussée, ces dernières années, par quelques scandales. A la suite de témoignages et d’articles de presse, le monde politique fribourgeois s’est notamment ému du sort des mineurs non accompagnés. Leur proportion parmi les réfugiés a rapidement augmenté et le mandat négocié avec la société n’est pas adapté à leurs besoins. L’engagement de quelques assistantes sociales est loin de suffire.

Nombre de requérants d’asile mineurs non accompagnés en Suisse
(Classés selon l’âge déclaré lors du dépôt de la demande)

Deux députées socialistes ont interpellé le Gouvernement à ce sujet, le 21 mars dernier: « Nous sommes très inquiètes par la prise en charge, que nous estimons nettement insuffisante. Est-ce que l’ORS remplit complètement son mandat de prestations? Est-ce que des sanctions sont prévues en cas de non-respect du celui-ci? »
En plus du contrôle de l’entreprise privée, le gouvernement devra répondre de son rôle de curateur. Les MNA sont en effet sous la responsabilité du Service cantonal et de la jeunesse. « Ce service est en sous-dotation de personnel et, vu le gel des postes de travail au sein de l’Etat, la situation est bloquée », déplorent les deux élues. Le Conseil d’Etat a légalement un mois pour rendre réponse et justifier sa position.

Texte, son et vidéo: Xavier Schaller
Photos: Chloé Lambert et ORS
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