Le cancer du sein est la première cause de mortalité chez les femmes entre 40 et 50 ans. Si de nos jours, la mammographie est la méthode proposée à toute la population féminine, il existe une autre solution, plus ciblée: le dépistage génétique. Une méthode découverte dans les années 1990 qui sert à dévoiler des mutations de gènes chez les patients.
À 43 ans, la vie de Lorelai* va être bouleversée. Elle est à la recherche d’une maladie génétique ravageuse au sein de sa famille. Elle décide donc de prendre les devants et opte pour la prise de sang. Mais sa détermination sera lourde de conséquences. Avec près de 80% de chance de développer un jour un cancer, son choix est fait. « On m’a dit que j’étais éligible pour le test alors je n’ai pas réfléchi, j’y suis allée. J’ai été étonnée par la rapidité des événements, je n’étais pas du tout prête pour ça.» Elle choisit le dépistage génétique du BRCA1 et BRCA2 (Breast Cancer). S’il s’avère positif, il reste une bonne alternative pour éviter un éventuel cancer.
Le dépistage génétique est un moyen d’anticiper certaines maladies génétiques graves. Dans le cadre du dépistage des gènes BRCA1 et BRCA2, cette pratique a pour but de détecter un gène défaillant pouvant mener au cancer du sein et des ovaires. Et pour éviter ces anomalies, des tests sont proposés à certains patients, selon une liste de critères.
En vidéo – Lorelai raconte son diagnostic positif au gène BRCA2 suite à sa prise de sang
Après l’annonce du résultat de son test positif, Lorelai se retrouve face à un dilemme moral entre des examens réguliers ou se faire opérer. Mais elle met plusieurs mois avant de prendre une décision qui sera définitive. Sa famille, tant les hommes que les femmes, sont touchés de près par certaines maladies. Elle avait donc pressenti une éventuelle maladie. Les choses étaient maintenant claires pour elle. Encore sous le choc en apprenant la nouvelle du test positif, elle pensait rendre service à sa famille en l’annonçant le plus rapidement possible.
En audio – Lorelai annonce à sa famille la nouvelle de son test positif
Un test de dépistage pour tout le monde, mais surtout recommandé aux personnes affectées par des prédispositions génétiques: Lorelai répond à ces critères. En Suisse, selon la Ligue du cancer, environ 3’000 femmes sont conseillées chaque année et près de 1’500 sont dépistées selon différents éléments.
Selon la Ligue du cancer et l’OFS, 6’200 nouveaux cas de cancer du sein ont été recensés en Suisse en 2020, contre 5’300 il y a dix ans. Toutefois, le taux de mortalité est en baisse, avec 85% de chance de survie à 5 ans contre 69% en 2010. Les raisons ? Un meilleur dépistage et un meilleur suivi.
Cinq à dix pourcents de ces cancers du sein sont liés à des prédispositions génétiques. Le dépistage de ce type, apparu dans les années 2000 notamment grâce à l’actrice américaine Angelina Jolie, est un bilan qui permet de découvrir une mutation génétique. Cette analyse est réalisée à partir d’une prise de sang et va permettre de rechercher une mutation dans un gène qui devient déficient et augmente le risque de développer un jour un cancer.
La docteure Sindy Monnier, gynécologue obstétrique à la Clinique des Grangettes à Genève et spécialisée en chirurgie du sein, connait bien ces deux gènes, le BRCA1 et BRCA2 (Breast Cancer), à l’origine du cancer du sein et des ovaires. Un échantillon de 10 gènes est analysé chez la patiente pour déterminer si, un jour, elle risque de développer la maladie.
Infographie – Panel des gènes BRCA1 et BRCA2
Ce dépistage est aujourd’hui très réglementé en Suisse. Un généticien délivre une prescription et refait l’arbre généalogique de la patiente. Un calcul de risques est ensuite réalisé pour que le médecin s’assure qu’il y ait un remboursement de la part des assurances. Un dépistage génétique coûte aujourd’hui près de 4’000 francs. Une fois le consentement signé, la patiente donne son sang puis reçoit ses résultats deux à trois semaines plus tard.
Un dépistage proposé sous trois conditions
Une femme positive au test BRCA aura 60 à 80% de chance de développer un cancer. Pour pouvoir participer au test génétique, la personne doit répondre à plusieurs critères. Le premier étant l’anamnèse familiale, soit des antécédents familiaux. C’est-à-dire qu’un cancer du sein ou des ovaires s’est déclaré dans chaque génération. C’est le cas d’Émilie*, patiente de 35 ans qui a réalisé il y a quatre ans, un test BRCA1.
En vidéo – Médecin et chirurgienne, Dre. Sindy Monnier détermine à qui sont proposés ces tests
Avec 50% de probabilité d’être atteinte de cette anomalie génétique, elle s’attendait à ce résultat, car de nombreux cas de cancers du sein et des ovaires s’étaient déclarés dans sa famille, et tous se sont avérés mortels. «Ne pas faire ce test, c’est un peu se voiler la face», explique-t-elle.
Elle aurait même souhaité en parler avant, autour d’elle, à ses proches, pour peut-être « sauver » des membres de sa famille. Mais la doctoresse Sindy Monnier a été claire à ce sujet :
Il faut avoir au moins 18 ans et une certaine maturité pour franchir le pas. Je conseillerais même de le faire autour des 25 ans
Dre. Sindy Monnier, médecin et chirurgienne à la Clinique des Grangettes
À la suite de ce test positif, Emilie rencontre son compagnon, avec lequel elle souhaite fonder une famille. Mais en février 2018, quelques mois après le résultat du test, elle décide de subir une mastectomie prophylactique (ablation des deux seins). Un choix lourd de conséquences puisqu’elle ne pourra plus allaiter. «Je ne regrette absolument pas ce choix aujourd’hui», explique Emilie. «Les patientes choisissent de plus en plus une mastectomie qu’une surveillance, précise Sindy Monnier. Nous avons une spécialisation dans ce domaine avec un travail multidisciplinaire. Nous avons évolué dans les techniques. Je pense que le comportement des patientes a changé, elles sont plus impliquées dans leur traitement et leurs décisions. Elles sont souvent mieux informées et plus ouvertes.»
Le deuxième critère concerne les patientes qui présentent déjà des métastases et qui développent un cancer du sein appelé triple négatif. Ce type de cancer constitue un groupe de tumeurs caractérisés par l’absence de récepteurs hormonaux (progestérone et œstrogènes). Un test est donc automatiquement proposé à ces femmes pour déterminer la cause de ce cancer. La Dr. Sindy Monnier insiste sur un point essentiel : «il est important de faire comprendre à la patiente que c’est bien son choix ou non de le savoir. Il est également très important d’avoir des garde-fous, et ça passe par un généticien », explique-t-elle. «On n’annonce jamais le résultat par téléphone, la personne ne doit pas recevoir ses résultats toute seule à la maison, on ne sait pas comment elle va réagir.»
Dre. Sindy Monnier, médecin et chirurgienne à la Clinique des Grangettes
Comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête, un résultat positif peut entraîner toutes sortes de réactions chez les patientes. «Certaines femmes vont être maximalistes et tout enlever (les trompes de Fallope, les seins voire les ovaires) d’autres seront fatalistes et opteront pour la surveillance tous les 6 mois.»
Le dernier critère de sélection correspond à l’origine ethnique. Certains types de population comme en Pologne, en Israël et aux États-Unis seraient davantage confrontés à cette mutation génétique. Selon plusieurs études dont la Revue Médicale Suisse, près de 2% de la population juive ashkénaze serait atteinte par cette mutation génétique.
C’est le cas de Lorelai, qui s’est fait dépister en mai 2021. Contrairement à Émilie, elle n’a aucun antécédent familial de cancer. Mais du côté maternel sévit une très méchante maladie génétique, dont elle voulait connaitre la cause. À 35 ans, après avoir dans un premier temps abandonné ses recherches autour des maladies génétiques, elle retourne voir Sindy Monnier quelques années plus tard, avec de nouveaux doutes et demande à faire la prise de sang. Le résultat est sans appel : elle est atteinte du gène BRCA2. «Sur le moment, c’est le déni qui prend le dessus. On y voit le positif : quelle chance de détecter ce problème maintenant, et quel soulagement de pouvoir se faire opérer pour oublier cette mauvaise nouvelle. De toute façon je ne voulais plus d’enfant». Mais les rendez-vous avec le gynécologue et le plasticien ont rapidement pris une autre tournure dans l’esprit de Lorelai. Elle est opérée dans une clinique genevoise par son docteur et chirurgienne, Sindy Monnier.
Lorelai, patiente de 43 ans et opérée en janvier 2022
Après avoir subit une mastectomie prophylactique et annexectomie (retrait des trompes et des ovaires), la reconstruction et le prix personnel à payer au niveau de la lourdeur des opérations, elle se rend compte que ce ne sera pas quelque chose de si facile à oublier. À la sortie de l’hôpital, c’est sa fille qui prend le relai. D’une aide précieuse les premiers jours, Lorelai se rend vite compte qu’elle ne peut rien faire sans le soutien d’une tiers personne.
C’est un choix lourd de conséquences pour une femme autant moral que physique
Quelques semaines après l’opération, Lorelai peut se reprendre en main. Elle a donc commencé à suivre des thérapies au centre d’OTIUM à Genève. Un centre qui a pour but d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes du cancer. Une décision d’autant plus difficile après une restructuration corporelle. Lorelai se rend chaque semaine dans ce centre où elle semble avoir retrouvé goût à la vie. Elle doit suivre plusieurs thérapies comme le yoga du rire ou l’art thérapie, mais pas seulement. Elle s’adonne à l’auriculothérapie. Et les bienfaits semblent se manifester.
En vidéo – La doctoresse Graziella Pacetti pratique de l’auriculothérapie sur la patiente en post opératoire
Près de 40 thérapies et prestations sont proposés pour accompagner les patients et leur famille. Rory*, sa fille, y est allée pour la première fois avec sa mère, Lorelai. Malgré son état d’esprit indécis quant à faire ce test de dépistage, elle semble prendre conscience de la difficulté à garder ça pour elle. Leur thérapeute de famille qui les suit depuis plusieurs mois partage cet avis. Elle n’est pas là pour influencer le choix des patients mais pour les accompagner dans cette épreuve de la vie.
En audio – La psychologue et thérapeute Arianne Torné accompagne la famille dans cette épreuve
Enjeux moraux
Le dépistage génétique est encore un luxe. Aussi est-il légitime de se demander si c’est à la société d’en supporter le coût. «La question est en effet de savoir au nom de quoi et quand est-ce que cela doit être pris en charge par la collectivité (impôts et assurances)», explique la professeure en bioéthique à l’Université de Genève, Samia Hurst. « Quelles sont les priorités? Si la médecine dépense plus dans ce domaine, elle devra se restreindre ailleurs. Devrait-on ne pas tous y avoir accès? ». Même s’il s’agit toujours d’une question financière, il n’est pas interdit de faire le test à condition de se le payer. Trois critères sont à prendre en compte : l’efficacité (aujourd’hui prouvé par la médecine concernant ces deux gènes), l’adéquation (des mesures qui collent à un besoin) et le facteur économique, le jeu doit en valoir la chandelle. Toutefois, il faut garder à l’esprit que si l’on décide de dépister tout le monde (dépistage de masse génétique), le test ne sera plus remboursé pour les personnes qui en ont vraiment besoin.
En audio – La professeure en bioéthique à l’Université de Genève, Samia Hurst donne son avis sur la transmission de ce fardeau
Pourtant, pour Samia Hurst comme d’autres scientifiques, le BRCA « rend malade », sans même développer le cancer : « C’est un lourd fardeau pour la biographie. Une modification irréversible de notre vie. » Et si, par l’avancée génétique, nous pourrions tout savoir à l’avance ? Va-t-on vers une société anxieuse et malade ? « Ce n’est pas une boule de cristal, la génétique révèle des facteurs de risque. Les gens ont l’impression que s’ils ont le gène, ils auront pour sûr la maladie et inversement. Ni l’un ni l’autre n’est vrai. C’est probabiliste», rappelle Samia Hurst. « Sera-t-on capables de vivre dans le déni ? Je ne pense pas que l’on va devenir hypocondriaques. Les informations sont déjà disponibles, même si c’est une responsabilité en plus car on doit décider quoi en faire. Toutefois, si le dépistage génétique se démocratise, on va découvrir de nombreux cas à risque et cela aura l’avantage de banaliser ces anomalies.». Lorsqu’un-e patient-e prend connaissance de cette maladie, la transmission de l’information peut également s’avérer utile pour les futures générations. C’est l’avis partagé par Samia Hurst.
Si le dépistage génétique de manière générale se démocratise, on va découvrir de nombreux cas à risque et cela aura l’avantage de banaliser ces anomalies
D’un autre côté, la problématique morale de cette médecine prédictive touche également à la gestion de la famille, aux conséquences de ce résultat sur son entourage. Par exemple, «à quel âge doit-on le révéler aux enfants?» se demande également la professeure Samia Hurst. Lorelai a justement une fille de plus de 18 ans. En pleine période d’examens lorsqu’elle a reçu positif de son test, elle a attendu que cette dernière se trouve dans une situation stable. Une majorité de sa famille lui en a voulu d’avoir pris les devants, en particulier son oncle qui a plusieurs filles. La fille de Lorelai, Rory, elle préfère relativiser quant à l’annonce de sa maman.
En audio – Rory, la fille de Lorelai nous raconte sa réaction face à la nouvelle
Un secret familial révélé au grand jour par cette patiente. Si sa fille ne semble pas encore vouloir sauter le pas, d’autres membres de sa famille ont accepté leur sort. Ce gène qualifié de défaillant vient donc forcément du papa ou de la maman. Malgré une réticence du côté masculin, chaque année en Suisse, on dénombre une augmentation de 50 cas de cancer du sein chez l’homme.
Mais pour Émilie, mère d’une fille d’un an et demi qui a une chance sur deux d’avoir ce gène, la question est de savoir à quel moment faut-il le lui annoncer. Enceinte d’un nouvel enfant, elle aurait la possibilité de faire tester l’embryon, mais elle préfère laisser la liberté à son enfant de prendre cette décision. Le plus important pour la doctoresse Sindy Monnier est de ne pas pousser une patiente si elle n’est pas prête, c’est elle qui va vivre avec ce résultat génétique. Pour Lorelai. Cette décision elle a décidé de l’assumer malgré tous ces inconvénients.
En vidéo – Lorelai raconte ne pas regretter son choix
Il est intéressant de mentionner que les mutations génétiques peuvent aussi avoir des bénéfices. Même si la maladie se déclare, le corps peut réagir en conséquence et créer d’autres défenses, explique la Sindy Monnier. «Lorsque le corps subit une mutation génétique, il s’adapte, se prépare aux modifications et on peut observer chez certains patients, l’apparition de nouvelles défenses immunitaires.»
Texte et multimédias: Arnaud Urfer
*Noms d’emprunt
Image: crédit @Unsplash