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La Suisse, qui a depuis longtemps une tradition d’accueil, peut aussi se raconter à travers ses secondos. Mot qu’on ne rencontre qu’en Suisse, le terme « secondos » désignent les enfants d’étrangers qui ont fait une grande partie de leur scolarité ou sont nés en Suisse, mais de parents étrangers. Ces secondos jouent un rôle dans l’intégration de leurs parents.
A l’approche du délai, Dafina Gashi, 32 ans, aide toute sa famille avec les déclarations d’impôts . Il en va de même pour les changements d’assurance maladie, les lettres de postulations, les traductions… qu’elle fait pour ses parents depuis son plus jeune âge. Arrivée en Suisse alors qu’elle était âgée de 3 ans, la jeune femme, d’origine kosovare, travaille aujourd’hui comme assistante en pharmacie, à Bulle dans le canton de Fribourg.
Elle aide ses parents pour les questions administratives depuis des années. «J’ai toujours fait ça, je ne saurais pas vous dire quand ça a commencé. J’ai vite parlé le français mieux que mes parents, encore plus su le lire et l’écrire grâce à l’école et à mes amis. Au départ, je traduisais juste les lettres et ça n’a jamais vraiment arrêté depuis.» Quand on lui demande si elle trouve normal d’avoir dû assumer ce rôle très jeune, Dafina s’arrête pour réfléchir. Elle n’y avait jamais pensé «je ne sais pas si c’est normal, c’est comme ça, c’est une nécessité.»
J’ai vite parlé le français mieux que mes parents, encore plus su le lire et l’écrire grâce à l’école et à mes amis. Au départ, je traduisais juste les lettres et ça n’a jamais vraiment arrêté depuis Dafina Gashi, 32 ans
Comme Dafina, ils sont des milliers à s’être trouvés dans cette situation. Les enfants secondos, qu’ils soient nés ici ou qu’ils aient effectué une partie de leur scolarité en Suisse, ont-ils aidé, d’une manière ou d’une autre, leur parent à s’intégrer ? Pour Rosita Fibbi, sociologue des migrations à l’Université de Neuchâtel, la réponse est claire : «Les enfants sont toujours un grand vecteur d’intégration parce qu’ils élargissent le monde dans lequel les parents évoluent.»
Ainsi, comme pour le cas de Dafina, ils mettent à disposition des outils qu’ils maîtrisent plus vite que leurs parents «ils ont un niveau d’intégration autre que celui de leurs parents. Mais leurs parents, eux, ont d’autres outils qu’ils ont mis à disposition de leurs enfants quand ils sont arrivés en Suisse. Certains se sont littéralement cassé le dos à la tâche pour que leurs enfants puissent avoir un avenir meilleur. Cela me semble évident qu’il y ait un sentiment d’être redevables», développe la sociologue.
Enfants trop responsabilisés: ils en font une opportunité
La Suisse est un pays d’immigration. En 2010, la population résidente étrangère comportait 1,76 millions de personnes. Elle fait partie des pays européens qui comptent le plus d’étrangers par rapport à leur population totale. En 2010, les étrangers représentent 22,4 % de la population résidente. En Europe, seul le Luxembourg et le Lichtenstein affichent des pourcentages plus élevés. Une personne active sur quatre en Suisse possède un passeport étranger. Parmi la population suisse, une personne sur trois est immigrée ou issue d’immigrés.
Ce faisant, les exemples d’enfants de parents étrangers en Suisse ne manquent pas. Journaliste âgé de 44 ans, Luigi Marra est né en Suisse de parents italiens. Il grandit à Paudex, dans le canton de Vaud. Lui, sa sœur et son frère ont vite fait du français leur première langue et ont ramené à la maison leur idée de la Suisse «les enfants ramènent aussi dans leurs foyers la culture suisse avec eux car ils baignent dedans au quotidien», résume le journaliste que nous rencontrons à la cafétéria de son lieu de travail. Il se souvient avoir très vite mieux parlé le français que ses parents et avoir dû se débrouiller seul pour comprendre le fonctionnement des institutions suisses, dont l’école.
Luigi Marra, journaliste d’origine italienne, sur l’apport des enfants dans sa famille
Pour Luigi, ainsi que pour Elif Sunna, que nous rencontrons dans son appartement à Bienne en compagnie de sa mère, il n’y a pas de mauvais souvenirs à cette période. Analyste financière de 32 ans, diplômée HEC et mère de deux enfants, Elif est âgée d’un an lorsque ses parents, kurdes de Turquie, immigrent en Suisse.
Elif est, très jeune, sollicitée pour des tâches d’adultes. Elle en comprend la nécessité. Avec le recul, elle en voit même l’avantage «cela m’a appris les responsabilités.»
Elif Sunna, biennoise d’origine kurde sur la nécessité d’aider ses parents
Enfants, parents, enseignants: un équilibre précaire
Au collège de l’Elysée à Lausanne, qui compte quatre classes d’accueil pour les migrants, certains cas particuliers peuvent se révéler plus difficiles, comme l’explique Sylvia Rotondo, enseignante : « Dans les classes d’accueil, le suivi des élèves est plus important que dans les autres. Du coup, les communications avec les parents sont plus fréquentes ».
Lors de leur arrivée dans l’établissement, les séances d’information sont possibles dans plusieurs langues. Au cours de l’année scolaire, si cela ne suffit pas dans certaines familles, la professeure ajoute qu’il existe à l’Elysée des moyens supplémentaires: «Nous faisons au mieux pour le bénéfice et la protection des élèves. La mission de l’école, c’est l’élève, pas les parents.»
Sylvia Rotondo sur les rapports enseignants-parents dans les classes d’intégration
En plus de l’école, ces enfants se retrouvent, alors même qu’ils n’ont pas encore acquis eux-mêmes un bon niveau de français oral comme écrit, à devoir être une béquille pour la famille.
Nous en rencontrons trois. Ils viennent du Portugal, de Syrie ou encore du Brésil. A la lourde tâche de rattraper le niveau scolaire de l’école, s’ajoute un rôle difficile de pont entre deux cultures. Ils sont tous dans la classe de Sylvia Rotondo et souhaitent rester discrets.
Les élèves de la classe d’intégration, sur leur rôle de traducteurs alors qu’ils apprennent encore le français
Pour la sociologue Rosita Fibbi, c’est un équilibre qui peut être précaire : «Les enfants ne devraient pas assumer des responsabilités d’adultes. Qu’un adulte en aide un autre ça me semble normal, mais quand un enfant se substitue à un autre adulte, c’est problématique. Quand très tôt les enfants sont sollicités pour des traductions et des tâches d’adultes, il y a une inversion des rôles qui n’est pas saine.»
Les enfants qui jouent ce rôle peuvent prendre le dessus. C'est-à-dire que c'est eux qui commencent à diriger les parents, à donner des ordres parce que c'est eux qui savent" Rainey Sunna, maman d'Elif
Une inversion des rôles qui donnerait les pleins pouvoir à l’enfant, qui se trouve dans la position de décider à la place de ses parents. Il peut traduire, pas traduire, traduire pas complètement… La mère d’Elif Sunna, Rainey, a voulu faire profiter de son expérience à des parents qui pourraient se retrouver dans une situation difficile. Ainsi, elle a mis en place, avec l’aide de la ville Bienne, des cours du soir d’intégration et de langues. Elle observe le même danger chez les enfants trop responsabilisés: «Peut-être que, pour plus tard, c’est une opportunité pour ces enfants. Ils intègrent de nouvelles compétences très tôt. Mais, sur le moment, ça peut être très difficile.»
La question de l’intégration a beaucoup occupé Rainey. Elle estime avoir eu la chance de pouvoir vite se concentrer sur sa propre intégration, car elle comprenait que ce n’était pas le rôle de ses enfants «comment voulez-vous qu’ils trouvent un équilibre entre leur culture originelle et celle d’ici si les parents ne sont pas là pour leur montrer le chemin?»
Elle a ainsi pu observer des cas où la situation devient problématique, allant jusqu’à des coupures avec les parents, où l’enfant finit par quitter la maison: «Les enfants qui jouent ce rôle peuvent prendre le dessus. C’est-à-dire que c’est eux qui commencent à diriger les parents, à donner des ordres parce que c’est eux qui savent.»
Un phénomène qui s’observe notamment dans la relation avec les institutions, principalement l’école. «C’est clair que si un enfant est appelé à jouer le rôle de médiateur entre les enseignants et les parents, en fait il se trouve dans une situation de pouvoir absolument ab norme» ajoute la sociologue Rosita Fibbi.
Un point de vue partagé par Sylvia Rotondo qui essaie, dans la mesure du possible, de faire appel à des traducteurs. Même quand les remarques qu’elle a à faire sont positives : «C’est toujours bien que ce soit nous qui annoncions les choses. C’est difficile pour un enfant de devoir lui-même dire : je travaille bien à l’école. Je trouve que c’est important que les parents puissent l’entendre de notre voix, et que l’enfant puisse être félicité mais justement parce que l’enseignante a donné cette information.»
L'intégration des adultes : des problématiques subsistantes
A Bienne comme dans les autres villes, il existe des structures pour aider les parents. Dans le domaine de l’intégration, il y a deux approches: encourager ou contraindre. En Suisse romande, les institutions misent clairement sur l’encouragement. L’offre d’aide à l’intégration existe, mais fonctionne sur une base volontaire.
A la Ville de Lausanne, par exemple, on offre de nombreuses solutions en ce qui concerne l’encadrement des adultes. Au Bureau de l’Intégration, géré par Gabriela Amarelle, on accorde une grande importance aux formations élémentaires. Dès leur arrivée, les personnes reçoivent une brochure, disponible en douze langues. On y trouve des informations sur les institutions, le travail, les logements, l’école. Dans la même brochure, sont mises à disposition les adresses utiles.
De nombreux cours de français – non obligatoires, sont mis en place toute l’année : «Nous misons sur la qualité des prestations, et non sur l’obligation», explique la directrice. «Trois millions de francs par année sont investis par la ville pour l’intégration, dont deux exclusivement pour les cours de français.»
A Lausanne, aujourd’hui la demande de cours de français au Bureau d’Intégration excède encore l’offre, donnant lieu à des listes d’attente. Une demande correspondant certainement à une nouvelle vague migratoire et à la tradition d’accueil de la commune qui avait ouvert le premier Bureau d’Intégration de Suisse Romande en 1971.
A Bienne, Rainey Sunna est satisfaite de l’offre mise en place pour les étrangers adultes. Selon elle, le problème est plus profond que de simple cours de français. Il vient d’une crise identitaire que connaissent forcément les personnes migrantes.
Rainey Sunna sur les difficultés des parents
«Je pense qu’on a eu le bon dosage», conclut Elif Sunna. «On n’a pas eu à la materner, mais on a aussi eu des responsabilités qui nous on permis de devenir matures un peu plus vite. Sans avoir eu le poids de voir ses parents comme des bras-cassés. On a eu des avantages qu’ils n’ont pas eu, ça nous a semblé normal de les aider.»
Ainsi, concernant nos secundos, Dafina, Luigi et Elif, l’aide au sein des familles apparaît pour tous comme quelque chose de naturel, voir même d’enrichissant.Ils en parlent avec le recul d’adultes, mais sont conscients qu’ils existent des situations problématiques. Comme lorsqu’il s’agit de faire porter des charges trop lourdes à des épaules encore trop frêles.
Arditë Shabani