16A

Tomber au chômage
aux portes de la retraite

Les séniors ont-ils encore une place sur le marché du travail? Alors que le Parlement a débattu de l’augmentation de l’âge de la retraite, les Suisses entre 55 et 64 ans restent plus longtemps au chômage que les autres générations. Pour un sénior à quelques années de la retraite, les chances de retrouver un poste semblent maigres. C’est le cas de Catherine, qui a travaillé durant 30 ans pour une organisation internationale. A 61 ans, elle se retrouve sans emploi, victime d’économies budgétaires.
Témoignage vidéo: « J’avais l’impression d’être un rebus de la société ».
https://youtu.be/oAb1gpDOTxs
Du jour au lendemain, Catherine a dû revoir ses prétentions à la baisse. Elle bénéficie de deux ans et demi de chômage, mais ne peut plus cotiser pour sa retraite. Inquiète, elle plaide sa cause auprès de son ancien employeur pour continuer à financer son deuxième pilier. Un défi, sachant qu’elle doit payer les parts de l’employeur et de l’employé. Elle met de sa poche la totalité de son 3e pilier et vend l’appartement de sa mère décédée, soit plus de 100’000 CHF. Aujourd’hui retraitée, Catherine touche une rente mensuelle de 3’800 CHF. Elle estime avoir perdu entre 300 et 400 CHF par mois.
Mais lorsqu’on a plus d’années à tirer jusqu’à la retraite, difficile de nouer les deux bouts sans se tourner vers l’aide sociale. Adriano, 59 ans, n’aurait jamais imaginé devoir un jour s’inscrire « aux sociaux ». A un mois de la fin de ses allocations chômage, il n’a pas le choix. Avant la perte de son emploi comme aide-soignant dans un EMS, en 2013, il avait toujours travaillé. Titulaire d’un CFC de vendeur, il a enchaîné des postes de chauffeur-livreur et coordinateur, puis s’est dirigé vers les soins. Souffrant de problèmes lombaires, il a été licencié légalement par son employeur. Deux ans d’insomnies et de luttes s’ensuivent, durant lesquels il doit surveiller ses moindres dépenses.
Témoignage audio: Au chômage, Adriano a 15 CHF par jour pour manger.

Durant ces 20 mois, Adriano n’a pourtant pas chômé pour tenter de décrocher un nouveau poste. Stages, postulations fréquentes, réseautage…rien n’y fait. Il vient de recevoir une réponse négative de l’Hospice général pour un emploi comme intendant social: « J’étais l’un des trois candidats retenus sur douze; la RH avait relevé mes qualifications. Je ne sais pas si c’est mon âge ou mes problèmes de santé qui m’ont pénalisé » avoue-t-il, encore affecté.

L’âge, un facteur discriminant

« La plupart des sociétés préfèrent engager des jeunes », affirme Ingrid Maréchal. La consultante RH travaille depuis 10 ans pour l’agence de placement Euroselect, à Genève. Elle est en contact avec des PME dans le secteur du service privé. « Pour les entreprises, les séniors sont moins flexibles; ceux-ci vont peut-être réfléchir à deux fois à une proposition, tandis qu’un jeune foncera ». Autre frein important: les coûts. Les plus de 50 ans représentent pour les entreprises un salaire et des cotisations sociales plus élevés, en particulier le deuxième pilier.
Autre secteur d’activité, même son de cloche, dans le monde bancaire. Alessandro Lanci y a travaillé plus de 25 ans comme RH. Il est catégorique: «Pour la majorité des recruteurs, il faudrait une grande sensibilité pour engager quelqu’un de 50 ans ou plus. Beaucoup de RH sont jeunes; ils considèrent les séniors comme des concurrents ou les jugent surqualifiés » analyse-t-il.
Mais pour certaines associations et les services de l’Etat accompagnant les chômeurs, il s’agit d’idées reçues qu’il faut éliminer. L’Office cantonal de l’emploi de Genève (OCE) a édité en 2016 une brochure à l’attention de ses conseillers. A chaque préjugé son argument.

Les séniors coûtent plus cher et aspirent à des salaires élevés.
Réponse de l’OCE: l’Office fédéral des statistiques montre que le salaire brut a tendance à se stabiliser vers la cinquantaine, pour diminuer vers 60 ans. Les seniors sont considérés comme plus efficaces que les moins de 30 ans et commettent moins d’erreurs.
Ils sont moins flexibles géographiquement et professionnellement.
L’OCE réfute cette affirmation. En réalité, les séniors feraient preuve d’une plus grande disponibilité en raison d’une situation familiale mature (enfants indépendants, situation personnelle stable). Les diminutions salariales seraient bien accueillies si elles étaient accompagnées d’une modification de fonction ou du temps de travail.
Le sénior présente une image de l'entreprise en décalage avec son message (manque de combativité, de constance et de compréhension)
Au contraire, selon l’Office cantonal de l’emploi, la présence d’un travailleur âgé aurait un effet apaisant et permettrait de régler beaucoup de conflits entre employés. Les séniors aideraient aussi à gagner en confiance, respectabilité et maturité vis-à-vis des partenaires externes (par exemple des banques ou des investisseurs).
En parallèle des campagne de sensibilisation, les associations et offices régionaux de placement mettent en place des programme de réinsertion. A Genève, la fondation Qualife en propose un dédié aux plus de 50 ans. Ces méthodes présentées comme innovantes ne conviennent pas à tout le monde. En 2016, sur les 70 personnes qui ont initié un coaching, 19 ont décroché un emploi, et 45 ont arrêté en cours de route pour divers motifs. Adriano a lui-même bénéficié d’un premier mois d’accompagnement à Qualife avant d’être redirigé. Pour lui, c’était surtout une opportunité d’élargir son réseau.
Témoignage audio: Adriano critique un programme de réinsertion

Chômeur en fin de droit, Adriano se prépare à vivre avec 977 CHF par mois. Mais pour toucher cette somme modique, il va devoir sacrifier son assurance-vie. A Genève, l’aide sociale délivrée par l’Hospice général est en effet subsidiaire à tout autre revenu. Dans 5 ans, Adriano aurait touché 70’000 CHF. 25 ans d’investissement pour sa retraite qui risquent de partir en fumée.

Des secteurs plus enclins à garder leurs séniors

Si, selon l’Office cantonal de l’emploi, les solutions existent, encore faut-il que les entreprises fassent l’effort de les appliquer. L’Union patronale suisse (UPS) se dit consciente du problème. En 2014, la faîtière a lancé sa propre campagne de sensibilisation. Pour convaincre les employeurs, l’UPS a rassemblé des exemples d’entreprises qui valorisent l’expérience des séniors. Dans certaines manufactures horlogères par exemple, ils sont la source d’un savoir-faire qu’il ne faut pas perdre.
Vidéo: Francisco, maître horloger aux petits soins chez Audemars Piguet

Outre ces profils dans des secteurs spécifiques, l’UPS met en avant la politique des CFF qui offrent à ses employés séniors des formations continues. De 2008 à 2015, l’ancienne régie publique a engagé environ 800 personnes de plus de 50 ans. Au total, la campagne de sensibilisation présente 30 exemples d’entreprises suisses menant une telle politique de gestion du personnel. Pas facile de les dénicher, alors que l’association faîtière rassemble environ 300’000 sociétés.
Ce qui fait réagir aujourd’hui l’UPS, ce sont les spectres du vieillissement de la population et du manque de main d’oeuvre qualifiée. Depuis l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse, l’association s’inquiète en effet du déficit annoncé: 600’000 postes en 2030 selon le SECO. Sans compter un fait avéré: le nombre d’individus actifs âgés de plus de 50 ans progresse de façon continue par rapport à celui des travailleurs plus jeunes. Au sommet de l’échelle des employeurs, on réalise soudain que l’on aura peut-être besoin de ceux que l’on rechigne aujourd’hui à engager.

read more: