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Comment une région rurale fait face à l’arrivée soudaine de migrants: l’exemple du Jura

Le Jura a enregistré une vague d’arrivées inhabituelles de requérants d’asile en 2015. Les autorités ont dû prendre des dispositions en urgence pour les accueillir. La population a réagi de manière positive, mais des cas isolés d’hostilité ont été recensés. 
Au prorata de sa population, le canton du Jura reçoit 1% des demandes d’asile effectuées auprès de la Confédération. A l’heure actuelle, cela représente près de 965 personnes dans le système d’asile jurassien, tous statuts confondus. Cela représente une hausse d’environ 330 personnes entre début 2015 et fin 2016.
« Le bilan qu’on peut faire de cette période de grande arrivée dans le Jura est extrêmement positif. La grande majorité des gens a été très sensible, il y a eu une prise de conscience de la misère de cette population qui fuit. On peut dire que nous avons eu un élan de solidarité, de générosité et d’ouverture très important et tout à fait particulier. Il y a aussi eu quelques réticences ou des doutes, mais c’est légitime », estime Francis Charmillot, le directeur de l‘Association jurassienne d’accueil des migrants.

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Francis Charmillot dans son bureau de l'AJAM à Delémont.
Pour faire face à cette augmentation, l’Etat a dû prendre des dispositions pour pouvoir accueillir ces personnes sur son territoire. Concrètement, à leur arrivée, les migrants sont placés dans le centre de 1er accueil de Belfond durant quelques mois. Ils sont ensuite logés dans des centres de 2e accueil pour une durée qui peut aller jusqu’à une année, avant de se voir attribuer un appartement. L’AJAM, chargée par la République et Canton du Jura d’organiser l’accueil, l’hébergement et la prise en charge sociale des personnes relevant du droit d’asile en Suisse, gère cinq de ces structures collectives. Ces dernières ont justement dû être mises sur pied pour faire face à la hausse inattendue des arrivées survenue en 2015.
Infographie: statistique 2015-2016 des arrivées mensuelles dans le Jura


Les migrants face à l’hostilité des autochtones: l’exemple de Muriaux

« Tout s’est toujours bien passé au moment d’approcher les autorités communales dans lesquelles nous souhaitons ouvrir un centre d’accueil. Jusqu’à présent, il n’y a eu qu’une seule commune qui a été réticente et qui, malgré les échanges qu’on a voulu avoir avec elle, n’a pas arrêté de dire qu’elle était plutôt pour, mais qui a tout fait pour que cela ne se concrétise pas. En 15 ans de métier, c’est la première fois que je suis confronté à un tel cas », lâche Francis Charmillot.
Et cette commune, c’est celle de Muriaux. L’ancien hôtel-restaurant La Halte des amis, aux Emibois, était appelé à être réaffecté pour devenir un centre de 2e accueil, pouvant abriter une quarantaine de personnes en situation de semi-autonomie. Toutefois, la commune a fait recours contre le permis de construire délivré au propriétaire du bâtiment, qui nécessite un changement d’affectation.

L’ancien hôtel-restaurant La Halte des amis aux Embois.
 
Officiellement, les autorités murivalaises fustigent un manque de communication. Dans le Journal officiel du 16 novembre 2015, la publication mentionnait un changement d’affectation pour un bâtiment à usage collectif / centre d’hébergement (colonies de vacances, backpacker – guesthouse, groupes, requérants d’asile, etc.) : « Le 13 juin, le propriétaire a informé la section des permis de construire que le changement d’affectation ne concernait finalement que le centre pour requérants. Le permis a été délivré le lendemain. Nous exigeons donc une nouvelle publication avec cette seule mention, afin que la population soit informée comme il se doit », argumente Pierre-André Gigon, le maire de Muriaux, village d’environ 500 habitants situé au beau milieu des pâturages des Franches-Montagnes.
Une pétition en ce sens a récolté une cinquantaine de signatures. Le maire est ainsi certain qu’il y aurait eu des oppositions de la part des citoyens si le projet avait concerné dès le départ uniquement une structure pour migrants. Avec quels arguments ? « Ce lieu n’est pas adapté. Il n’y a pas de dégagement autour. C’est la raison principale ». Pierre-André Gigon botte en touche au moment d’évoquer les autres motifs. Francis Charmillot a, lui, eu accès au contenu du réquisitoire : « Ce document contient des horreurs, à la limite du racisme ».  L’affaire est actuellement devant le Tribunal administratif de première instance. Le verdict est attendu mi-avril.
L’intégration est, la plupart du temps,
plus facile dans les grandes villes.
Ibrahim Soysüren
Ibrahim Soysüren, post-doctorant à l’Institut de sociologie de l’Université de Neuchâtel et spécialiste des questions de migrations, tente d’apporter un éclairage sur le rejet qu’inspire parfois les requérants d’asile chez la population : « La stigmatisation à l’égard des migrants est très importante. Les craintes sont surtout cristallisées sur les groupes de jeunes hommes de couleur en manque d’occupation. L’intégration est, la plupart du temps, plus facile dans les grandes villes, les petites localités ayant une tendance plus prononcée à la fermeture. Les craintes par rapport à la situation économique et le contexte actuel défavorable sont également parmi les facteurs à ne pas sous-estimer ».

Le contre-exemple: la recette gagnante de Montfaucon

La dynamique locale a aussi son importance dans ce domaine, et il semblerait que le cas de Muriaux fasse bien figure d’exception dans le Jura. La procédure menée par l’AJAM a parfaitement fonctionné à Montfaucon. La localité taignonne qui se trouve à moins de 10 km des Embois s’est, elle, montrée très ouverte. L’équilibre de ce village de 600 âmes n’a pas été perturbé par l’arrivée d’une quarantaine de migrants. Au contraire, l’accueil réservé par la population aux nouveaux résidents de l’Hôtel de la Pomme d’or fait figure d’exemple.
Et c’est désormais en termes d’échanges que s’articulent les relations entre villageois et migrants. Une situation qui réjouit le maire de Montfaucon, Giovanni Todeschini.

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Giovanni Todeschini devant le centre d'accueil du village.
Entre l’apiculteur qui amène chaque mois un pot de miel au centre, les dames du village qui viennent chercher les requérants d’asile pour aller se promener et leur faire découvrir les lieux, l’école qui a voulu nouer des  liens à Noël ou encore la troupe de théâtre qui a monté un spectacle avec des résidents de La Pomme d’or, les Montfauconais tendent la main à leurs nouveaux voisins. Citons également le club de football local qui a intégré des migrants au sein de son équipe. Les gestes prennent alors plus d’importance que les mots pour Rahman. Ces moments sur le terrain constituent même une bulle d’oxygène pour cet Iranien de 27 ans qui a posé ses valises dans le Jura il y a 15 mois. Nous nous sommes rendus à un entraînement de l’US Montfaucon.

Les réseaux sociaux peuvent-ils menacer
la bonne opinion publique ?

Si le tableau idyllique dépeint à Montfaucon fait figure d’idéal, il n’est toutefois pas totalement représentatif de l’état d’esprit qui anime l’ensemble de la population jurassienne. Si aucun débordement n’a été constaté dans les faits, contrairement à ce qui a pu être observé en Singine dans le canton de Fribourg, les propos, par contre, peuvent être très virulents sur les réseaux sociaux par rapport à des thématiques en lien avec les migrants. Ces personnes de nationalité étrangère deviennent parfois les boucs émissaires des divers maux de la société.
Vidéo: exemple de réactions lors d’une nouvelle relayée par un média

Ces mouvements populaires dans le monde virtuel sont-ils concrètement dangereux pour la bonne intégration des requérants d’asile dans l’opinion publique ? Selon, Mihaela Nedelcu, professeure associée à l’institut de sociologie de l’UNINE spécialiste en migrations et transnationalisme, ces réactions ne sont, en principe, pas susceptibles de susciter une réelle opposition.
Le constat est le même du côté de l’AJAM, pour qui ses commentaires ne constituent pas de danger concret. « Ce sont finalement les seuls bémols que nous avons constatés. On compare souvent les misères sur les réseaux sociaux, mais cela reste assez intimiste finalement. Proportionnellement à tout l’élan positif que nous avons rencontré, cela ne m’inquiète pas. Ces personnes ne sont jamais venues nous trouver, elles se cachent derrière leur ordinateur », tempère Francis Charmillot. De son côté, la police cantonale jurassienne garde un œil attentif sur les réseaux sociaux, mais elle ne signale, pour l’heure, aucune menace susceptible de nécessiter son intervention.

Le Jura: région rurale ouverte

Il ressort ainsi que le Jura est une région rurale qui n’est pas repliée sur elle-même, même lorsqu’elle fait face à une forte augmentation d’arrivées de requérants d’asile sur son territoire. Francis Charmillot explique cela par le fait que l’Association jurassienne d’accueil des migrants a son histoire pour elle.
La satisfaction est également de mise du côté de la Confédération : « Nos relations avec le canton du Jura sont bonnes. Il n’y a aucun problème par rapport à sa clé de répartition. Il dispose toutefois d’une grande autonomie dans sa manière de gérer la situation sur son territoire, puisqu’il n’abrite pas de centre d’accueil fédéral », confie Céline Kohlprath, responsable adjointe du bureau d’information et de communication du Secrétariat d’Etat aux migrations.

Des défis pour l’avenir

Il n’en reste pas moins que le canton du Jura, par le biais de l’AJAM, a encore de nombreux défis à relever: « Une bonne moitié des gens que nous accueillons obtient une autorisation de séjour et va donc rester chez nous. Il faudra ainsi les amener à s’intégrer socialement et professionnellement. Nous devons donc les aider à devenir autonome en apprenant notre langue et en développant un projet professionnel pour parvenir à trouver un travail et ainsi ne plus dépendre de l’aide sociale. C’est indiscutablement le grand défi, pour le Jura, mais aussi pour les autres cantons », conclut le directeur de l’AJAM.

Emilie Muhmenthaler

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