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Ecole inclusive,
une réforme en suspens

Favoriser l’égalité des chances en mélangeant les élèves porteurs de handicap avec les autres, voici l’ambition de l’école à visée inclusive. Si la cause est noble sur le papier, son application fait grincer des dents, surtout du côté des enseignants qui manquent de consignes précises.

Nathan est dyslexique. Emilie est atteinte d’un trouble du spectre autistique. Matthys souffre de dyscalculie. Pourtant, tous les trois fréquentent la même classe primaire. Cet exemple, imaginé de toute pièce, représente l’école de demain, une école à visée inclusive. Dans le canton de Vaud, cette réforme scolaire porte le nom de 
Concept 360 degrés.

Si le nom de 360 degrés fait penser à une rotation complète et un retour à la case départ, le projet ambitionne de répondre à tous les besoins des élèves vaudois. Depuis 2019, il est le fer de lance du mandat de la conseillère d’Etat Cesla Amarelle, en charge de la formation, ce dossier est mis en pause depuis sa destitution lors des élections cantonales d’avril dernier. Une interruption à priori momentanée qui ravit les enseignants réticents, mais qui attriste les spécialistes. 

De l’intégration à l’inclusion

Jusqu’en 1994, le système scolaire était de type ségrégatif. En d’autres termes, les élèves présentant des handicaps ou d’importantes difficultés scolaires étaient placés dans des institutions spécialisées. Observant un coût psychologique important chez ces enfants, la Suisse décide de suivre la tendance internationale en adoptant une école intégrative après la déclaration de Salamanque.

Réunis dans cette ville espagnole en juin de la même année, 92 gouvernements et deux organisations internationales optent pour un changement du système éducatif. C’est la naissance de « L’école pour tous ». Dans le canton de Vaud, on ouvre alors des classes spécialisées directement au cœur des établissements ordinaires. Trente ans plus tard, les services de la conseillère d’Etat Cesla Amarelle prennent le pas de l’inclusion et les élèves des classes dites de développement rejoignent progressivement le cursus scolaire ordinaire.

L’inclusion va plus loin que l’intégration : ce n’est plus à l’enfant de s’adapter à l’école, mais bien à l’école de s’adapter à ses élèves.

Romain Richard, doyen au Collège des Verdeaux à Renens

Le modèle canadien

Avec le Concept 360, les enfants aux besoins particuliers doivent être scolarisés autant que possible en classe ordinaire. Cependant, il n’est pas question de supprimer les institutions spécialisées ou de fermer toutes les classes dites de développement (VSO) comme cela a été le cas dans les pays nordiques ou en Italie.

Dans les provinces canadiennes anglophones, on pratique l’école inclusive depuis plus d’une décennie sans douter de son efficacité, mais en l’adaptant en fonction des besoins de chaque région et de chaque établissement : « La société québécoise est plus communautariste qu’ici. L’école est au centre de la société, on s’y rencontre, on s’y marie même parfois, on ne sort pas les élèves de cette communauté », explique Serge Ramel, professeur à la Haute Ecole Pédagogique (HEP) de Lausanne et co-directeur du Laboratoire international sur l’inclusion (LISIS). Pour le professeur, cette différence sociétale entre ce pays et la Suisse est la raison pour laquelle l’école 100 % inclusive est impossible ici : « La société suisse est plus ségrégative ». 

Contactée à ce sujet, la DGEO (Direction Générale de l’Enseignement Obligatoire) dit avoir pris en compte les expériences étrangères pour concevoir le concept 360 degrés. « L’école vaudoise poursuit une visée inclusive, ce qui ne signifie pas une inclusion à tout prix, mais d’adapter cette philosophie dans les établissements cantonaux », explique Nathalie Jaunin, Cheffe du projet 360 à la DGEO.

Le bien-être au centre

Pour rendre les apprentissages aussi accessibles que possible, le Concept 360 offre tout un panel de prestations. 

En vidéo – Des formations continues sont disponibles en ligne pour soulager les enseignants

Entre formations continues et enseignants spécialisés intervenant en classe, la HEP (Haute école pédagogique) et la DGEO ont élaboré quatre catégories pour différencier les élèves :

On débute avec ce que les spécialistes ont appelé socle universel. Un premier degré qui correspond à l’école intégrative, soit la philosophie scolaire d’aujourd’hui. Pour Romain Richard, qui a écrit un mémoire sur l’inclusion scolaire, il est important de bien différencier l’intégration de l’inclusion : « L’intégration permet aux élèves aux besoins particuliers de rejoindre des classes spécialisées. L’inclusion va plus loin, car ces classes de développement (VSO) devraient progressivement disparaître du paysage scolaire ».

Le deuxième degré regroupe les élèves présentant des difficultés leur empêchant de suivre le cursus scolaire. C’est actions ciblées viennent en aide aux élèves présentant par exemple des difficultés en mathématiques, en français ou qui ont simplement de la peine à suivre en classe. Leur cursus scolaire n’est pas modifié, mais ils requièrent plus d’attention, voire des appuis pédagogiques.

Quatre niveaux d’intervention 

  • Le premier niveau correspond à l'école ordinaire

On continue sur cette logique avec le troisième échelon. C’est lui qui s’adresse aux élèves présentant un besoin particulier confirmé. On y retrouve des prestations telles que de l’aide à l’intégration, la présence d’enseignants spécialisés en classe, l’adaptation du programme scolaire ou encore l’appui des PPLS (psychologie, psychomotricité et logopédie en milieu scolaire). 

Les « interventions intensives » arrivent au sommet de la pyramide. C’est là que l’on range les élèves présentant un trouble important. L’école ordinaire, même avec la mise en place d’un système inclusif, ne peut répondre entièrement à ce type de besoins. Par contre, le Concept 360 permettrait à certains d’entre eux de jongler entre leur institution spécialisée et les classes de l’école ordinaire : « Ce projet à l’ambition de rendre les classes plus perméables », précise Guillaume Tharin, directeur de La Passerelle à l’institut de Lavigny.

Toutefois, que l’école soit intégrative ou inclusive, le système scolaire ordinaire ne peut correspondre à tous les enfants. C’est du moins l’opinion de Véronique Campiche, enseignante, pour qui on ne fait que de déplacer le problème sans mettre fin à la discrimination.

Audio – Beaucoup d’enseignants considèrent cette réforme comme un acte de bonne conscience

Educateurs en renfort 

Pour parvenir à davantage d’égalité à l’école, le département vaudois de l’éducation a augmenté de 10,8% son budget alloué aux élèves en âge de scolarité obligatoire, entre 2015 et 2020. « Cela représente plus du double de l’augmentation démographique du nombre d’élèves (+5,2%) », souligne Cesla Amarelle en 2020 à 24 heures. La création de 318 postes d’enseignants spécialisés à plein temps est prévue pour la rentrée 2023, date à laquelle le Concept 360 devrait être effectif dans tous les établissements vaudois.

Aujourd’hui, le projet en est à sa phase pilote. Les 93 établissements scolaires du canton rédigent leur propre version du concept. Objectif : établir les bases de cette réforme selon les régions et la population d’élèves. Pour Jean-François Destraz, directeur de l’école primaire et secondaire d’Oron, l’avantage du concept 360 réside dans le fait qu’il est évolutif : « Ce projet reste suffisamment flexible pour s’adapter à l’évolution de la société et de la population de notre canton ».

Une réalité qui oblige toutes les structures de l’enseignement obligatoire à s’impliquer dans la mise en oeuvre de l’école à visée inclusive. Car chaque établissement doit établir une charte via son propre comité de pilotage : « Nous sommes une quinzaine à faire l’inventaire des prestations nécessaires. Un travail de groupe important, car nous nous rencontrons (réseaux) plusieurs fois par année et nous n’avons pas encore transmis notre bilan à notre direction », informe Sandrine Larpin, enseignante spécialisée à Lausanne. « Ensuite, l’administration du collège de Mont-Repos transmettra nos adaptations au département cantonal. » 

Les Alpes vaudoises pionnières

Voilà deux ans que l’établissement du Pays d’Enhaut, dirigé par Darcy Mottier, a changé sa manière d’enseigner. Les Alpes vaudoises font office de région test pour la mise en pratique du concept. « Nos enseignants avaient peur du chamboulement généré par les services spécialisés. Mais aujourd’hui, on peut dire qu’ils s’y sont habitués ». Pour la directrice, la pandémie a apporté un coup d’accélérateur au concept.

L’obligation d’ouvrir les portes des salles de classe en permanence a forcé le corps enseignant à travailler de manière différente. « Je pense qu’il est nécessaire d’être à l’écoute de ses collaborateurs pour qu’ils se sentent bien avec ce concept. Ils doivent nous dire quand c’est trop ». Pour rassurer au mieux les enseignants dans cette transition. A Château-D’Oex, plusieurs forums de discussions ont permis de réconforter le corps enseignant.

Noyade administrative

Si l’établissement situé dans le Pays d’en haut se dit satisfait de l’expérience, le concept 360 provoque la colère de nombreux enseignants : 

Nous n’avons pas étudié et nous ne nous sommes pas engagés pour être des enseignants spécialisés, mais des enseignants tout court.

Brigitte Müller*, enseignante primaire à Aigle

Charge de travail en augmentation, complication des documents administratifs, réunions en hausse, tant de tâches qui s’apparentent au métier d’enseignant spécialisé plutôt qu’à celui de l’enseignement traditionnel. Si le bien-être des élèves est au centre des préoccupations, celui des enseignants semble être moins préoccupant. Certains crient au scandale et refusent de changer leurs méthodes de travail.

Un concept qui aura dorénavant encore plus de mal à séduire les professionnels, puisque beaucoup témoignent d’un travail en vain depuis les dernières élections cantonales : « Nous n’avons encore reçu aucune indication sur l’évolution de ce dossier, mais nous imaginons que le Concept 360 est en pause depuis l’éjection de la Conseillère en charge de la formation, Cesla Amarelle, au 1er tour des élections cantonales de ce printemps », rappelle Brigitte Müller* avant d’ajouter que l’inclusion peut également faire des dégâts chez certains enfants, qui ne se sentent pas à leur place au sein du milieu scolaire classique.

Parcours du combattant pour les élèves

L’école peut devenir un enfer : « Certains élèves sont malmenés et terriblement malheureux d’être intégrés dans un groupe », ajoute Sandrine Larpin. Une intégration loupée, c’est ce qu’a vécu Gabriel. Agé de douze ans aujourd’hui , il est scolarisé en institut spécialisé depuis ses six ans. 

Diagnostiqué d’un trouble du spectre autistique peu après sa naissance, il serait néanmoins apte à suivre le programme scolaire conventionnel : « Notre fils est hypersensible aux bruits, aux touchés et présente des troubles des relations sociales. Mais en raison de son intelligence normale, nous avons tenté l’école ordinaire », raconte sa maman. Après une intégration réussie en classe enfantine, tout se gâte dès son arrivée en primaire (3H).

Sa maitresse, enthousiaste à l’idée d’accueillir Gabriel, a pourtant vite changé d’avis au vu des charges supplémentaires que cela impliquait.
« Malgré son discours rassurant, nous avons très vite senti qu’elle n’arrivait pas à suivre ». Transbahutés de réseau en réseau, les parents de Gabriel se retrouvent entourés de tous les acteurs du monde scolaire. « La manière de communiquer n’était pas du tout adaptée, c’était très violent. Nous avions un fort sentiment de colère envers le corps enseignant ».

Vidéo – La violence de l’école traditionnelle

Une descente aux enfers pour Gabriel et ses parents. Dès la 3H (6-7 ans), sa scolarité s’apparente quotidiennement au parcours du combattant. Le jeune autiste angoissait si violemment que ses parents n’ont eu que d’autre choix que de le placer sous traitement médical. Aujourd’hui, c’est à l’institut de Lavigny qu’il poursuit sa scolarité : « Gabriel s’est tout de suite senti à l’aise dans cette institution et nous avons pu stopper la prise de médicaments, c’était un vrai soulagement pour toute la famille ».

Seul hic pour ses parents, c’est qu’aucun certificat de scolarité ne lui sera délivré après cet enseignement spécialisé. Un handicap de plus pour rejoindre le monde professionnel. Malgré les expériences du passé, les parents de Gabriel tentent à nouveau d’inclure leur fils en école ordinaire. En effet, le jeune garçon rejoint depuis le début de cette année, une période par semaine, les cours de géographie à l’école publique de Préverenges. 

Concept au futur méconnu

Si le monde scolaire devait initialement changer en 2023, la mise en oeuvre du Concept 360 risque bien de prendre du retard. Entre attentes des uns et inquiétudes des autres, l’enjeu principal réside dans l’acceptation du projet par le corps enseignant, allant du primaire au secondaire, tout en leur fournissant l’aide et l’écoute adéquates. Le projet présente par ailleurs encore bien des lacunes, dont une majeure : cette reforme sera-t-elle prise en charge par la ou le prochain.e conseiller.ère d’Etat qui assumera la formation au gouvernement vaudois?

*nom d’emprunt
Texte et multimédia : Thomas Cramatte
Photo : Pixabay

 

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