Extinction Rebellion poursuit son combat sur l’Arc lémanique. Dès le 9 mai 2020, le réseau de lutte contre le dérèglement climatique a renoué avec ses actions de désobéissance civile, après le confinement dû à la crise sanitaire. Comment sont-ils organisés ces nouveaux militants écologistes?
Le cri de révolte d’Extinction Rebellion Lausanne (XR Lausanne) a résonné à nouveau,
à l’aube de la phase 2 du déconfinement. Mais cette fois, il était accompagné d’une action diverse des précédentes organisées par le collectif écologique dans l’espace public.
Le matin du 9 mai 2020, Lausanne se réveillait tapissée de centaines d’affiches jaunes et verts. D’autres villes vaudoises en ont également été la cible. Sur les pancartes, des slogans tels que « Pas de retour à l’anormal », « La crise climatique, pire que le coronavirus » ou encore « Désobéissons pour notre avenir ».
Scène identique, le 11 mai 2020, en ville de Genève. Ceci, pendant qu’une dizaine de militants manifestait à la place de la Palud à Lausanne, dans le respect des mesures sanitaires imposées par le coronavirus.
Vieux message, nouvelles méthodes
Extinction Rebellion Lausanne est donc de retour sur la place publique, après l’interruption causée par les mesures de confinement. Son message demeure identique. Il mise à éveiller l’option publique face à la catastrophe climatique qui, selon ses militants, menace désormais la vie sur notre planète.
« Retenons les leçons de cette crise et rebellons-nous pour une société plus solidaire qui crée rapidement un monde respectueux du vivant et résiliant ». C’est l’appel lancé sur les réseaux sociaux par le mouvement vaudois.
Se référant à la réalité dramatique des deux derniers mois, ses revendications se sont renforcées. « Malgré le début du déconfinement, nous ne voulons pas un retour à l’’anormal’, lit-on sur la page Facebook d’XR Lausanne, à une vie qui nous mènera à davantage de crises sanitaires, mais aussi climatiques et environnementales, bien plus graves encore que celle que nous avons traversée ».
L’opération d’affichage, ainsi que les manifestations de Lausanne et Yverdon, ne sont que les dernières d’une longue liste d’actions de désobéissance civile entreprises par XR Lausanne depuis sa fondation en avril 2019 et par lesquelles le réseau de lutte climatique s’est fait connaître.
INFOGRAPHIE – Les faits saillants d’Extinction Rebellion sur l’Arc lémanique
Blocage de la circulation en plein centre de Lausanne, occupation des bureaux lausannois de Ifchor, entreprise spécialisée dans le transport maritime: les actions des militants d’Extinction Rebellion agacent les uns, donnent confiance aux autres.
Mais leurs revendications ne se limitent pas à la sphère écologique. Elles visent plus largement à sensibiliser les citoyens contre le système social et économique actuel.
La profonde transformation de la société revendiquée prévoit également un renouvellement du processus de prises de décisions au niveau politique. Le tout,
afin de « faire émerger un autre monde », plus respectueux et plus solidaire.
Si le message demeure, les méthodes se diversifient. Au temps du coronavirus et de l’impossibilité d’organiser des manifestations publiques, XR Lausanne adapte ainsi sa stratégie, distance sociale oblige. Car pour ces militants écologistes, le temps presse, voire il est même déjà écoulé.
Si, d’une part, les données scientifiques montrent l’urgence face à l’augmentation rapide des températures de la planète, d’autre part, l’introduction de mesures concrètes par la voie démocratique nécessite du temps. D’où l’urgence de renouer avec leur lutte pacifique, toujours sous la même devise: « Rebellons-nous face à la 6ème extinction planétaire en cours ».
Une Rébellion
bien orchestrée
Tout en restant assez marginal par rapport au Mouvement pour le climat, Extinction Rebellion a été catapulté rapidement à la une des médias, dès l’automne 2019. Ceci, surtout grâce à l’impact visuel de ses actions. En Suisse romande, la région de Lausanne est devenue la principale plateforme du mouvement écologiste.
Face à une aggravation de la crise climatique qui, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), se profilerait à partir de 2030, ces nouveaux activistes témoignent de leur rage et de leur peur. Peur pour eux-mêmes, mais surtout pour les générations futures. Il en résulte, un appel à des changements concrets pour un monde nouveau.
Leur détermination est sans compromis. Leurs revendications, sans concessions. Ils dénoncent « l’inaction des politiques » et poussent pour une politique énergétique suisse bien plus ambitieuse.
Nous sommes un mouvement complètement horizontal. Nous n’avons pas de leader.
Max (prénom emprunté), militant d’XR Lausanne
Bref, c’est de l’anarchie ultra-structurée.
“Tout d’abord, nous voulons que le Conseil fédéral dise la vérité sur la situation climatique dans laquelle nous nous trouvons et qu’il déclare l’état d’urgence pour le climat et la biodiversité”, explique Benoît (prénom emprunté), l’un des 500 militants lausannois d’XR.
« Deuxièmement, nous exigeons l’introduction de mesures drastiques pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2025. Finalement, nous demandons la création, dans notre pays, d’assemblées citoyennes, ayant la responsabilité de veiller sur la mise en œuvre effective de telles mesures de protection de l’environnement”.
Les revendications de ces militants environnementalistes témoignent de leur désaffection envers les politiciens. Depuis plusieurs décennies, ils attendent des élus qu’ils écoutent les appels des scientifiques et qu’ils prennent des mesures efficaces pour la sauvegarde de la planète. « En vain », soutient Benoît.
Le constat, sans équivoque, incite ces militants à organiser des actions d’entrave au système politique établi. Cela, afin de forcer la classe politique à agir plus rapidement pour assurer aux générations futures des conditions viables sur Terre.
Pas de chef, pouvoir partagé
La transformation des processus décisionnels prônée par XR vise à toucher tous les domaines de vie social et économique. Ce modèle sociétal alternatif est loin d’être une simple théorie. Il est en revanche testé directement dans le fonctionnement interne de sa branche lausannoise.
“Nous sommes un mouvement complètement horizontal et décentralisé. En Suisse, nous n’avons pas de leader, contrairement au Royaume-Uni. Bref, c’est de l’anarchie ultra-structurée”, explique Max, membre du groupe de travail « Médias et communication » d’XR Lausanne. Le jeune homme est l’un des 12 activistes qui a donné naissance à la branche locale du mouvement dans le chef-lieu vaudois.
Entre octobre 2019 et mars 2020, Max a contribué à développer cette forme alternative de gestion du pouvoir au sein d’XR Lausanne. Une organisation horizontale structurée en « petites patates », les groupes de travail (GT). Ils sont reliés entre eux par le « Groupe de coordination » composé d’un délégué de chaque GT, élu pour la durée de six mois.
EN VIDÉO – Max, militant XR: Le partage du pouvoir au sein d’XR Lausanne
Opérant par des cellules d’une dizaine de personnes, le mouvement écologiste est très organisé. Cette structure n’empêche toutefois pas à ses membres de garder une grande liberté individuelle, un autre principe fondateur d’XR. Une liberté qui touche les modalités d’engagement, mais aussi l’assiduité de participation aux actions.
Le fonctionnement interne du mouvement devient donc le lieu d’expérimentation de leurs revendications au changement. Ecoute profonde, holacratie (forme de gouvernance fondée sur une répartition des responsabilités communes à tous), rôles dirigeants alternés, groupes de travail autonomes: voilà les piliers sur lesquels se fonde XR Lausanne.
Les différents GT se rencontrent en moyenne une fois par semaine. En leur sein,
les militants mettent à disposition gratuitement leur temps et leurs compétences.
Au-delà de ce travail bénévole, l’activité d’XR est financée par des donateurs anonymes et des entreprises qui offrent un soutien logistique.
Le prix
de la désobéissance
Tant que des mesures politiques contraignantes en faveur de la planète ne seront pas mises en œuvre, ils poursuivront leur lutte. En désobéissant. La désobéissance civile est l’instrument principal du mouvement pour donner une empreinte durable à la société future. Car pour les militants d’XR, la désobéissance civile trouve sa légitimité dans l’urgence de sauver non seulement l’humanité, mais toute forme de vie sur Terre.
Mais la méthode choisie par le mouvement écologiste n’est pas anodin.
La désobéissance civile qu’il pratique peut coûter cher à ses militants. Car les risques juridiques sont conséquents. Ceux-ci ne dissuadent toutefois pas les activistes d’XR de poursuivre leur combat.
Face à une inaction de l’État,
Me Marie-Pomme Moinat, avocate et observatrice légale
il doit pouvoir y avoir une voix qui fasse entendre l’urgence climatique.
“Si on prend l’exemple des blocages de route, comme il y en a eu à Lausanne, les militants risquent une peine de 40 jours-amende à 30 francs par jour”, explique l’avocate Irène Wettstein. Elle est l’initiatrice de la figure de l’observateur légal présent aux manifestations d’XR, une sorte de casque bleu du climat.
“La peine est avec sursis, mais en cas de récidive ou de non-paiement, elle est appliquée en jours de prison”. En ajoutant à ce montant une contravention de 600 CHF et des frais de justice de 200 CHF, les coûts peuvent dépasser les 2’000 CHF.
La question de savoir, si cette forme de désobéissance civile en faveur de la vie sur Terre est condamnable ou pas, n’arrête pas d’enflammer le débat parmi les juristes.
En particulier, après l’acquittement de 12 militants du climat par le Tribunal de police de l’arrondissement de Lausanne, le 13 janvier 2020.
Nœud de la controverse: la légitimité du recours à la notion « d’état de nécessité » pour acquitter des militants écologistes inculpés d’infraction à la propriété privée. Plusieurs juristes soutiennent que dans ce cas précis, les conditions ne soient pas données pour recourir à l’article 17 du code pénal suisse. A l’instar de l’avocat lausannois Laurent Moreillon, pour qui le danger n’est ni imminent, ni évitable avec les actions d’XR.
AUDIO – Me Laurent Moreillon: L’état de nécessité ne peut être invoqué pour justifier la désobéissance civile
Un avis que Me Marie-Pomme Moinat ne partage pas. “Face à une inaction de l’État, qui ne respecte pas ses engagements internationaux, il doit pouvoir y avoir une voix qui fasse entendre l’urgence climatique”, déclare l’avocate lausannoise, présente à une manifestation d’XR en septembre 2019 en tant qu’observatrice légale.
Selon la juriste vaudoise, la démocratie suisse pourrait bénéficier des mouvements tels qu’XR pour faire bouger le droit. Car la lenteur du processus démocratique helvétique, le rend incapable de réagir rapidement face à l’urgence climatique et ne lui permet pas de prendre les mesures urgentes nécessaires.
Des revendications
qui divisent
Au-delà de leur légitimité et des conséquences juridiques, les méthodes et les positions de ces rebelles du climat font débat, en particulier au sein du monde universitaire.
Le large soutien de la communauté scientifique est témoigné par la publication, le 21 octobre 2019, d’une lettre ouverte en faveur de l’engagement d’XR. L’article, publié dans le quotidien Le Temps, était signé par une centaine d’académiciens. Parmi eux,
le prix Nobel de chimie Jacques Dubochet et le philosophe franco-suisse Dominique Bourg, professeur honoraire de la Faculté des géosciences et de l’environnement à l’Université de Lausanne.
Dominique Bourg est catégorique: « Depuis le sommet de Rio, les résultats sont précaires. Chaque année, les émissions de CO2 augmentent et la Terre se réchauffe plus vite qu’on le prévoyait. Si on lit les rapports scientifiques, c’est effrayant! Ce que recherche XR, c’est d’être plus efficace qu’on l’a été jusqu’ici. Dans ce mouvement, je vois l’expression d’une panique face aux changements climatiques. »
Le professeur émérite soutient que les membres d’XR sont plus conscients du danger que beaucoup d’autres personnes. Il considère le mouvement comme une sorte d’aiguillon qui contribue à accroître le souci écologique dans la population, ainsi qu’un moteur du débat politique. Selon Dominique Bourg, l’engagement civique d’XR ne doit donc pas être considéré inutile pour le discours écologiste.
Le professeur émérite craint toutefois que si la politique n’arrivera pas à donner des réponses concrètes et rapides, XR sera devancé par d’autres mouvements écologistes. Des mouvements qui, fatigués d’attendre, passeront inévitablement à la violence.
Mais au sein du monde académique, les revendications et les méthodes d’XR se heurtent aussi à des voix critiques.
« Les militants d’XR ne sont pas crédibles, contrebat Suren Erkman, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement à l’UNIL. Ils donnent l’image de s’appuyer sur des données scientifiques, mais en réalité ils ne sont pas informés. C’est dangereux. Ce mouvement est un bon exemple de la globalisation. Netflix et XR c’est le même combat: des produits standardisés! »
Pour Suren Erkman, le message d’XR est un aveu d’impuissance. Il se dit être un « climato-rationnel », s’opposant ainsi aux « climato-dogmatiques » qui, à son avis, mêlent idéologie, écologie et agenda politique.
Tout en affirmant d’être bien conscient des défis climatiques qui attendent l’humanité,
il qualifie d’irréalistes les délais exigés pour mettre en œuvre le changement. « XR n’aura pas la moindre chance de changer les choses », exclame-t-il, invitant à rester factuels dans le débat climatique.
Selon le professeur lausannois, un vrai tournant écologique pourra se concrétiser grâce au développement technologique. Des avancées qui, à l’avenir, permettront notamment une gestion meilleure des ressources de la planète et une réduction de l’énergie nécessaire.
Peu de temps, beaucoup de détermination
Pour atteindre ses objectifs au plus vite, le réseau écologiste prône finalement une transformation radicale des modes de production et de consommation, une « croissance verte » n’étant pas envisageable.
Ces nouveaux rebelles pour le climat sont pressés. Car ils estiment que le péril pour les espèces vivantes sur notre planète est désormais imminent. Ils se sont donné jusqu’à fin 2021 pour changer le système et éviter ainsi la catastrophe climatique. Quoi qu’il en coûte. « L’enjeu est aujourd’hui tel, que si nous n’y arrivons pas, qu’est-ce qui va se produire?”, s’inquiète Max.
L’activisme est épuisant et stressant. Parfois même dangereux. Garder les forces et la motivation sur la durée, c’est un défi majeur pour ces militants, à la fois pacifiques et tenaces. Et d’une chose, ils sont tous convaincus : Extinction Rebellion est voué à disparaître seulement le jour, où leurs revendications seront devenues réalité.
Texte et multimédia: Davide PESENTI
Photos: Unsplash, Jacqueline Pirszel, Davide Pesenti