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Fin de carrière : le parcours du combattant

Là où certains sont rejetés par leurs employeurs, d’autres travaillent encore au-delà de la retraite. Quand on devient un « senior », la vie professionnelle change. Rarement pour le meilleur.
Vous avez 50 ans, vous travaillez déjà depuis plusieurs décennies. En rythme de croisière, parmi les récifs ou sur les sommets, la vie avance. Mais attention, car les vingt années à venir comprendront sûrement quelques écueils. Comme Jérôme, vous pourriez tomber au chômage et ne plus en sortir. Comme Günther, vous descendrez peut-être dans la hiérarchie. Pour arriver à une fin de carrière précoce comme Pascal, ou au contraire plutôt longue, comme Daniel. Une fois retraité comme Marcel, il vous faudra encore éviter le désœuvrement.

55 ans

Trop âgé pour être engagé ?

Après avoir été employé plusieurs décennies par une grande entreprise suisse, Jérôme* est victime d’un licenciement collectif en 2011, à l’âge de 55 ans. Plan social, chômage et mesures de réinsertion, rien n’y fait : Bientôt six ans plus tard, ce technicien en électronique n’a toujours pas retrouvé de poste fixe. Les contrats temporaires et les jobs non qualifiés s’enchaînent, les fins de mois sont difficiles.

« Ils ne veulent pas de moi, parce que je suis vieux. »

Jérôme fait partie de ces travailleurs âgés dont le marché du travail ne veut plus. Le mois dernier, il a postulé sans succès pour une offre d’emploi correspondant à ses qualifications. Or celle-ci a été republiée plusieurs fois, signe que l’entreprise ne trouve personne d’autre. Mais pour un senior, la porte est close.
Jérôme doit attendre encore quatre ans avant de pouvoir toucher l’AVS. « D’ici-là, on fait avec. Heureusement que ma femme trouve encore du travail. » Les mesures de réinsertion orchestrées par l’Office Régional de Placement (ORP) ne lui ont servi à rien. Il sait faire un CV, a suivi des cours d’informatique et se dit ouvert aux propositions, mais il ne trouve pas de place stable. L’avenir ne s’annonce pas plus radieux : il gagne trop peu pour pouvoir épargner pour la retraite.
 

Augmentation du nombre de chômeurs en Suisse (milliers)


Source: OFS, 2017

La discrimination à l’embauche selon l’âge est une pratique courante en Suisse, et la législation ne permet pas de sanctionner les entreprises qui discriminent. En 2016, l’Office Fédéral de la Statistique dénombrait 29’000 chômeurs de plus de 55 ans. Responsable du programme Avant’Age pour la fondation Pro Senectute, Stéphane Der Stépanian estime que les statistiques officielles sont édulcorées: « Personne n’a intérêt à montrer les signes de fatigue et de tristesse économique. » Mais en réalité, une fois au chômage, près d’un senior sur deux ne retrouverait plus de travail et disparaitrait dans les méandres de l’aide sociale.

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58 ans

Descendre une marche

Chez les seniors, le chômage touche environ un actif sur trente. Mais ceux qui ne perdent pas leur travail ne sont pas pour autant assurés d’une fin de carrière facile. Soumis à la concurrence des plus jeunes, usés par le travail, parfois diminués physiquement, les travailleurs âgés doivent sauvegarder leurs acquis et lutter contre leur image de « vieux » moins performants et plus coûteux.
A 58 ans, Günther Lampl dirige le restaurant du personnel du siège de Migros à Zurich. C’est un pas en arrière, puisque ce manager supervisait auparavant plus d’une dizaine de magasins. Moins de personnes à charge, des horaires plus légers, quitte à avoir un salaire diminué, pour cet employé c’est une démarche volontaire. Migros met en avant depuis quelques années ce concept de « carrière en arc », autrement dit une carrière qui monte, puis qui redescend.

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Pour le premier employeur du pays, la « carrière en arc » doit permettre aux travailleurs seniors de rester plus longtemps dans le monde du travail, tout en évitant de les épuiser. Mais cette voie reste marginale, puisque chez Migros seules 15 personnes sur 100’000 employés s’y sont engagées. C’est qu’il faut pouvoir se le permettre. Dans la majorité des cas, les employeurs tentent plutôt de se débarrasser de ceux qu’ils considèrent facilement comme des poids morts.
Selon Pro Senectute, il faut surtout changer la mentalité dans les entreprises. Dans certains domaines il est possible d’adapter le travail et d’aménager des transitions, à condition que les employeurs cessent de raisonner uniquement en termes de coûts et de rentabilité immédiate. Les syndicats, eux, mettent en garde. Si mieux vaut prévenir que pousser les salariés à bout, l’important est de garantir un revenu décent et de respecter les droits acquis. Car à quelques années de la retraite, le niveau de salaire est déterminant pour le niveau de la retraite qui suivra. Ces démarches ne doivent donc pas être des démarches unilatérales de l’employeur.
 

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60 ans

Partir d’un coup

Lorsque arrive l’heure de la retraite, la transition peut être difficile. Surtout si l’on ne s’est pas suffisamment préparé, comme Pascal Emery. A presque 60 ans, ce directeur d’école était au sommet de sa carrière quand il y a mis un terme. Lorsque son épouse est devenue conseillère d’État, il a souhaité éviter les conflits d’intérêt et s’est résolu à prendre une retraite anticipée. Il a du plier bagages en trois semaines.

« Du jour au lendemain, on n’existe plus. »

Les premiers jours ont été difficiles. Avoir ses journées libres certes, mais comment les occuper ? Pascal Emery s’est empressé de trouver des activités et des projets à faire pour combler sa peur du vide. Car la fin du travail c’est aussi la fin des responsabilités, la fin des courriels, la fin des pauses café avec des collègues qu’on voyait tous les jours. Vivre chez soi, seul et désœuvré, c’est une angoisse. Les personnes qui prennent une retraite anticipée sont particulièrement sujettes à cette peur du vide, puisqu’elles ne se retrouvent pas tout de suite accompagnées par leurs conjoints ou leurs contemporains.
Pour préparer leurs employés et anticiper ce genre de difficultés, des entreprises inscrivent leurs seniors à des formations à la retraite. A Genève, la fondation Force Nouvelle dispense chaque année plusieurs séminaires, auxquels s’inscrivent des employés des grandes entreprises de la place. Prévoyance économique, assurances, santé, alimentation, vie de couple, etc. Pour son responsable Jean Ramazzina, « la retraite c’est une nouvelle carrière. » Mais tout le monde n’a pas l’occasion de se préparer de la sorte. Certaines entreprises ne financent pas de tels cours, et beaucoup de futurs retraités ne font pas les démarches eux-mêmes pour s’y inscrire.
Trois ans après avoir pris sa retraite anticipée, Pascal Emery s’est habitué à ne plus être un professionnel hyperactif. Il fait même ses courses la journée, « comme un retraité ». Mais il trouve toujours bizarre d’être classé dans la même catégorie sociale que des personnes qui ont vingt ans de plus que lui.

 

66 ans

Partir plus tard

Ce mardi 31 janvier 2017, Daniel Rapin vit sa dernière journée de travail. Cet architecte travaille dans le même bureau lausannois depuis plus de quarante ans. Il a aujourd’hui 66 ans. Autrement dit, il est au-delà de l’âge de la retraite. Il aurait pu partir depuis plus d’une année, mais n’a pas voulu couper trop rapidement.
C’est que Daniel Rapin est un pilier de son entreprise. Plus ancien partenaire en activité, il est la mémoire du bureau, le responsable de plusieurs chantiers, le contact personnel auprès d’une partie des clients. Une année de travail à temps partiel lui a donc été nécessaire pour se préparer. Pour transmettre ses dossiers, pour mettre de l’ordre dans ses archives et pour se préparer mentalement. Lui se sent prêt pour la retraite, mais il n’aurait pas pu partir plus vite.
A l’image de cet architecte, de nombreux dirigeants, entrepreneurs et travailleurs indépendants ont de la difficulté à cesser leur activité. Parce qu’ils n’arrivent pas à la transmettre, qu’ils en sont les responsables, parce qu’ils s’y sentent épanouis, ou tout simplement parce qu’ils ont besoin d’argent.
Ils ne sont pas les seuls. Nombres d’employés ont une prévoyance vieillesse insuffisante. Sans troisième pilier et avec un deuxième pilier faible ou inexistant, les rentes AVS ne permettent pas de vivre décemment. Pour ces différentes raisons, environ 12% de la population suisse reste active sur le marché du travail au-delà de 65 ans.

 

72 ans

Après la retraite, le bénévolat ?

Une fois retraité, il faut trouver un nouveau rythme. C’est un défi pour les quelque 85’000 personnes qui arrivent à l’âge de la retraite cette année en Suisse. Marcel Aguet, lui-même retraité, organise bénévolement des formations à la retraite pour le compte du réseau Innovage. Selon lui, beaucoup de retraités se retrouvent désœuvrés, alors qu’ils ont de l’expérience à apporter à la société.

« C’est une nouvelle vie qui commence. »

Pas question pour autant de se remettre à travailler. Pour Marcel Aguet, les retraités actuels sont mieux lotis que d’autres grâce à leurs rentes. Ils ne doivent donc pas occuper des places de travail qui sont destinées aux plus jeunes. Pour être utile à soi et aux autres, cet ancien conseiller financier recommande le bénévolat. Une idée largement partagée, puisque les jeunes retraités sont la part de la population qui est la plus active dans ce domaine : plus de 41% des 65-74 ans ont des activités bénévoles.
 

* Prénom d’emprunt

Texte: Etienne Kocher
Photos: Etienne Kocher, Keystone, Xing

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