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Fini les antidépresseurs, place au LSD

LSD, psilocybine et MDMA peuvent soigner certaines maladies. La Suisse occupe une place prépondérante dans la recherche et des centres médicaux proposent déjà des thérapies psychédéliques. Néanmoins, des patients passent par le milieu underground. Or, la pratique n’est pas sans risque.

« L’ayahuasca m’a sauvé la vie. » Les paroles sont fortes, mais Juan Pablo L’Huillier n’exagère pas: le Vaudois allait recourir à Exit, mais a fini par y renoncer. Atteint par une neuropathologie dégénérative et auto-immune, il ne pouvait plus marcher, devenait aveugle et souffrait énormément.

Des résultats hallucinants

L’inscription a Exit finalisée, un ami lui propose de prendre de l’ayahuasca, une substance hallucinogène issue d’une plante, « pour partir en paix ». Juan Pablo L’Huillier accepte.

Mais après la prise, la douleur s’estompe. Aujourd’hui, il marche à nouveau et consomme de l’ayahuasca toutes les trois semaines pour garder la douleur sous contrôle. Comment est-ce possible? Juan Pablo L’Huillier décrit son ressenti et explique comment les différentes substances contenues dans le psychédélique ont agit sur lui.

VIDEO: Juan Pablo L’Huillier explique les effets de l’ayahuasca

Le cas de Juan Pablo L’Huillier est particulièrement impressionnant, mais il n’est pas isolé. En novembre dernier, une étude américaine sur la psilocybine, la substance psychédélique présente dans les champignons hallucinogènes, a été publiée dans The New England Journal of Medicine.

Des patients souffrant de dépression sévère (34 points sur les 60 que compte l’échelle Montgomery-Asberg) ont vu la gravité de la pathologie diminuer de manière significative. Après l’ingestion d’une seule micro-dose de psilocybine, le score sur l’échelle précitée a baissé de 12 points. Après six mois, les effets de la substance agissaient toujours. De plus, alors que des antidépresseurs doivent être ingérés quotidiennement, seules deux capsules de psilocybine par an suffiraient.

La recherche ne se développe pas uniquement dans le monde anglosaxon: la Suisse est sur le devant de la scène. Et ce également dans l’histoire des psychédéliques: c’est à Bâle que le LSD a été découvert. En 1943, Albert Hofmann a isolé le diéthylamide de l’acide lysergique (LSD) à partir de l’ergot du seigle, un champignon parasite.

Il aurait alors ingéré accidentellement un peu de la substance. Face aux effets hallucinants du LSD, il en consomme, volontairement cette fois, pour en apprendre plus. La recherche s’est ensuite développée et exportée, avant de connaître un sévère coup de frein entre la fin des années 1960 et le début des années 1970. Soit au moment où le président des Etats-Unis Richard Nixon a déclaré la « guerre contre les drogues ». Le LSD a progressivement été interdit en Occident.

Concrètement, à quoi peuvent servir les psychédéliques? « La MDMA s’est avérée sûre et efficace dans le traitement des troubles post-traumatiques ou de l’anxiété sociale », note le psychiatre et professeur à l’université de Fribourg Gregor Hasler. Les études et thérapies portent aussi sur les dépressions graves. Le psychiatre ajoute que « le LSD, combiné à la psychothérapie, peut aider à créer un espace pour de nouvelles perceptions, expériences et comportements ».

Si certains psychiatres ont testé les thérapies psychédéliques avec leurs patients, des hôpitaux ont aussi mis en place des protocoles. Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), le centre d’addictologie a monté une équipe de recherche qui propose depuis 3 ans de telles thérapies. 

Le cerveau met en place des mécanismes d’évitement pour bloquer [l'accès aux émotions négatives], mais les psychédéliques les affaiblissent et permettent au patient de faire face à ces émotions parfois très intenses. Federico Seragnoli, psychologue aux HUG

Daniele Zullino, médecin-chef du service d’addictologie des HUG

Le médecin-chef du service Daniele Zullino tire un premier bilan « très positif » avec des résultats « parfois spectaculaires ». Comment se déroule une thérapie assistée par psychédéliques aux HUG? Dans une salle dédiée, le patient ingère une micro-dose de la substance, se couche sur un matelas et écoute de la musique. Il est alors surveillé durant 12 heures.

Mais la démarche ne s’arrête pas là. Daniele Zullino en souligne la complexité: avant l’ingestion, plusieurs séances de préparation sont parfois nécessaires, et surtout, une séance dite d’intégration suit la prise du psychédélique.

« Ces substances permettent d’accéder à des émotions, notamment négatives. Le cerveau met en place des mécanismes d’évitement pour bloquer cet accès, mais les psychédéliques les affaiblissent et permettent au patient de faire face à ces émotions, parfois très intenses », explique Federico Seragnoli, psychologue aux HUG et cofondateur de la fondation Awareness Lectures on Psychedelics in Switzerland. En ayant accès à ces émotions et aux  souvenirs refoulés, il est possible de soigner la cause même de la pathologie.

Les effets des psychédéliques sur le cerveau, notamment du LSD, ont été observés à l’université de Zurich. L’imagerie cérébrale a montré que « l’amygdale, le centre émotionnel du cerveau, modifiait sa façon d’interagir avec d’autres régions du cerveau », a relevé la neuropsychologue Katrin Preller dans les colonnes de National Geographics

Effets secondaires et risques

Les résultats sont toutefois à nuancer: « En fait, le psychédélique est un outil. Il accompagne une psychothérapie, il ne guérit pas tout seul la pathologie, relève Daniele Zullino. Ce n’est pas la panacée, ça ne marche pas avec tout le monde. Les attentes sont parfois exagérées. »

Federico Seragnoli est psychologue aux HUG

De plus, la pratique n’est pas sans risque. Aux HUG, les candidats atteints d’une pathologie cardiaque, d’épilepsie ou encore de schizophrénie ne sont pas admissibles. « Les effets secondaires peuvent aller de la nausée aux envies suicidaires en passant par une fragilisation des valves cardiaques. Mais, si l’on est admis dans un cadre thérapeutique légal, en Suisse, il n’y a pas vraiment de risques majeurs », note Federico Seragnoli.

Mais le psychologue n’évoque pas le bad trip, dont le risque est bien réel. Après une première expérience positive avec de la psilocybine, un jeune Français, qui souhaite garder l’anonymat, s’est essayé au LSD. La première expérience, récréative, lui a fait découvrir le potentiel d’introspection des psychédéliques.

« J’étais en connexion avec la nature, c’était émouvant, je me disais que la vie valait la peine d’être vécue dans sa simplicité, j’étais pris par des bouffées d’extase… », raconte-t-il. Sauf que la deuxième expérience tourne au bad trip. Précisons qu’il n’est pas question de thérapie en centre hospitalier ici, mais bien d’une consommation dans un cercle privé.

AUDIO: Témoignage d’un consommateur ayant un fait un bad trip au LSD


C’était il y a quatre ans. Le Français souffre encore de crises d’angoisse dues à ce bad trip et compte suivre des séances de psychothérapie. « Maintenant j’ai un travail à faire pour comprendre ce qui s’est passé. Je pense que j’ai consommé au mauvais moment, car je souffrais déjà de troubles anxieux. Je n’avais pas pris en compte le setting, soit l’environnement dans lequel j’étais situé et je n’en ai pas discuté après. J’ai tout intériorisé et gardé pour moi. »

Le risque de bad trip peut toutefois être amoindri en prenant quelques précautions. Adam Amrani, étudiant en psychologie clinique à l’université de Fribourg et coorganisateur de la fondation ALPS (Awareness lectures on psychedelic science), liste les quatre aspects à prendre en considération. « Il y a le set, c’est-à-dire comment se sent la personne, où elle en est dans sa vie. Ensuite il y a le setting, donc l’environnement. Il ne faut pas oublier le sitter, soit une personne qui accompagne le consommateur durant le trip et qui pourra le guider si l’expérience devient délicate. Finalement, il y a la substance. »

L'attrait de l'underground

Tant Juan Pablo L’Huillier que le jeune Français ont consommé des psychédéliques avec un but thérapeutique, mais sans passer par une structure médicalement. Tous deux ont consommé dans le milieu underground, donc illégalement. Ils ont d’ailleurs refusé de nous expliquer de quelle manière ils se fournissent.

Ils ne sont de loin pas les seuls à passer par ce milieu. La preuve avec un groupe Facebook privé, appelé « Commuanuté psychédélique francophone », fort de plus de 2900 membres. Ces derniers y postent leurs questions, conseils ou témoignages quotidiennement. Beaucoup viennent y chercher des renseignements pour limiter les risques de mauvaises expériences.

Par ailleurs, en dehors du cadre hospitalier, les consommateurs n’ont pas attendu médecins et autres textes de loi pour prendre leurs précautions. Des guides de bonnes pratiques circulent sur Internet, à l’instar de Psychédéliques. Manuel de réduction des risques, publié par la Société psychédélique française.

Cet attrait pour l’underground, les médecins le connaissent. La psychologue Svea Nielsen, fondatrice de l’Association psychédélique de Suisse Eleusis, l’affirme et glisse même qu’il existe des thérapeutes qui envoient leurs patients dans l’underground.

AUDIO: La psychologue Svea Nielsen et l’accès aux thérapies psychédéliques


Svea Nielsen, psychologue et fondatrice d’Eleusis

Pour la psychologue, l’un des problèmes repose sur l’accessibilité aux thérapies psychédéliques dans un cadre médical. En effet, aux HUG seuls 60 patients ont été traités jusqu’en 2022, et 300 sont en liste d’attente, révèle Daniele Zullino. Sans compter que parmi ces derniers, certains ne seront pas recevables en raison de pathologies, comme l’expliquait plus haut Federico Seragnoli.

« La démarche est très restrictive, car les psychédéliques sont considérés comme des drogues et non comme des médicaments, même dans ce cadre », souligne le psychologue. Pour chaque patient, les HUG doivent obtenir l’accord de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Pour cela, le patient doit prouver que les psychédéliques sont la solution de la dernière chance.

Mais ce n’est pas la seule raison qui peut pousser un patient à sortir du cadre hospitalier. Il y a aussi des motivations spirituelles. Juan Pablo L’Huillier y accorde beaucoup d’importance.

VIDEO:  Juan Pablo L’Huillier et les cérémonies d’ayahuasca

Dans le monde médical, d’aucuns pensent que faciliter l’accès à la thérapie psychédélique n’aurait pas d’impact sur le milieu underground. « Je peux vous garantir que ceux qui en ont besoin et qui en font la demande auront accès aux thérapies psychédéliques dans un temps pas si lointain. Oui, le risque d’un marché illégal existe, mais ce n’est pas en baissant les exigences pour entrer en thérapie que l’on va résoudre ça », affirme Daniele Zullino.

Federico Seragnoli ne partage pas cette opinion: « Rendre l’accès à ces substances plus facile pourrait diminuer l’automédication, parce que les gens auront de plus nombreuses possibilités de consulter des spécialistes. » Quoi qu’il en soit, ces deux points de vue pointent du doigt le débat sur la légalisation des psychédéliques.

Faut-il légaliser les psychédéliques?

En Suisse, les psychédéliques tombent sous le joug de la Loi fédérale sur les stupéfiants et les psychotropes. Il existe toutefois un certain flou, notamment autour de l’ayahuasca. En effet, la substance est utilisée lors de cérémonies cultuelles amazoniennes. Or, la Suisse garantie la liberté des religions. Certains usent de cet argument pour légaliser leur consommation d’ayahuasca.

Pour autant, l’interdiction n’effraie pas certains consommateurs. C’est notamment le cas de ce Fribourgeois, adepte des trips récréatifs au LSD, qui souhaite rester anonyme. Précisons que ce consommateur dilue la substance dans de la vodka. En effet, le LSD liquide ne se conserve que dans de l’alcool ou de l’eau déminéralisée. Le LSD existe aussi sous forme de buvard.

AUDIO: Le risque d’arrestation? Même pas peur!


Du côté de la police, les arrestations liées aux psychédéliques semblent être moindres que celles liées à d’autres drogues. C’est du moins le cas dans le canton de Vaud: « En terme d’ampleur, la consommation de produits psychédéliques/hallucinogènes est très largement inférieure à d’autres produits stupéfiants comme le cannabis, la cocaïne ou l’héroïne. Ce ratio se retrouve dans les saisies policières opérées », a indiqué le porte-parole.

Sans entrer en matière sur la question de la légalisation, Daniele Zullino souligne que l’illégalité ne freine pas le développement des thérapies psychédéliques. « Le seul souci que l’on a, ce sont les autorisations de l’OFSP. Mais pour les études, tout est là. » D’autres voient des avantages à la légalisation, mais y mettrait des limites. Cet avis est notamment partagé par le Groupement romand d’études des addictions (GREA). L’un de ses membres, Maxime Mellina, explique le positionnement du groupement.

VIDEO: L’avis du GREA sur la légalisation

Autres arguments du GREA: les psychédéliques ne sont pas addictifs. Des substances autorisées comme l’alcool causeraient plus de problèmes de santé.

D’aucuns pourraient penser que les consommateurs seraient en faveur d’une légalisation totale des psychédéliques. De son côté, Juan Pablo L’Huillier nuance quelque peu: ces substances ne sont pas à prendre à la légère. « Ce sont vraiment des life-changing experiences. Elles ouvrent tous les horizons. Alors il faut faire attention, discuter beaucoup avec des gens qui savent prendre des psychédéliques pour peut-être un jour se lancer. Il ne faut pas le faire à l’aveugle. »

Angie Dafflon, le 27 avril 2023

Vidéos et sons: Angie Dafflon, Jessica Chautems et Ann-Christin Nöchel

Infographie et montages photos: Angie Dafflon

Bannière titre et chapitres: Jessica Chautems avec l’IA DeepDream

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