Des établissements scolaires vaudois et genevois font le choix de parler d’homosexualité et d’homophobie à leurs élèves. Pourquoi et comment ce sujet encore tabou est-il abordé ?
Le programme du jour est un peu particulier pour cette classe du Gymnase de la Cité de Lausanne. L’école accueille pour quelques temps l’exposition itinérante Jeunes V.S. Homophobie. Les élèves déambulent autour de panneaux explicatifs. Homophobie et homosexualité dans le monde, dans l’histoire, dans le droit suisse, témoignages de jeunes homosexuels, chacun est libre de lire ce qu’il veut et est ensuite prié de rejoindre l’animatrice. Une discussion commence alors autour des remarques et questions des élèves. Parmi eux se trouve Alana Guarino.
Aider les jeunes victimes d’homophobies –
Alana Guarino, étudiante de 20 ans
Former et sensibiliser enseignants et élèves contre l’homophobie, c’est le choix que font de plus en plus d’établissements scolaires. Sur Genève par exemple, plus de 400 enseignants et membres du personnel d’un établissement scolaire, ainsi que 2000 élèves ont été formés ou sensibilisés contre l’homophobie durant l’année scolaire 2017-2018.
Dans le canton de Genève et Vaud, ces actions sont fortement encouragées par les départements de l’instruction publique cantonaux. Elles n’ont rien d’obligatoire et se font sur une base volontaire. Les directions d’école qui décident d’aborder le sujet avec enseignants et élèves le font souvent en réponse à des actes homophobes survenus dans leur établissement.
Face à l’homophobie, il n’existe pas de solutions toutes faites. «Nous avisons au cas par cas, explique Seema Ney, cheffe de projet à l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire du canton de Vaud. Nous organisons des ateliers et formations en fonction des besoins des écoles. Souvent, la première chose à faire est de former les enseignants, leur donner des outils pour faire face aux situations problématiques.»
Former les enseignants
Comment un enseignant doit-il réagir quand un élève tient des propos homophobes ? Est-ce son rôle d’aborder le sujet en classe ? Les formations proposées aux enseignants tentent de répondre à ces questions.
«Les adultes des établissements sont formés pour identifier les formes d’homophobie et de transphobie dans le contexte scolaire, leurs répercussions et les différentes manières d’agir, entre autres quand ils sont témoins de violences physiques ou verbales basées sur l’orientation sexuelle ou plus largement l’identité de genre», explique Caroline Dayer, formatrice et experte en prévention des violences et des discriminations à Genève. Réagir à un acte homophobe, c’est intervenir auprès de l’agresseur, mais aussi de l’agressé. Les enseignants sont incités à écouter les victimes et à les orienter vers des médiateurs, si besoin.
Pour faire un pas de plus contre l’homophobie, l’idéal serait même de parler des thématiques LGBT au quotidien. «L’enjeu est de nommer ce qui reste très souvent invisible, précise la chercheuse. Par exemple en lisant un livre dans lequel un personnage est LGBT ou en utilisant un langage inclusif [en disant partenaire plutôt que petit copain, ndlr].»
Définitions*
LGBT : Qui concerne les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transgenres.
Lesbienne : Adjectif qualifiant tout élément se référant à l’homosexualité féminine, respectivement l’attirance entre femmes et à celles qui la vivent.
Gay : Adjectif qualifiant tout élément se référant à l’homosexualité masculine, respectivement l’attirance entre hommes et à ceux qui la vivent.
Bisexualité : Orientation affective et sexuelle dirigée aussi bien vers des personnes de même sexe que de sexe différent.
Trans : Adjectif qualifiant des éléments se référant à une identité de genre et/ou une expression de genre atypiques. Une personne trans ne se reconnaît pas, ou que partiellement, dans le sexe qui lui a été assigné à la naissance. La personne peut alors souhaiter entamer une transition, c’est-à-dire une évolution sociale et/ou physique lui permettant de faire plus ou moins concorder son identité de genre avec son insertion sociale et son apparence physique.
Homosexualité : Orientation affective et sexuelle dirigée vers des personnes de même sexe.
Homophobie : Sentiment irrationnel de peur et d’aversion à l’égard des LGBT, fondé sur des préjugés. Les manifestations d’homophobie comprennent la discrimination, la criminalisation, la marginalisation, l’exclusion sociale et la violence en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.
Identité de genre : Genre auquel une personne a le ressenti profond d’appartenir, indépendamment de son identité sexuée et de son orientation affective et sexuelle.
*Issues du mémento Diversité de genre et d’orientation sexuelle (DIGOS) du service de l’enseignement spécialisé et de l’appui à la formation à l’Etat de Vaud.
Sensibiliser les élèves
Pour ce qui est de la sensibilisation des élèves, l’idée est d’ouvrir un espace de discussion, de parler ouvertement d’homosexualité. Des associations LGBT sont mandatées pour venir animer des ateliers dans les écoles. A Genève, la Fédération genevoise des associations des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres et sur Vaud l’association vaudoise pour la diversité sexuelle et de genre, Vogay. Emmanuelle Anex coordonne les actions de sensibilisations pour ce canton.
Pousser à la réflexion –
Emmanuelle Anex, coordinatrice des actions de sensibilisation pour Vogay
Sensibilisation à tout âge
Si ces actions se concentrent principalement dans les écoles secondaires et primaires, les tout-petits aussi peuvent aussi en bénéficier. Pour Michèle Righettoni, enseignante à l’École de Sécheron de Genève, «il n’y a pas d’âge pour apprendre qu’il ne faut pas discriminer et que tout le monde a droit au respect. Bien sûr, avec les classes d’enfantine on va adapter notre vocabulaire.»
Homo-sentimentalité – Michèle Righettoni, enseignante
Étant elle-même lesbienne, l’enseignante se sent spécialement touchée par le sujet. «J’estime qu’il ne faut pas faire un tabou de l’homosexualité. Il existe tout un tas d’outils pédagogiques adaptés pour rendre les homosexuels visibles au quotidien sans avoir besoin d’en faire le sujet d’un atelier spécifique.»
Des jeunes davantage victimes de violence et de harcèlements
On peut se demander ce qui a motivé les départements de l’instruction publique vaudois et genevois à s’intéresser à l’homophobie spécifiquement ? Était-ce vraiment nécessaire ?
Selon la spécialiste en promotion de la santé, Seema Ney, «il est important d’aborder ces sujets étant donné que 5 à 10% de la population serait homosexuelle ou en questionnement. À l’échelle d’une classe, cela correspond à un ou deux élèves. S’ajoutent à cela les enfants qui vivent dans une famille arc-en-ciel, c’est-à-dire où au moins l’un des parents se définit comme LGBT.»
Mais si l’homosexualité est présente à l’école, l’homophobie l’est plus encore. L’orientation sexuelle, qu’elle soit réelle ou perçue, serait la deuxième cause de harcèlement à l’école d’après une étude américaine. Plus proches de nous, deux études menées sur le canton de Vaud et Zurich en 2017 ont montré que les jeunes avec une orientation non exclusivement hétérosexuelle sont plus fortement exposés aux violences et au harcèlement.
Les clichés de genre ont la peau dure
Il n’y aurait d’ailleurs pas que les homosexuels qui sont la cible d’homophobie. «Même des élèves qui se définissent comme hétérosexuels en sont victimes. Très souvent, il suffit de transgresser les codes de genre pour être la cible de violence», mentionne Caroline Dayer. Un garçon qui fait de la danse pourra ainsi être traité de « pédé ». Pire encore, cette insulte a été banalisée et est presque rentrée dans le langage courant. On peut l’utiliser sans réaliser sa signification et sans avoir des intentions homophobes.
Ce genre de propos est fréquents dans les écoles, comme en témoigne Anabel Gonzalez, élève d’un collège genevois.
«Beaucoup d’élèves souffrent des discriminations homophobes.» – Anabel Gonzalez, élève de 16 ans
Ces discriminations ont ensuite des conséquences négatives sur la santé des élèves. «Parfois, les jeunes LGBT se sentent complètement isolés. Encore maintenant en 2019, certains n’osent pas en parler à leur famille de peur d’être rejetés. Ce manque de soutien familial est d’ailleurs une spécificité de l’homophobie et de la transphobie», poursuit Caroline Dayer. «Suivant ce qu’ils ont entendu à la maison, ils considèrent cela comme une maladie, quelque chose de dangereux», ajoute Carolyn Genoud, médiatrice et enseignante à l’établissement scolaire des Bergières à Lausanne.
Mais ce qui révèle l’urgence de la situation, c’est le taux de suicide qui en découle. En Suisse, le risque de tentatives de suicide est deux à cinq fois plus élevé chez ces jeunes que chez leurs camarades et la moitié de ces tentatives surviennent avant l’âge de 20 ans.
Un rôle nouveau pour l’école ?
Cet enjeu de santé publique a permis de mobiliser les politiques. En 2009 se tenaient les premières Assises contre l’homophobie à Genève. Suite à cela, «fin 2011, Vaud et Genève ont été pionniers en créant un poste de chef de projet [une fonction aujourd’hui supprimée, ndlr], cofinancé par les deux cantons, raconte le docteur Olivier Duperrex, responsable de l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire du canton de Vaud. Il avait pour mission de préparer du matériel et de mettre en place des actions de sensibilisation ciblant l’homophobie.» S’ensuit toute une série d’actions de prévention qui se poursuivent encore aujourd’hui dans ces deux cantons.
Dans le même temps, le canton de Vaud fait inscrire explicitement l’exclusion de toute violence homophobe du comportement des élèves dans sa loi sur la scolarité obligatoire et son règlement d’application. Par ce cadre légal, le département s’engage officiellement à informer et créer des actions visant à réduire les inégalités entre élèves notamment liées à l’orientation sexuelle.
Discriminations de tout type bannies de l’école
Ailleurs, il n’existe pas de cadre aussi explicite. Le plan d’étude romand instauré en 2010 mentionne les discriminations en général sans autres spécifications. Il indique que l’élève doit être amené à «reconnaître l’altérité (…) en exerçant une attitude d’ouverture qui tend à exclure les généralisations abusives et toute forme de discrimination.
D’après le président de la Société pédagogique vaudoise Gregory Durand, «la discrimination, au sens large et de facto homophobe doit être traitée à l’école car cela fait partie de la notion du Vivre ensemble. Installer un cadre de bienveillance et de respect d’autrui est un des rôles à part entière de l’enseignant.» Un avis partagé par Seema Ney, spécialiste en promotion de la santé.
Un climat sain à l’école –
Seema Ney, cheffe de projet à l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire du canton de Vaud
Au bon vouloir de la direction
L’école se doit donc de garantir un climat sécurisant pour tous. Mais de fait, rien n’oblige un établissement ou un enseignant à mentionner l’homosexualité ou l’homophobie à ses élèves. Cela dépend toujours de son bon vouloir. Les pratiques restent donc très disparates selon les cantons.
Pour convaincre la direction de son établissement d’instaurer des interventions au sujet de l’homophobie auprès des élèves de première année, Corine Fleury a par exemple du argumenter ferme. La doyenne du Collège et école de commerce André-Chavanne à Genève est finalement parvenue à ses fins.
«Pour convaincre la direction, ce n’était pas gagné d’avance.» – Corine Fleury, doyenne d’un collège
Éducation sexuelle, un autre moyen de parler d’homosexualité
Par contre, ce qui est obligatoire, ce sont les cours d’éducation sexuelle dans lesquels les thématiques LGBT sont abordées. Ces cours ont lieu très ponctuellement: cinq sessions de deux périodes sont réparties dans le cursus scolaire de l’élève. Devenus obligatoires dans toute la Suisse dans les années 1990, ces cours sont donnés par des spécialistes en Romandie – tandis qu’en Suisse alémanique, ce sont les enseignants eux-mêmes qui s’en chargent.
«Le contenu de nos programmes se base sur les standards européens de l’éducation sexuelle édités par l’OMS, explique Anouk Arbel, cheffe du service d’éducation sexuelle de la fondation vaudoise PROFA. Les thématiques LGBT peuvent déjà être abordées avec des enfants de 6-7 ans. Certains ont deux mamans, d’autres ont des membres de leurs familles qui sont homosexuelles, c’est un fait. On ne fait que parler de la réalité qui les entoure.» Plus tard, avec les préados et les adolescents, viendront les questions de sexualité qui seront abordées en partant des questionnements des élèves.
Si des réactions négatives de parents surviennent, selon Anouk Arbel, elles restent rares. «Nous sommes parfois confrontés à des parents très soucieux qui ont peur d’une soi-disant hypersexualisation. Mais nous organisons des séances d’information préalables pour leur présenter le programme et répondre à leurs questions. Si vraiment, ils ont toujours la possibilité de faire une demande de dispense pour leur enfant. Toutefois, cela arrive rarement. Sur les 40’000 élèves vaudois que nous voyons chaque année, il y a moins de 0,2% de demandes.»
Accepté par les parents
Les parents semblent bien accepter que le fait que l’homophobie est abordée dans les classes. «A ma connaissance, il y a des réactions isolées, certes, mais globalement nos initiatives sur le sujet sont bien reçues par les parents, annonce Seema Ney. C’est une thématique à traiter comme une autre, au même titre que le racisme ou d’autres types de discriminations.»
Avoir des professionnels qui abordent la question de l’homosexualité à l’école, peut même être un soulagement pour certains parents. «Cela reste un sujet qui peut être difficile à aborder pour certaines personnes, avance Anne Thorel Ruegsegger, secrétaire générale de la Fédération genevoise des associations de parents d’élèves de l’enseignement obligatoire. Cela offre un relais, un angle par lequel entamer une discussion.»
Texte et multimédia Nathalie Jollien
Photos Nathalie Jollien, Pixabay, Unsplash