Acheter son logement n’a jamais été aussi avantageux. Les taux hypothécaires ont fortement diminué depuis 2008 et n’ont jamais été aussi bas. Mais le chemin de l’acquisition reste semé d’embuches.
Les taux hypothécaires battent des records à la baisse. Une situation qui pourrait profiter aux acheteurs. Comme Michela et François, jeunes mariés, ils sont nombreux à vouloir bénéficier de ces conditions exceptionnelles. Et pourtant, des milliers de ménages suisses n’arrivent pas à contracter un crédit auprès des banques.
Un rêve hors de portée
Michela et François vivent depuis 6 ans dans un appartement de 3 pièces qu’ils louent à Ecublens (VD). François est ingénieur-électricien. Michela a elle repris des études pour devenir bibliothécaire. Depuis la naissance de leur fille Lena, ils rêvent d’acheter une maison.
Ils cherchent un bien à environ 500’000 francs dans la région de Romont (FR). Mais, aujourd’hui, la jeune famille n’arrivent pas à réaliser ce rêve. Michela et François n’ont ni le revenu nécessaire, ni les économies qui leur permettent de financer leur projet.
Vidéo: Michela et François n’arrivent pas à acheter leur maison idéale
Pour éviter une situation d’endettement des propriétaires et une crise comme celle des subprimes aux Etats-Unis, les autorités politiques et financières suisses ont réagi. Elles ont introduit des gardes-fous dès 2012. Les critères bancaires sont devenus plus stricts.
Revenu trop bas pour un projet à 500’000 francs
Michela et François disposent d’un revenu annuel de 80’000 francs et de 67’000 francs d’économies. Mais pour la banque ce n’est pas assez. Le couple devrait apporter 100’000 francs et avoir un salaire minimum de 90’000 francs pour obtenir leur crédit et faire face aux charges annuelles de 30’000 francs, calcule Stéphane Defferrard, conseiller en financement immobilier.
En effet, Michela et François ne paieraient que 15’000 à 16’000 francs de charges, explique Stéphane Defferrard. Et un revenu de 45’000 francs suffirait. « On serait beaucoup plus proche de l’acquisition », réagit François en rigolant.
Critères « trop précautionneux »
Michela et François ne sont pas les seuls dans ce cas. Selon une étude de Moneypark, une société spécialisée en conseil financier, les ménages à revenu moyen sont de plus en plus exclus de l’acquisition. Ils ne sont pas solvables pour les banques.
Seul un tiers des ménages souhaitant acheter un logement
répond aux critères bancaires. Etude Moneypark
La banque Raiffeisen estime que les conditions bancaires sont « trop précautionneuses » et discriminent les jeunes. En septembre 2016, elle avait annoncé qu’elle lancerait une hypothèque « pour faibles revenus » en baissant le taux théorique de 5 à 3% afin de faciliter l’accès à la propriété pour ces ménages. L’idée a été abandonnée en février après « d’intenses discussions » avec les autorités fiancières. La Finma (l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) redoutait que « nous ne mettions en place un cercle vicieux », a expliqué le patron de la banque.
Le spectre de la crise des « subprimes »
Le projet de Raiffeisen a ravivé chez les banquiers le douloureux souvenir de la crise du début des années 1990 en Suisse, lorsque de nombreux propriétaires ont été plongés dans les difficultés financières suite à la hausse rapide des taux, et de celle des « subprimes » qui a en particulier secoué les Etats-Unis dès 2007. Des hypothèques avaient alors été octroyées à des clients ne disposant pas de moyens suffisants pour souscrire un emprunt immobilier.
Vidéo: Jean-Pascal Baechler (BCV) hésite à suivre la Raiffeisen
Une estimation du bien problématique
Mais les critères bancaires ne sont pas les seuls obstacles qui peuvent se dresser sur la route des futurs acheteurs. Séverine et Anthony sont tous deux dans l’enseignement, elle à l’université et lui à l’école secondaire. En 2016, ils ont flashé sur une maison à Chexbres, dans le canton de Vaud: contruite dans les années 1960, elle a été entièrement rénovée en 2014.
En allant à la banque, ils savaient que leurs revenus et leurs fonds propres étaient « limites » pour financer leur projet. Mais ils se sont heurtés à un autre problème. Les banques et les assurances ont estimé leur bien à un montant inférieur à celui affiché par les vendeurs.
Audio: Séverine se remémore un rendez-vous avec la Banque Migros
Les instituts de prêts ont le droit d’expertiser le bien en vente, explique Frédéric Lüscher, à la tête d’une entreprise de courtage et de conseil immobilier à Lutry (VD). « Dans neuf cas sur dix, l’estimation sera plus basse que le prix affiché. » Et au final ils retiendront leur estimation, si elle est moins chère. Séverine et Anthony ont finalement trouvé un institut prêteur qui a estimé le bien à la même valeur que celle demandée par le vendeur. Et ils ont pu obtenir leur crédit.
Et si les taux remontaient?
Si les taux remontent fortement, de nombreux ménages qui auraient obtenu leur crédit selon les conditions de Raiffeisen ne seraient pas en mesure de rembourser leur emprunt. C’est un risque que la Finma et les autres banques ne sont pas prêtes à prendre. Car à l’échéance du taux fixe, les propriétaires devront « rattraper le taux réel », explique Michel Gauthier. Les charges pourraient doubler, voire tripler: « une jolie baffe », sourit le banquier fribourgeois.
En calculant avec un taux d’intérêt à 5%, la banque s’assure que le client pourra rembourser son emprunt, même si les taux sont plus élevés cinq ou dix ans après la signature du contrat. Séverine et Anthony (en photo) ne paient réellement que l’intérêt du prêt et l’amortissement de la dette, soit environ 2% de l’emprunt. « S’ils sont prévoyants, ils mettront de côté chaque année le ‘surplus' », conseille le banquier fribourgeois.
Cette marge leur enlève un poids des épaules. Ils savent qu’ils pourront répondre à leurs obligations. Le prêt leur a été accordé selon leurs revenus. Celui de Séverine a même été calculé à la baisse en sachant qu’ils voulaient fonder une famille et que son temps de travail pourrait diminuer.
Avec le calcul allégé proposé par Raiffeisen et une aide financière de leur famille, Michela et de François auraient pu acheter une maison à 500’000 francs. Mais, ils n’auraient pas eu de marge pour mettre de côté. Et si les taux avaient augmenté d’ici l’échéance de leur taux fixe, ils ne pourraient plus rembourser la banque. En dernier recours, le couple devrait vendre sa maison.
Laïna Berclaz