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L’IQOS de Philip Morris est-il un écran de fumée?

Entre les cigarettes conventionnelles et électroniques, un petit nouveau s’est glissé entre les doigts des consommateurs il y a trois ans en Suisse. L’IQOS propose de chauffer le tabac au lieu de le brûler, et son créateur Philip Morris met en avant l’argument de la santé. Le public assiste-il à une révolution tabagique, ou simplement à une nouvelle mode cigarettière? Enquête.

Maxime Nougé

C’est l’un des derniers nés de l’industrie du tabac. L’IQOS, créé par Philip Morris International (PMI), est une cigarette sous forme électronique qui propose de chauffer le tabac au lieu de le brûler, grâce à une petit lame qui s’insère dans un bâtonnet de tabac. Ce type de système est également proposé par British American Tobacco et Japan Tobacco International.

En pratique, certains utilisateurs perçoivent des améliorations sur leur souffle avec l’IQOS. C’est le cas d’un étudiant de l’Université de Lausanne. Sportif pratiquant le handball, ce jeune homme est passé de la cigarette à l’IQOS. « J’ai toujours envie d’arrêter de fumer,  dans le fond, mais je n’ai pas encore la volonté, lance-t-il. J’ai l’impression qu’IQOS est un moindre mal. Je l’utilise pour faire évoluer ma manière de fumer et pour avoir moins d’effets négatifs. »

Un étudiant consommateur d’IQOS:

Lara, 24 ans, a elle-aussi ressenti des effets significatifs sur sa santé. Consommatrice de cigarettes, elle utilise l’IQOS depuis un an. «Avant, je toussais matin et soir, dit la Genevoise. Avec l’IQOS, j’ai remarqué une nette diminution de la toux, et me sentais moins essoufflée. Je suis clairement contente, mais je ne sais pas ce qu’on en dira plus tard… Et comme je culpabilise moins, je fume parfois plus qu’avant. Ils ont un avantage à nous rendre accro : maintenant, je n’ai plus envie d’arrêter de fumer. »

Marc, un consommateur lausannois, n’est pas du même avis. Il fume depuis quinze ans, et a découvert l’IQOS auprès de collègues de travail. Ayant abandonné presque tout à fait la cigarette depuis un an et demi, il pensait consommer un produit moins nocif pour la santé, au début. Désormais, il estime que ce produit est « tout aussi nocif que les autres cigarettes ». Lorsqu’il consomme à nouveau une cigarette, il dit ressentir l’impression d’avoir la gorge très sèche. Mais avec l’IQOS, il explique ne pas être moins essoufflé ni se porter mieux physiquement.

L’avis de Marc, 31 ans:

Anne a également découvert l’IQOS avec ses collègues. Parmi ses avantages, elle cite notamment le fait qu’aucune odeur de fumée ne se dépose sur ses mains, ses cheveux et ses vêtements, contrairement à la cigarette. Pour elle, PMI s’adresse à une population de trentenaires ou de quarantenaires qui consomment des cigarettes et qui voudraient « fumer de manière alternative ». Néanmoins, elle est partagée sur l’amélioration sur sa santé que peut lui apporter l’IQOS.

Le ressenti d’Anne, 21 ans:

IQOS signifie I quit ordinary smoking. Quelles que soient les raisons pour lesquelles ces différents consommateurs ont « cessé de fumer de manière ordinaire », leur ressenti sur les effets sur la santé sont partagés. En-dehors de ce potentiel de réduction des risques que met en avant la firme, elle communique sur une particularité qui a toute son importance, notamment dans le débat sur la fumée passive. PMI l’affirme sur le site web du produit, « IQOS ne produit pas de fumée ».

En chauffant le tabac au lieu de le brûler, le système IQOS génère en effet une vapeur de tabac et non pas de la fumée, ce qui lui confère un fort potentiel de réduction des risques. Julian Pidoux, porte-parole de Philip Morris International

IQOS, késako?

L’IQOS se veut être une cigarette plus propre. « En chauffant le tabac au lieu de le brûler, le système IQOS génère en effet une vapeur de tabac et non pas de la fumée, ce qui lui confère un fort potentiel de réduction des risques, avance Julian Pidoux, porte-parole de PMI. L’objectif de PMI est de développer une gamme de produits sans fumée qui ont le potentiel de réduire les risques pour la santé des fumeurs adultes, en comparaison à une cigarette conventionnelle ».

En Suisse, 25% des personnes de 15 ans et plus fument du tabac, principalement des cigarettes, indique le Monitorage suisse des addictions, qui précise que la part des fumeurs a diminué entre 2001 et 2008, mais s’est stabilisée depuis.

Avec IQOS, peut-on vraiment fumer sans fumée?

Une étude de la Polyclinique médicale universitaire (PMU) de Lausanne en collaboration avec l’Institut de santé au travail (IST) a remis en question l’absence de fumée de l’IQOS : elle montre qu’il en produirait. Cette étude a comparé les émissions entre celles d’IQOS et celles d’une cigarette conventionnelle.

Aurélie Berthet, chercheuse à l’IST, y a participé. « C’était une étude exploratoire. Nous avons analysé la fumée et décelé des éléments de composés toxiques, explique la scientifique. L’entreprise a raison sur la diminution de la présence de certains produits, mais la plupart des composés sont présents, de façon réduite.»

La fumée, c’est lorsqu’un produit subit une carbonisation et dégage des composés organiques volatiles, des hydrocarbures aromatiques polycycliques et du monoxyde de carbone, qui sont cancérigènes, indiquent les scientifiques. Ils ont retrouvé ces mêmes produits de carbonisation en fumant l’IQOS, comme dans la cigarette. Ils sont là en quantité plus basse, mais sont présents.

Aurélie Berthet explique le fonctionnement de la machine à fumer:

Un autre scientifique a participé à cette étude, le Dr. Reto Auer, médecin généraliste et chercheur à l’Institut de médecine de famille et à la Polyclinique médicale universitaire de Lausanne. Il propose une analogie pour définir le produit de PMI et son émission de fumée.

L'IQOS est un toaster portatif. Reto Auer, médecin généraliste et chercheur

« À notre avis, L’IQOS est un toaster portatif, lance Reto Auer. Si vous mettez du pain dans votre toaster, en attendant assez longtemps, il va commencer à devenir noir et à libérer de la fumée. Il n’y a pas de feu, il y a de la fumée sans feu. Ce qui se passe dans l’IQOS, c’est qu’on chauffe du tabac à une certaine température, qui suffit pour libérer un petit peu de fumée, pas beaucoup. Lorsqu’on sort le bâtonnet de tabac de l’appareil, il est tout noir, un peu comme si on avait brûlé notre toast. Cette question de chauffer et pas brûler est en fait un argument publicitaire, mais n’a aucune signification scientifique. Ce qui compte, c’est de savoir si on libère des composés toxiques. On sait tous que ce n’est pas une très bonne idée de respirer l’air dans lequel on a brûlé notre toast. »

Questionné sur cette étude, PMI répond qu’elle comporte « de sérieuses limitations méthodologiques » et que l’un de ses auteurs avait admis que cette étude était pilote et utilisait « des équipements non-validés ». Pour PMI, « Les conclusions de l’étude en question sont inexactes. Les fumeurs, les autorités, et le grand public ont été ainsi potentiellement induits en erreur par cette étude et certaines couvertures médiatiques sur le sujet. C’est pour ces raisons que PMI a demandé à ce que l’étude de Auer et al. soit retirée et refaite selon des normes scientifiques validées. »

Si les scientifiques admettent que leur étude exploratoire a été réalisée avec les moyens du bord, ils la considèrent comme valable. « Pour nous, clairement, IQOS produit de la fumée, affirme Reto Auer. C’est notre avis de scientifiques : nous sommes contents qu’il soit contré. Nous avons fait notre travail, interprété selon notre compréhension et publié dans un journal revu par les pairs. Si quelqu’un est contre, qu’il fasse une autre étude. »

Reto Auer ajoute qu’il n’y a pour l’instant aucune étude qui se rapporte aux endroits publics fermés, en-dehors de celles de l’industrie. Là, il faudra des études indépendantes réalisées par différents groupes et d’autres études devront encore être menées sur les effets de l’IQOS sur les êtres humains, note encore le chercheur.

Trop d’inconnues pour la prévention

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IQOS fonctionne avec des bâtonnets de tabac "Heets"

Markus Meury, porte-parole chez Addiction Suisse, explique que la plupart des études sur IQOS viennent de Philip Morris et qu’il y a peu d’études indépendantes. Il précise qu’il n’existe pas encore de statistiques officielles sur ces produits, les derniers chiffres datant de 2016, soit une année seulement après la sortie des cigarettes qui chauffent le tabac. Pour le moment, il faut adopter les mêmes lois à IQOS qu’aux cigarettes conventionnelles, estime le porte-parole.

« Certaines études montrent que son aérosol comporte pas mal de substances novices, probablement moins que dans la cigarette classique, mais il suffit de peu de certaines substances pour avoir un grand effet », poursuit-il. Certes, la fumée est moins dense, concède Markus Meury, mais si de nombreuses personnes l’utilisent dans un endroit public fermé, cela comporte selon lui un potentiel de risque. « IQOS est probablement un peu moins nocif, mais il est trop tôt pour se positionner définitivement. De plus, seules les études à long terme montreront les effets sur la santé », lance-t-il.

Selon lui, la cigarette électronique est davantage une porte d’entrée pour les jeunes vers la cigarette classique qu’une porte de sortie pour les fumeurs. « On peut s’imaginer la même chose avec IQOS, donc c’est délicat », estime Markus Meury. IQOS est donc un produit hybride qui intéresse les chercheurs et questionne les milieux de la prévention. La question de savoir s’il est autorisé de le fumer dans les lieux publics intéresse aussi le monde politique.

IQOS et lieux publics: la politique ferme la porte

En octobre 2016, Fabienne Freymond Cantone interpellait le Grand conseil vaudois sur la volonté de création d’un café par PMI pour vendre l’IQOS dans le quartier du Flon à Lausanne. L’élue socialiste s’interrogeait sur la nocivité du produit et son innocuité, pas encore prouvée. Or, le café ne prévoyait pas de fumoir. Le Conseil d’État vaudois avait appliqué le principe de précaution, interdisant de consommer l’IQOS à l’intérieur d’un bâtiment, comme le prévoit la Loi pour la protection contre le tabagisme passif pour les cigarettes.

De plus, selon Fabienne Freymond Cantone, cet endroit aurait été une vitrine pour ce produit, une publicité, y compris pour la jeunesse, pour un produit du tabac, dans un quartier fortement fréquenté. Elle estime que cela pose problème du fait de l’interdiction de la publicité pour les produits du tabac envers les mineurs. « Philip Morris prévoyait de pouvoir faire goûter son produit. Ils le vendaient comme quelque chose d’anodin et pas dommageable pour la santé. Mais c’est de la fumée, et celle-ci ne peut pas être consommée dans un endroit public fermé. Ils voulaient de manière indirecte contourner la loi. »

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L'endroit pressenti pour accueillir la boutique d'IQOS

Récemment, PMI a annoncé qu’il renonçait à son ouverture, évoquant uniquement des raisons commerciales. « Philip Morris libère les locaux qui étaient prévus pour accueillir un «Flagship Store» IQOS au Flon à Lausanne et adapte les activités commerciales d’IQOS afin de répondre au succès que ce produit connaît auprès des fumeurs adultes depuis plusieurs mois dans la capitale vaudoise et son agglomération. Dans ce contexte, un espace commercial unique d’environ 900 m2 n’est plus pertinent à Lausanne », avance le porte-parole de PMI. Fabienne Freymond Cantone se montre « très contente » de cet état de fait. Pour elle, il y avait une volonté de faire fumer l’IQOS dans les espaces publics.

Une dernière cartouche?

« Le langage marketing de Philip Morris est génial… mais personne n’est dupe ! Ils ont essayé de faire passer les choses sous l’angle de la santé publique : Leurs juristes ont cherché le biais juridique, en affirmant que le tabac était chauffé, plutôt que brûlé, qui plus est non toxique, estime Fabienne Freymond Cantone. S’il y avait une autorisation de fumer leur produit chez eux, dans leur magasin de Lausanne, c’était gagné pour le reste. Ce retrait de Philip Morris donne un répit, mais ils vont sûrement trouver autre chose… »

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Un bâtonnet de tabac "Heets" après usage

Pour Corine Kibora, porte-parole et chargée de prévention chez Addiction Suisse, « IQOS est une énième tentative de l’industrie du tabac pour redorer son image. Mais le milieu de la santé n’est pas dupe, le monde politique non plus. » Le temps, la science et les consommateurs diront alors si l’IQOS  pourra remplacer la cigarette conventionnelle qui trône et fume entre les doigts des consommateurs depuis des décennies.

© Photos / vidéos / sons : Maxime Nougé

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