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Jeunes et propriétaires, des adjectifs contraires

Claire et Florian Buchard sont propriétaires d’une grande bâtisse de 250 mètres carré de surface habitable avec un jardin de 1000 mètres carré. Ce luxe, ils ont pu se l’offrir parce que leur maison date d’un demi-siècle, qu’elle se trouve loin d’une ville de plaine et qu’elle doit être complètement rénovée.
Leur bien est estimé à 520’000 francs. Le couple paie seulement 1400 francs de loyer parce qu’en plus des travaux qu’ils réalisent eux-mêmes, un étage est occupé par un locataire. Ce dernier finance le remboursement de leur prêt à hauteur de 1100 francs par mois.
Témoignage de Claire et Florian en plein travaux
Le Valais est connu pour être un canton de propriétaires. C’est même le champion suisse avec 57,5% de la population qui possède son logement. Pourtant, le Vieux Pays accuse un recul depuis l’an 2000 où le taux de propriétaires s’élevait encore à 61,4%. C’est le seul canton romand qui a vu son taux s’abaisser (OFS, 2016). Notre enquête sur le contexte valaisan pour les jeunes qui, comme Claire et Florian, rêvent d’accéder à la propriété.

Des prix plus élevés, surtout en ville

« Rester locataire, c’est jeter l’argent par les fenêtres. Là d’où je viens, tu es propriétaire de ta maison et c’est un héritage pour tes enfants. » Dominique Suze est français. Avec son épouse, Anaïs Cordelier, ils sont venus vivre et travailler en Valais en 2004.

Nino, Anaïs, Roland et Dominique (de gauche à droite) apprécient leur cuisine fraîchement rénovée

En 2011, après cinq ans de recherches, Anaïs et Dominique deviennent propriétaires d’un appartement de 150 mètres carré à Saint-Léonard, commune de 2000 habitants. Cinq pièces et demi sur deux étages et une terrasse. Ce logement a coûté 400’000 francs au couple alors âgé de 30 et 37 ans. Ils paient 2200 francs de loyer par mois.
Depuis 2002, les prix des logements n’ont cessé d’augmenter dans le canton d’après le nouvel indicateur immobilier de la Banque Cantonale du Valais (BCVs). Cet indicateur est calculé par un bureau d’experts spécialisés, le Centre d’Information et de Formation Immobilières (CIFI) basé à Zurich.
Donato Scognamiglio, directeur du CIFI précise : « la courbe de l’évolution des salaires n’a pas augmenté autant que celle des prix de l’immobilier. L’accès à la propriété est donc plus difficile ». Il nuance cependant : « Il existe de grandes différences selon les régions en Valais. Pour une villa avec 160 mètres carré de surface nette habitable, son prix peut varier entre 600’000 francs à 1’000’000 francs selon qu’elle soit située à Viège ou à Sion par exemple ».
Dans ses recherches, la famille Suze a senti ces différences régionales. « Nous avons d’abord cherché un logement à Sion parce que je travaille comme aide-soignante à Euseigne et Dominique est technicien en radiologie à la Clinique de Valère à Sion. Nous avons vite compris que c’était bien trop cher pour notre budget », confie Anaïs Suze.

Des taux bas mais de nouvelles restrictions

Les taux d’intérêt pour un prêt hypothécaire sont historiquement bas en Suisse. Le site de comparis.ch les situent entre 1,22% pour deux ans et 1,75% sur dix ans. Avant la crise des subprimes en 2008, ils dépassaient les 4% (consulter le taux actuel et son évolution depuis 1989).
Anaïs et Dominique Suze ont obtenu un prêt à 1,93% en 2011. Pour eux, la difficulté principale n’a pas été ce taux d’intérêt mais les fonds propres. Ils devaient réunir 80’000 francs : « C’est un calvaire d’avoir des fonds propres ! Quand nous avons décidé d’économiser, nous avons réussi à mettre 20’000 de côté en trois ans. En plus, nous étions les deux à 100% », précise Anaïs Cordelier. Ils n’avaient que 30’000 francs à disposition dans leur 2e pilier, alors comment ont-ils fait pour réunir les fonds nécessaires ? « L’ami d’un ami a accepté de nous prêter 30’000 francs sur cinq ans », explique Dominique Suze.
Avec les nouvelles restrictions pour l’octroi d’un prêt hypothécaire, cela n’aurait pas été possible. Un prêt d’un tiers avec des intérêts n’est plus accepté. Entre 2012 et 2014, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma), l’Association Suisse des Banquiers (ASB) et le Conseil fédéral ont introduit de nouvelles restrictions à l’octroi de prêts hypothécaires afin d’éviter une bulle immobilière.
Nouvelles restrictions bancaires

Au niveau des fonds propres, 10% peuvent être retirés du 2e pilier mais les 10% restants doivent être de « vrais » fonds propres. Ils peuvent provenir d’avancements sur hoirie, de prêts sans intérêt, d’un compte épargne, de valeurs immobilières, d’avoirs du 3e pilier et de la valeur d’achat des polices d’assurances. La dette hypothécaire, quant à elle doit être amortie aux deux tiers de la valeur du bien en quinze ans et de manière régulière. Finalement, la banque doit faire estimer le bien immobilier. Si sa valeur est inférieure au prix demandé, les acquéreurs devront payer en fonds propres la différence.

Quel est alors l’effet de ces nouvelles restrictions sur l’accès à la propriété ? Du côté des promoteurs, les conséquences semblent claires : « Beaucoup de jeunes familles ne peuvent plus acheter un bien immobilier. Peu de personnes ont 10% en « cash » pour les fonds propres. C’est très restrictif », d’après Olivier Raemy, président de la section valaisanne de l’Union Suisse des Professionnels de l’Immobilier (USPI).

Du côté de la BCVs et d’UBS Valais, elles confirment ces effets limitatifs mais précisent ne pas vouloir les assouplir. Le porte-parole d’UBS Valais, Jean-Raphaël Fontannaz insiste : « Il est préférable que les personnes qui sont à la limite, attendent un ou deux ans pour épargner plus et qu’elles ne se retrouvent pas dans une situation compliquée. » Donato Scognamiglio, directeur du CIFI, abonde : « Personne ne peut garantir que les taux ne vont pas remonter. À l’image de l’élection américaine, il faut toujours s’attendre à l’improbable ».

Les incertitudes liées à la LAT

Le Service du développement territorial valaisan estime à 1000 hectares la surface de zones à bâtir à dézoner et 1200 autres hectares celles à classer « zones différées ». Ces dernières seront bloquées pour quinze ans. Selon la croissance démographique et le besoin des communes, elles pourront ensuite être débloquées.
La mise en œuvre de la LAT et le plan directeur cantonal seront soumis au peuple le 21 mai prochain mais cinq communes ont pris les devants. Vex, Chamoson, Mollens (aujourd’hui fusionnée à Crans-Montana), Lens et Savièse ont déjà gelé une partie de leurs zones à bâtir en les classant « zones réservées ». Rien ne pourra être entrepris les deux prochaines années au minimum. Elles comptabilisent ainsi 170 hectares réservés. La carte suivante permet de connaître les détails de chaque commune.
Carte des communes avec des zones réservées, bloquées pour deux ans
https://viviane87.carto.com/builder/9a0ab526-1932-11e7-b295-0e233c30368f/embed
Savièse est la dernière municipalité a franchir le pas. En Assemblée primaire, le président de la commune, Sylvain Dumoulin argumente : « Le plan directeur cantonal est prévu pour 2019 et les communes auront encore cinq ans supplémentaires pour s’adapter. Nous aurions alors pu attendre jusqu’en 2024 sans rien faire. Nous visons un développement harmonieux avec ces zones réservées. Les zones concernées sont morcelées, mal desservies et difficilement constructibles. » L’un des propriétaires venus assister à la séance populaire accepte de partager sa situation. Nous le rencontrons le lendemain devant sa maison.
Les incertitudes de Pierre-Olivier Varone avec les zones réservées
https://youtu.be/TopZiX4EIh4
Ses deux enfants ont 20 et 24 ans. Encore en formation, ils ne souhaitent pas construire pour le moment mais n’excluent rien s’ils se projettent une décennie plus tard. Pierre-Olivier Varone est inquiet parce que le Conseil communal peut transformer cette zone réservée en zone différée dans deux ans si la croissance démographique n’est pas suffisante. Ses terrains seraient alors inconstructibles pendant quinze ans.
Il faut aussi tenir compte de la perte de valeur de ces terrains réservés. Si les enfants de Pierre-Olivier Varone envisagent de construire en plaine et d’utiliser les terrains de leur père en nantissement, cela ne sera pas possible non plus. Olivier Raemy rappelle le principe : « Un terrain à bâtir va avoir une valeur en fonction de ce que l’on peut construire dessus : une petite maison ou un grand immeuble. Aujourd’hui avec une zone réservée où l’on ne peut rien faire, le terrain n’a plus de valeur économique puisqu’on ne peut pas le valoriser. »

Un parcours plus compliqué mais pas impossible

Claire et Florian Buchard travaillent sur leur maison depuis 3 ans. « Pratiquement tout notre temps libre est passé dans les rénovations. En revanche, c’est formateur. J’ai appris à faire des murets ou à poser de l’isolation. En trois ans, nous n’avons terminé complètement que quatre pièces. Il nous reste encore pas mal de travail. », mesure Florian Buchard. Le couple attend un heureux événement pour septembre. Le chantier devrait se terminer avant cette échéance.
Claire et Florian espèrent terminer la rénovation de leur maison avant d’accueillir leur premier enfant

Florian et Claire Buchard contrôlent le plan du 1er étage

Aujourd’hui, le taux d’intérêt est bas mais il n’est pas le seul critère qui entre en ligne de compte pour un achat. Les investisseurs, ceux qui ont de grands capitaux à engager peuvent se réjouir. Les autres, comme de nombreux jeunes subissent les prix du marché et les nouvelles restrictions bancaires. Beaucoup d’obstacles sont à surmonter. L’application de la LAT n’est pas encore connue. Par ailleurs, les taux hypothécaires connaissent une légère augmentation qui pourrait continuer. Les futurs propriétaires doivent économiser et s’assurer d’avoir les reins assez solides sur le long terme.

 
Texte, images et sons: Viviane Givord

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