Chapters
17A

Mixité des sports: le nouveau cocktail gagnant ?

ENQUÊTE – De l’amateurisme au haut niveau, des cours de récréation aux grands stades ou encore des terrains de football aux pistes de ski alpin, les sportifs sont, la plupart du temps, séparés: les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Dans la course à la parité et à la mixité, le milieu sportif semble donc légèrement en retard. La mixité peut-elle devenir ou du moins faire partie de l’avenir du sport en général ?

Le CIO souhaite en tout cas atteindre cette parité entre hommes et femmes aux Jeux Olympiques d’été en doublant notamment le nombre de compétitions mixtes dès 2020. Cet activisme a-t-il cependant une chance de s’étendre dans le monde réel ? C’est en tout cas l’avis de Grégoire Millet, professeur à l’institut des sciences du sport à l’Université de Lausanne:

En effet, en 2020, les Jeux Olympiques d’été de Tokyo seront le théâtre de 18 épreuves mixtes, soit le double de Rio de Janeiro en 2016. Des relais mixtes en athlétisme et en natation feront notamment leur apparition. À moindre mesure, l’organisation des JO d’hiver va dans le même sens. Comme preuve, l’arrivée par exemple d’une compétition de curling mixte à Pyeongchang cette année et d’autres, potentiellement, pour l’édition de 2022.

Épreuves mixtes aux Jeux Olympiques
(339 épreuves au total en été en 2020, 102 épreuves au total en hiver en 2018)

Les épreuves mixtes aux Jeux Olympiques
Infogram

Pierre Frater-Bardy, directeur des sports d’été au Comité International Olympique à Lausanne, est très enthousiaste à l’idée de voir ces nouvelles épreuves: « Mélanger les hommes et les femmes génère de magnifiques émotions. Les relais prendront par exemple une dimension encore plus tactique puisqu’un homme pourra être opposé à une femme à un moment ou à un autre de la course », explique avec gaieté le Français, membre du CIO depuis 2011.

Cependant, selon lui, il ne faut pas tout confondre car tous les sports n’ont pas forcément un intérêt à devenir mixtes : « Les épreuves doivent tout de même représenter la réalité du sport », estime-t-il.

En matière de mixité, le tennis est un excellent élève. Les compétitions mixtes sur les courts existent depuis plus de cent ans à haut niveau. Comme exemple, entre les années 1920 et 1970, les tournois de double mixte étaient extrêmement fréquents. Petit bémol cependant, la professionnalisation du tennis a quelque peu raréfié ce type d’épreuves, sans pour autant les supprimer.

Au niveau professionnel, six compétitions organisent un tournoi de double mixte: les quatre Grand Chelem (Open d’Australie, Roland-Garros, Wimbledon et US Open), les Jeux Olympiques et la Hopman Cup. Si le double mixte n’a de loin pas la même aura que les matches de simple, il offre souvent de belles surprises sur le court. Comme celles de réunir à l’année Martina Hingis et Jordan Murray, frère d’Andy, ou encore exceptionnellement Roger Federer et Belinda Bencic pour la Hopman Cup.

Les filles progressent au contact des garçons

Lorsque l’on se plonge plus intensément dans les coulisses de la petite balle jaune, on remarque qu’étant jeunes, garçons et filles peuvent très bien se côtoyer au quotidien. Du côté féminin, on peut carrément parler d’obligation. En effet, une fille semble avoir plus de chances d’atteindre le haut niveau en se frottant à des garçons à l’entraînement.

La jeune Fribourgeoise Marie Mettraux l’a bien compris et elle s’y est fait sans trop de soucis:

Avec ou sans fille, les méthodes d’entraînement ne changent pas forcément et la cohabitation entre les deux sexes est donc facile. Comme nous l’explique Lionel Grossenbacher, entraîneur de Marie Mettraux au CT Cadolles:

En s’éloignant légèrement de l’olympisme et de la haute compétition, il est intéressant de remarquer que la mixité est à la mode dans les sports moins populaires et ayant vu le jour plus récemment : « On voit de nombreux pays où de nouveaux sports mixtes sont en vogue. Je pense au korfball (sorte de basketball sans contact qui se joue obligatoirement avec des équipes mixtes) dans les pays anglo-saxons, voire même au crossfit (méthode de conditionnement physique, qui se pratique de manière assez régulière en duo mixte) à l’étranger également », remarque Lucie Schoch, docteure en Sciences du Sport à l’Université de Lausanne.

Autre sport méconnu, autre histoire : le roller derby. Ce sport de contact, pratiqué en patin à roulettes, s’est tout d’abord avéré être une discipline exclusivement féminine. Puis, récemment, les hommes s’y sont mis. Désormais, il existe des ligues féminines, masculines et mixtes, notamment en France. « Un seul championnat existe en Suisse et il est réservé aux femmes. Les hommes peuvent s’adonner au roller derby uniquement de façon récréative ou en participant à des entraînements. » précise Laura Cencetti, head coach de l’équipe nationale féminine helvétique et joueuse des Rolling Furies de Lausanne.

En matière de mixité, le ski alpin, sport très populaire en Suisse, commence gentiment à sortir le bout de son nez. Depuis de nombreuses années, des épreuves par équipes sont organisées pour clôturer les saisons. Ce « Team Event », comme il est communément appelé, vient également de voir le jour aux Jeux Olympiques.

Cette compétition ne semble pas pour autant plaire à tout le monde et elle aura bien du mal à devenir un incontournable de la Coupe du monde ces prochaines saisons. Catherine Borghi, ancienne skieuse professionnelle, n’y voit notamment pas un énorme intérêt :

Que dire du cas Lindsey Vonn. L’Américaine, grande star du cirque blanc, adorerait pouvoir se confronter à des hommes sur une descente de Coupe du monde, et ce, depuis 2012 déjà. La Fédération internationale de ski n’est, pour le moment, jamais entré en matière. D’autres grands noms de la glisse ne comprennent pas cette envie. À commencer par Hannes Reichelt: « Si elle prend un départ avec des hommes, la FIS ferait de la Coupe du monde une sorte de théâtre de marionnettes… » a taclé l’Autrichien.

Afin de faire cohabiter hommes et femmes dans ce sport, Grégoire Millet a une bien meilleure solution qui s’inspire d’un autre sport hivernal :

En prenant l’exemple du football, qui possède le statut de sport numéro un dans de nombreux pays du globe, serait-il possible d’imaginer une Coupe du Monde 2034 nous proposant un alléchant Suisse-France mixte ? Lucie Schoch, sociologue du sport, n’y croit pas : « Le football masculin et le football féminin sont trop différents pour être regroupés. Il s’agit là d’un sport collectif de grand terrain et les différences sont flagrantes. Le football est beaucoup plus rapide et physique du côté des hommes, et peut-être un peu plus lent mais très technique du côté des femmes. »

En Suisse, en descendant de quelques étages, on se rend compte qu’aucun règlement n’interdit une femme de jouer au football dans une équipe d’hommes, comme nous l’indique Alain Jenny, responsable du football féminin dans le canton de Fribourg : « Les filles pourraient jouer à vie avec des garçons selon le règlement. Certaines filles jouent par exemple actuellement dans des équipes de seniors. Mais cela reste des cas isolés », informe le Fribourgeois, père d’une fille de 14 ans évoluant dans une équipe exclusivement féminine.

D’ailleurs, avant cet âge-là, les jeunes filles débutent le football dans les mêmes équipes que les garçons. Charlotte Schmoutz (22 ans), qui a arrêté le football pour des raisons professionnelles, a fait partie de celles-ci, il y a une dizaine d’années : « J’ai beaucoup de bons souvenirs, je ne regrette absolument pas d’avoir joué avec des garçons, reconnaît l’ancienne joueuse formée au FC Sarine-Ouest et passée par le centre de formation de Young Boys à Berne. En revanche, lorsqu’on passe sur les grands terrains [vers 12-13 ans], la différence au niveau du physique se fait ressentir. » Le son de cloche est le même du côté d’Alain Jenny et des hautes sphères du football féminin helvétique : « Au départ, on est d’avis que les filles doivent jouer avec des garçons, pour la progression. Mais par la suite, on recherche plutôt à offrir d’autres possibilités aux filles en se dirigeant vers du foot exclusivement féminin et non pas vers un football mixte », complète le responsable féminin de l’Association fribourgeoise de football (AFF).

« La mixité dans le sport ne me pose aucun problème, mais dans un sport collectif ou de contact, ça me paraît beaucoup plus compliqué… ». Comme Alain Jenny, nombreux sont ceux qui estiment que la mixité des sexes ne sera pas exclusivement l’avenir du sport. En revanche, elle pourrait tout de même prendre une place plus importante dans certains sports. Tant qu’hommes et femmes ne s’opposent pas à proprement parler sur un même terrain ou sur une même piste, les compétitions mixtes sont possibles, comme le démontrent les nouvelles épreuves des Jeux Olympiques par exemple. En revanche, le rêve de voir un jour Roger Federer infliger une roue de vélo à Serena Williams dans un match de tennis simple ou même Lara Dickenmann (footballeuse helvétique) mettre un petit pont à Cristiano Ronaldo en finale de la Coupe du Monde, s’éloigne complètement…

Texte & Médias: Michaël Bugnon
Images: Keystone

read more: