Fin 2016, la ville de Morges a subi de nombreux coups durs suite au départ de plusieurs de ses manifestations phares et à la destruction des Halles CFF, lieu mythique qui les abritait. Morges s’en relèvera-t-elle?
15 mars 2017, 9h00. Machines de chantier, croqueuse, bruit de poutres en bois qui se brisent. Morges est en train de perdre un lieu mythique, dont le pouls battait au rythme des manifestations de la ville: les Halles CFF.
20 ans au rythme de la ville
Lieu central et mythique de la cité morgienne: les Halles CFF ont fait le bonheur et les souvenirs de nombreux visiteurs de la région. À l’origine dépôt de marchandises puis de matériel pour la compagnie de transport fédérale, ces halles en bois de près de 5000m2 sont finalement devenues un lieu de rencontres et de fêtes, abritant des milliers de manifestations durant plus de vingt ans. Un lieu qui a contribué non seulement à l’animation, mais également au rayonnement de La Coquette sur la région lémanique et bien au-delà.
GALERIE: Deux décennies de rencontres sous les Halles CFF
Du bal de la Croix rouge au salon du nautisme en passant par des vide-greniers, cette bâtisse en bois a vu défiler des milliers de Morgiens qui s’identifiaient à ce lieu, bien qu’ancien, chaleureux et accueillant à l’intérieur de son enceinte boisée.
Propriété des CFF, l’exploitation de ces halles a été confiée à Philippe et Nadège Fehlmann, Morgiens de toujours, qui ont crée et y ont installé notamment le salon des vins Arvinis, le Marché de Noël ou encore le vide-grenier de Morges. Au fil des ans, le lieu est devenu incontournable. « Sur une année, les Halles étaient occupées plus de 200 jours, explique Nadège Fehlmann. C’était un lieu auquel les Morgiens s’identifiaient, on y a tous de nombreux souvenirs. »
La Ville n’a pas réalisé l’importance d’une halle d’exposition telle que celle que nous avons occupée durant plus de vingt ans. Nadège Fehlmann, exploitante des Halles CFF
Pourtant, cet endroit si cher aux habitants de la région ne devait pas subsister davantage. En effet, se trouvant sur une parcelle stratégique, les Chemins de fer fédéraux ont très vite décidé de la valoriser en y installant des logements, des bureaux et des commerces.
Une volonté connue depuis de nombreuses années qui condamnait du même coup les Halles CFF. « On savait depuis longtemps que cela arriverait, poursuit Nadège Fehlmann. Malheureusement, la ville n’a pas réalisé l’importance d’une halle d’exposition telle que celle que nous avons occupée durant plus de vingt ans. » Pourtant, selon les autorités, la ville de Morges a tenté de racheter la parcelle il y a de cela plusieurs années mais sans succès.
AUDIO: L’ancien syndic Eric Voruz explique la situation de l’époque, lorsqu’il était chef de l’exécutif.
Dans un projet d’envergure majeure, les CFF et la ville de Morges ont finalement décidé de collaborer afin d’offrir à la commune un nouveau centre moderne et attractif, à quelques mètres seulement de la gare. Mais dans ce « chantier du siècle », nommé Quartier des Halles, pas de place pour une halle multifonction où loger des manifestations.
Dès lors, en 2016, Arvinis, suivi du Marché de Noël, annoncent leur départ pour Montreux tandis que les autres manifestations qui avaient lieu sous les charpentes de bois déclarent forfait et signent leur arrêt définitif en mettant la clé sous la porte. Dans le même temps, le comptoir de Morges, faute de moyens financiers, voit lui aussi l’aventure s’arrêter.
GALERIE: Les Halles dans leur phase de destruction jusqu’au projet final qui devrait voir le jour en 2021.
L’annonce du nouveau Quartier des Halles, bien qu’évolution nécessaire à cette ville de 16’000 habitants, a fait l’effet d’une bombe. La destruction des Halles est, selon beaucoup, une véritable perte pour La Coquette qui devait une bonne partie de sa renommée à son salon des vins se déroulant dans la bâtisse en bois.
Arvinis aurait néanmoins pu subsister dans la cité morgienne, sous tente au Parc des sports. « On nous a proposé cette alternative, raconte Philippe Fehlmann. Mais pour nous, cette solution était un retour en arrière. Nous avons débuté sous tente, puis nous avons évolué. Nous voulons poursuivre notre développement, pas faire marche arrière. » L’événement qui accueille plus de 23’000 personnes s’est donc délocalisé à Montreux, une ville plus ambitieuse selon les créateurs d’Arvinis et du Marché de Noël.
RÉACTIONS: Sur les réseaux sociaux, les Morgiens n’ont pas caché leur colère suite à la délocalisation d’Arvinis et du Marché de Noël.
Suite à ce double départ Arvinis-Marché de Noël, couplé à l’arrêt du comptoir, le verdict des réseaux sociaux a été sans appel: « On perd tout à Morges », « Morges n’a plus rien de La Coquette », « Morges cité dortoir », « Notre belle ville se meurt et personne ne fait rien. » Des messages pessimistes et accusateurs envers des autorités « inactives ». Un avis partagé par Yves-Etienne Kahn, directeur de Morges-Région-Tourisme: « Aujourd’hui, Morges se réveille avec la gueule de bois, sans avoir songé à la suite. Nous avons fait la fête pendant deux décennies dans ces halles, tout en sachant pertinemment que le lendemain serait difficile. »
Responsabilités à prendre
Pour le syndic de la ville, Vincent Jaques, la Municipalité n’est pas à blâmer: «C’est la vie. Des manifestations partent d’autres arrivent, relativise-t-il. Je regrette le départ d’Arvinis mais ce n’est pas la fin du monde. D’autres événements apparaîtront. Notre mission c’est de construire des logements et des écoles. C’est ce que nous sommes en train de réaliser avec le Quartier des Halles. Notre rôle n’est pas de nous muer en organisateurs d’événements.»
Notre mission c’est de construire des logements et des écoles, pas de nous muer en organisateurs d'événements. Vincent Jaques, syndic de Morges
Un avis municipal que partage Cécile Hussain-Kahn, présidente de l’association des commerçants morgiens. « On s’installe dans une ville parce qu’on l’aime, explique-t-elle. Et si on l’aime, il est normal de faire en sorte qu’elle soit vivante. »
Pour elle, c’est le devoir des citoyens de prendre les choses en main afin d’offrir des animations à la ville. Un exemple que la commerçante montre elle-même en organisant diverses activités avec son association mais qui n’est pas assez imité au vu du potentiel qu’offre La Coquette. « Quand j’entends les gens râler, je les encourage à s’engager, à s’investir pour notre ville. C’est facile de se plaindre mais de rester les bras croisés à critiquer ceux qui tentent de changer les choses. »
VIDÉO: Cécile Hussain-Kahn estime que la ville de Morges a du potentiel.
Mais les citoyens prêts à tout pour offrir la pérennité de certaines manifestations à la ville existent. L’association des Vins de Morges tout d’abord qui, après le départ d’Arvinis, dont les membres ont tout mis en oeuvre pour créer un nouveau salon des vins, nommé Divinum qui s’est tenu pour la première fois en avril dernier.
Avec cet événement, les amateurs de dégustation ont pu conserver ce rendez-vous indissociable de la cité morgienne. La fréquentation a certes été moindre que celle d’Arvinis (15’000 visiteurs) mais pour une première édition, le pari a été réussi. Quant au Marché de Noël, il a lui aussi trouvé de bonnes âmes, prêtes à le relancer. Les Halles n’existent plus, peu importe, ce rendez-vous incontournable de la fin de l’année aura lieu dans le cadre idyllique du château, de l’autre côté de la ville.
AUDIO: Véronique Bornand-Sickenberg a accepté de relever le challenge d’offrir un nouveau Marché de Noël à la ville.
Quid du développement économique?
Les manifestations morgiennes semblent donc pouvoir se pérenniser. Cependant, si l’animation en ville est une première nécessité, il faut la différencier de l’aspect touristique, élément lui aussi essentiel. Car si ces événements sont un avantage pour les habitants, ils sont également une carte de visite pour La Coquette. Par conséquent, la destruction des Halles CFF – et la perte d’un lieu propice aux manifestations – est un coup dur économiquement parlant.
Yves-Etienne Kahn fait un constat implacable: « Les manifestations fonctionneront indépendamment du lieu, ce n’est pas un problème. Mais du point de vue économique, il y a un vrai souci. Sans fausse modestie, je pense que nous avons l’une des plus belles villes du bord du lac. Mais nous n’avons rien pour attirer les touristes! Il faudrait une volonté clairement affichée des politiques pour dire que maintenant il faut investir pour avoir des équipements qui permettront aux touristes de découvrir Morges et d’y revenir pour faire vivre la ville économiquement. »
Idéalement, il faudrait qu’un investisseur se présente avec la conviction de vouloir développer une manifestation dans cette ville. Mais personne n’est prêt à investir à Morges aujourd’hui. Yves-Etienne Kahn, directeur de Morges Région Tourisme
Et le directeur de Morges Région Tourisme de poursuivre: « Même si nous avons quelques manifestations qui marchent, telles que le festival d’humour Morges-sous-Rire ou les rencontres littéraires Le Livre sur les Quais, ça ne suffit pas à faire rester les gens tout un week-end car nous n’avons pas les outils, hôtels, divertissement. Idéalement, il faudrait qu’un investisseur se présente avec la conviction de vouloir développer une manifestation dans cette ville. Mais personne n’est prêt à investir à Morges aujourd’hui. » Un manque d’investissement conséquent au manque d’infrastructure. Un cercle vicieux à enrayer pour trouver une compétitivité économique sur les rives morgiennes.
VIDÉO: Le syndic de Morges, Vincent Jaques défend le point de vue de la Municipalité.
Au regard des faits, difficile de contredire le chef de l’exécutif, tant Morges regorge de projets. On parle notamment d’un centre aquatique régional, d’hôtel ou d’une future nouvelle halle multifonctions, appelée à prendre la place des anciennes Halles CFF.
Tant d’ébauches qui devraient attirer les gens dans la ville de la Côte, mais qui demandent de l’argent, du temps et une acceptation du Conseil communal. Ainsi, on parle du centre aquatique depuis plus de 10 ans sans avoir vu le moindre avancement. Mais si cet exemple revient souvent dans les reproches des détracteurs de la Municipalité, un lieu propice à recevoir des manifestations comporte d’autres enjeux.
En effet, avec une halle multifonctions, la ville de Morges pourrait proposer une offre inédite dans la région. Pour Yves-Etienne Kahn, la cible principale demeure le tourisme d’affaires. « Il faut un outil adapté, à la fois à recevoir des manifestations mais également des séminaires d’entreprises par exemple, explique le directeur de Morges Région Tourisme. C’est grâce à ces personnes là, qui viendront utiliser ces infrastructures, logeront dans nos hôtels et découvriront notre ville que nous pourrons nous développer économiquement. De plus, en appréciant notre cité, ils reviendront peut-être en famille et continueront à faire vivre la ville. »
Si l’idée d’une nouvelle halle multifonctions est dans les tuyaux depuis plusieurs années, elle devrait prochainement prendre forme dans la commune de Tolochenaz, voisine de La Coquette. Mais rien n’est encore fait et Oscar Cherbuin, directeur de l’ARCAM (Association de la région Cossonay-Aubonne-Morges) insiste sur la nécessité d’une infrastructure de ce genre. « On peut se donner le temps, deux ou trois ans maximum, mais il faut que nous retrouvions une halle multifonctions. C’est absolument indispensable pour accueillir l’activité économique, non seulement de Morges, mais de toute une région. »
Car c’est bien là l’enjeu principal de la cité du bord du lac. Chef lieu d’un district de 61 communes, la ville doit être un pôle d’attractivité économique et l’ambassadrice d’une région riche en potentiel qui ne demande qu’à être connue et à se développer. Si Morges ne prend pas le leadership, d’autres agglomérations alentours pourraient saisir leur chance et, ainsi, renvoyer La Coquette à un rôle d’observation.
Il est hors de question pour Morges de créer un Paléo juste parce qu'il en existe un à Nyon. Vincent Jaques, syndic de Morges.
Se développer, oui, mais pas à n’importe quel prix. « Il faut rester lucide, martèle le syndic Vincent Jaques. Morges c’est Morges et il n’est pas question d’imiter des villes comme Vevey ou Montreux. Il est hors de question de créer un Paléo juste parce qu’il en existe un à Nyon. »
Avancer « à son rythme » semble donc être le mot d’ordre à l’heure actuelle. Lentement mais sûrement, la Municipalité assure faire de son mieux pour mettre sa ville sur les bons rails de l’évolution. Pourtant, si Morges ne cesse de grandir d’un point de vue citoyen – 5000 nouveaux habitants prévus dans les 6 prochaines années – force est de constater que les moyens mis en oeuvre pour développer son tourisme et, par voie de conséquence, son économie, ne sont pas légion.
Si le nouveau salon des vins Divinum et, bientôt, le Marché de Noël tenteront de porter l’image de la ville, ce ne sera sans doute pas suffisant. Six mois après la destruction des Halles CFF, Morges se remet gentiment de sa gueule de bois en colmatant les brèche, mais devra tout mettre en oeuvre pour que les prochains lendemains ne soient pas aussi incertains…
Sarah Rempe