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Le robot, arbitre du futur?

Paris, mardi 28 mars 2017. Affiche de gala dans la ville lumière, l’équipe de France de football joue contre l’Espagne en match amical. Griezmann opposé à Ramos, Kanté face à Busquets, le match met aux prises les meilleurs joueurs du monde. Mais ce soir, les stars habituelles sont éclipsées par l’arbitrage vidéo. Pour la première fois dans l’Hexagone, la technologie a décidé de l’issue d’un match.

Les Bleus en fusion, l’arbitrage vidéo les éteint

Il est 21h48, le temps s’arrête. L’attaquant français Antoine Griezmann frappe le ballon au fond des filets de David De Gea, le gardien espagnol. Le onze tricolore jubile, les supporters explosent de bonheur, les Bleus mènent 1 à 0. Mais très vite, le doute s’installe et Felix Zwayer, l’arbitre de la rencontre, demande la confirmation vidéo. Vingt secondes plus tard, le verdict est implacable, un coéquipier du buteur est en position de hors-jeu. Le but est annulé et pour la première fois sur le sol français, l’arbitrage vidéo prend le pas sur l’humain.

France-Espagne, mardi 28 mars 2017. Le but d’Antoine Griezmann est annulé, après consultation de la vidéo.
Quelques minutes plus tard, la scène se répète. L’attaquant ibérique Gerard Deulofeu, inscrit son premier but en sélection, mais malheureusement pour lui, il n’a pas le temps de le fêter. L’arbitre sollicite à nouveau la technologie, avant de finalement valider la réalisation. Une poignée de secondes plus tard, la tension est retombée, l’émotion évaporée et la robotisation de l’arbitrage a privé le buteur de l’explosion de joie vécue après un goal. Son nom est inscrit au tableau d’affichage, mais un robot lui a volé son bonheur.


La robotisation de l’arbitrage se définit par une utilisation toujours plus intensive de la technologie. Du chronomètre à la vidéo en passant par la Goal Line Technology (GLT) et la communication par oreillette. À terme, elle pourrait même aller encore plus loin, en remplaçant la plupart des décisions humaines par des algorithmes.


Cette nouvelle façon d’arbitrer marque un précédent dans l’histoire du foot et plus rien ne sera jamais comme avant. Mais au-delà de l’événement, reste une réalité: les juges de jeu sont sous pression et leurs erreurs sont de moins en moins tolérées. Alors, pour faciliter leur travail, Willy Zwaenepoel, chercheur à l’école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), travaille sur la robotisation de l’arbitrage. Passionné par le football, il pilote un projet intitulé Collina – en honneur au célèbre arbitre italien.
Pour le mettre en œuvre, Willy Zwaenepoel distingue deux types de décisions arbitrales : celles basées sur les faits et celles qui reposent sur l’aspect humain. Dans le premier cas, aucune interprétation n’est requise, donc la décision peut être automatisée et prise en charge par une machine. Ce sont ces situations que Willy Zwaenepoel aspire à améliorer. Et pour diminuer les erreurs, il préconise le recours à une technologie bien connue, mais pourtant encore inutilisée dans ce sport.

Willy Zwaenepoel, chercheur à l'EPFL, présente son projet d'arbitrage du futur.
Ce projet ambitieux fait partie d’une réflexion plus globale que le football est en train de mener. La plus connue est la Goal Line Technology, introduite en 2013 par la Fédération Internationale de Football (FIFA), qui permet de savoir avec exactitude s’il y a but, ou non. Aujourd’hui utilisée dans la plupart des grands championnats européens, sa nécessité et sa fiabilité son pourtant régulièrement remise en cause. Elle ralentirait le jeu et irait à l’encontre de l’esprit de ce sport. Mais dans les faits, elle réduit l’injustice liée à une erreur d’arbitrage. Lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud, si elle avait été en vigueur, les Anglais n’auraient peut-être pas été éliminés contre les Allemands. Pour rappel, un but leur avait été injustement refusé alors qu’il était totalement valable.
Il faut arrêter d'être hypocrite Damien Carrel, ancien arbitre international
Aujourd’hui, la science progresse et dispose d’outils très précis qui n’existaient pas autrefois. Cette avancée technologique stimule l’esprit des chercheurs et Willy Zwaenepoel veut aller encore plus loin. Pour lui, le terrain de football du futur sera intégralement quadrillé de capteurs pour pouvoir analyser chaque action en temps réel. Le but : déterminer instantanément si une faute est commise ou si le ballon a franchi intégralement une ligne de jeu.
Parmi les acteurs concernés, cette avancée trouve un écho certain. « Il faut arrêter d’être hypocrite, explique Damien Carrel, ancien arbitre international. Avec les moyens dont nous disposons actuellement, les erreurs sont inévitables. Un hors-jeu est extrêmement difficile à apprécier, tout se joue en une fraction de seconde. L’arbitrage vidéo nous enlèverait un poids et diminuerait le risque d’erreur. »
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Damien Carrel, ancien arbitre international.

Photo : Keystone

 

Algorithmes contre tradition

Les instances mondiales du football semblent décidées à rattraper leur retard sur les autres sports en matière d’assistance vidéo, mais cette volonté ne fait pas l’unanimité. Le football, sport le plus pratiqué, suivi et médiatisé du monde est attaché à ses racines et à son histoire. Une histoire façonnée par le board, instance britannique du football qui détient les lois du jeu et qui s’oppose à toute évolution.
Pour Fabien Archambault, historien du football, la tradition et l’universalité du football sont des arguments décisifs contre la technologie: « Institutionnellement, le monde professionnel n’est qu’une émanation du monde amateur. Il n’y a pas de séparation radicale. En conséquence, si les règles sont modifiées pour le football professionnel, cela impliquerait de les modifier aussi au niveau amateur, ce qui techniquement n’est pas possible. » La faute à un coût financier trop élevé et l’impossibilité d’équiper tous les terrains de la même manière.

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Fabien Archambault (à gauche) et Paul Dietschy, historiens du football.

Photos : Keystone

Autre argument en faveur du statu quo: la stabilité. Selon Paul Dietschy, spécialiste des questions d’arbitrage, l’attractivité du football s’explique par sa simplicité: « ce sport n’a pas eu besoin de beaucoup d’années pour trouver ses règles et depuis 1890, la manière d’y jouer n’a pas beaucoup évoluée. » L’arbitrage par contre, s’est, lui, énormément professionnalisé.
Aujourd’hui, les juges de ligne rondouillards et nonchalants n’existent plus, désormais ce sont des athlètes encadrés et parfaitement entraînés. Leur niveau a augmenté et les erreurs ont diminué. Pour Fabien Archambault, historien du football: « Ceux qui pousseraient à la robotisation de l’arbitrage, ce sont les professionnels, parce que les enjeux financiers sont énormes. Mais comme ils sont globalement satisfaits du niveau actuel, peu se mobilisent pour une réforme. »

Le robot ennuie, l’arbitre électrise

Contrairement au robot, l’homme n’est pas infaillible et c’est son plus grand atout. L’interprétation humaine, écrit des histoires et contribue à la légende de ce sport. Pour Augustin Perez, président de la commission des arbitres de l’ACGF, l’erreur d’arbitrage agace, mais reste vitale pour la popularité de ce sport. Montrez la même action litigieuse à cinquante arbitres, tous auront un avis différent. Et c’est dans ce sens que l’humain se distingue de la machine.

L’erreur fait partie du jeu et arbitrer implique une portée pédagogique. Nicolas Bancel, sociologue du football, explique que « dans l’idéologie sportive, l’homme en noir a une fonction de médiation sociale. Alors, le remplacer par un robot déshumaniserait le football. » Anthony Braizat, ancien entraîneur du Servette FC partage cette opinion: « La fonction de l’arbitre va au-delà du sport, elle participe à l’éducation des joueurs et symbolise le respect. Dans mon ancien club, quand un des jeunes prenait un carton, on l’envoyait arbitrer dans les catégories inférieures pour qu’il se confronte à ses propres agissements. Avec une machine, ce serait impossible. »
Si l’utilisation accrue de la technologie n’enthousiasme pas tout le monde, les jeunes arbitres, eux, semblent convaincus. Membre du pôle espoir genevois, Etienne Roux a toujours voulu devenir juge de jeu. Et pour lui, tout est question de proportion. L’intuition et le feeling sont compatibles avec la vidéo.

Interview d'Etienne Roux, arbitre de 21 ans et membre du pôle espoir genevois.
Aujourd’hui, l’avenir de l’arbitrage est au cœur de toutes les discussions. Certains plaident pour le statu quo, d’autres pour un changement drastique, le consensus se trouvera sûrement au milieu. Mais reste une réalité, la FIFA a décidé d’agir et tout porte à croire que la robotisation du métier poursuivra sa progression. En 2018, lors de la Coupe du monde en Russie, des robots épauleront les arbitres. Mais à l’avenir, cela pourrait être l’inverse.
 
Julien Thorens

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