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Le football amateur
secoué par la violence

Bagarres générales, fautes graves, insultes racistes, et agressions en tous genres : le nombre d’actes brutaux sur les terrains de football amateur vaudois ne cesse d’augmenter. Qui sont les responsables de cette transformation des pelouses en rings ? Et comment lutter contre ces violences ?

George Orwell disait : « Le sport c’est comme la guerre, les fusils en moins ». L’écrivain britannique avait-il pressenti que les terrains de football vaudois connaîtraient une recrudescence de comportements violents plus d’un demi-siècle après sa mort ? Certainement pas. Force est de constater que la citation se prête bien au triste spectacle qui se déroule sous les yeux de l’Association cantonale vaudoise de football (ACVF).

« Trop c’est trop ! » En octobre dernier, la Commission de jeu & fair-play de l’ACVF tire la sonnette d’alarme. Menée par son président, Dominique Fillettaz, elle fait paraître un communiqué sur le site internet de l’association. Le texte dénonce la hausse significative des cas de violence sur et hors des pelouses. Depuis la saison 2016/17, les chiffres connaissent une augmentation spectaculaire et constante. Une courbe exponentielle que les autorités régionales comptent bien freiner.

En audio – Dominique Fillettaz se dit préoccupé par l’explosion de la violence dans le football amateur :

Le constat est sans appel. Les terrains de football sont devenus un véritable défouloir. Un triste spectacle auquel participent : joueurs, entraîneurs, spectateurs ou encore arbitres. Alors, parmi ces acteurs du ballon rond : à qui la faute ?

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Les joueurs ne jouent plus le jeu

Dimanche 10 octobre 2021 : Le FC Gingins reçoit le FC Bursins-Rolle-Perroy dans le cadre du championnat de 3e ligue vaudoise. Ce match, même si ce n’est que le septième de la saison, risque bien de compter à l’heure de faire les calculs finaux. Et les équipes comptent bien le remporter. La rencontre se déroule à la régulière, quand survient l’heure de jeu : un violent coup de coude, un nez cassé, des coups de poing, une bagarre générale, puis même une deuxième. Face à cette situation, l’arbitre n’a d’autre choix que de mettre fin de manière prématurée à cette partie. Un affrontement que l’ACVF condamnera en déclarant les deux équipes perdantes de cette partie.

On atteint des records, il n'y a pas un week-end sans matchs arrêtés ! Michel Girardet, Membre de la commission Jeu & Fair-play de l'ACVF

À dix reprises cet automne, des rencontres de football amateur ont été arrêtées dans le canton de Vaud. Dix parties stoppées de manière abrupte. Dix situations où le climat était trop défavorable pour que la partie puisse se poursuivre. Dix fois de trop. Arrêter un match : cela ne se fait qu’en dernier recours.

Chaque mardi après-midi, ces cas spéciaux sont décortiqués par les membres de l’ACVF lors de la séance des sanctions. Autour de la table, Michel Girardet et ses collègues s’accordent pour dire que la situation n’est plus tenable : « On atteint des records, il n’y a pas un week-end sans matchs arrêtés ! » Alain Klaus, secrétaire général de l’association, ajoute : « Ce qui fait peur, c’est surtout la gravité des cas. »

Dans le football régional, ce n’est pas seulement l’augmentation de la brutalité des cas qui interpelle, mais également la hausse de leur fréquence. Les violences en tous genres sont de plus en plus nombreuses. La preuve : 6’572 cartons jaunes ont été distribués lors des 4’500 matchs disputés dans le canton de Vaud entre mi-août et mi-octobre 2021. Du jamais vu.

À ces chiffres viennent s’ajouter les expulsions. Durant le tour précédent, l’ACVF en a dénombré 511. Cela signifie qu’un carton rouge est brandi tous les dix matchs. Pour le football amateur – qui reste un jeu sans trop d’enjeu – c’est beaucoup. Avec une moyenne de plus d’un carton et demi par match, les joueurs vaudois se classent parmi les cancres du pays. Seuls les Tessinois, les Genevois, les Neuchâtelois et les Valaisans font pire cette saison. Les « Latins » semblent véritablement être les moins disciplinés.

Ces scores prolifiques, le « football des talus » n’en avait pas besoin. Par le passé, certains événements avaient déjà fait du bruit dans la presse. L’exclusion du FC Boveresses suite à des nombreux matchs problématiques avait fait couler beaucoup d’encre. Tout comme la suspension de ce joueur qui s’était rendu sur le terrain du FC Saint-Sulpice avec un fusil. De quoi faire mentir Geroge Orwell.

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Les spectateurs s’en mêlent

Appuyés à la barrière du stade municipal ou depuis la buvette, les supporters ont toujours leur mot à dire. Une petite pique pour déstabiliser l’adversaire. Puis une insulte. Et l’atmosphère devient électrique. Les bagarres entre supporters sont de plus en plus nombreuses et violentes. La police et les ambulances doivent même parfois se rendre au bord des terrains vaudois.

Les incidents en tribunes sont innombrables, au point de ne plus surprendre Dominique Fillettaz : « C’est devenu une fâcheuse habitude. Il y a des problèmes entre groupes de supporters, mais aussi entre les spectateurs et les joueurs. Certains supporters rentrent même sur le terrain pour s’en prendre à l’arbitre. »

En audio – un supporter du FC Grandson-Tuileries explique sa façon de vivre le rôle de spectateur :

Le pire, c’est que cela arrive aussi chez les juniors. En voyant ce qu’ils pensent être leur futur Cristiano Ronaldo, les parents s’emballent. Tout sauf exemplaires, ils se laissent submérger par l’émotion. Des quadragénaires qui se battent autour d’une pelouse de football amateur : c’est arrivé plus d’une fois cette saison.

On peut désormais ordonner des interdictions de stade aux supporters les plus problématiques. Dominique Fillettaz, président de la commission Jeu & Fair-Play de l'ACVF

A-t-on les moyens de sanctionner ce genre de cas ? « La seule chose que l’on pouvait faire c’était amender les clubs coupables de ces violences entre spectateurs. Depuis cette année, l’Association suisse de football collabore avec les associations régionales. On peut désormais ordonner des interdictions de stade aux supporters les plus virulents. C’est triste d’en être arrivé à ce stade », conclut Dominique Fillettaz. Ainsi, de nos jours dans le monde du football régional, le spectateur est tout sauf spectateur.

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Les arbitres ont les oreilles qui sifflent

Ce climat de plus en plus hostile, c’est le directeur de jeu qui le subit. Cela se sait depuis des années : il faut du courage pour occuper ce poste. Et c’est d’autant plus le cas aujourd’hui.

En images – le quotidien d’un arbitre de football amateur (ici lors d’un match de Coupe vaudoise entre deux équipes de 4e ligue) :

L’homme de loi vit malgré lui avec les innombrables réclamations qui hantent les pelouses de football amateur. Naji Boulejiouch, arbitre de 3e ligue, officie depuis une dizaine d’années à ce niveau : « Parfois j’entends des trucs horribles au bord du terrain. Heureusement que je ne viens pas en famille ! »

Dans le canton de Vaud, cette ambiance pesante décourage une cinquantaine d’arbitres par année. Environ 400 arbitres dirigent un total de 520 matchs hebdomadaires. Une partie des directeurs de jeu met ainsi le sifflet à la bouche plus d’une fois par semaine. La situation est critique et la commission qui gère les arbitres doit toujours lutter pour que toutes les rencontres trouvent preneur. Cette semaine encore, les directeurs de jeu du canton ont reçu ce courriel de la part de leur association :

Hicham Matni, président de la Commission des arbitres vaudois, assure que les prochaines années vont être compliquées. « Actuellement, le nombre de nouveaux arbitres suffit tout juste à combler les départs. Mais les jeunes sont peu à persévérer dans le domaine. Le rôle de directeur de jeu est devenu extrêmement complexe et ils sont nombreux à arrêter à peine après avoir débuté. »

C’est le cas de Basile. L’universitaire de 19 ans a vécu une série de rencontres compliquées l’automne dernier. « Après cinq ans dans le monde de l’arbitrage, j’ai donné ma démission. Je sifflais des juniors d’une quinzaine d’années, ça se passait bien. Mais ce qui m’a découragé, c’était le comportement des entraîneurs et des parents des joueurs. »

Dans notre pays, les arbitres sont payés entre 60 CHF et 120 CHF pour diriger une rencontre de championnat amateur. Un argument qui n’a pas fait changer Basile d’avis : « Peu le font pour l’argent. Si je prends en compte le trajet, la préparation de match et la durée de la partie, l’arbitrage occupe facilement quatre heures de ma journée. »

En vidéo – le témoignage de Basile qui n’a pas supporté le traitement réservé aux arbitres sur les terrains de football vaudois :

Pour l’heure, aucune rencontre n’a dû être annulée pour cause de manque d’arbitres dans le canton. « Mais cela va certainement arriver », craint Hicham Matni. « C’est un problème partout en Suisse, le rôle ne séduit pas. Les jeunes ont autre chose à faire de leur après-midi que se faire insulter », conclut-il.

Dans ce domaine, les Vaudois font partie des bons élèves. À Neuchâtel ou encore à Fribourg, des rencontres n’ont pas pu être jouées. Car comme le dit si bien le dicton : « Sans arbitre, pas de match. »

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Et si les coachs étaient coachés ?

L’entraîneur est-il réellement responsable du comportement de son équipe ? Sébastien Bichard, entraîneur assistant de l’équipe nationale du Kosovo estime que oui. « L’équipe va retransmettre les émotions que dégage son coach. Si je suis calme, mes joueurs garderont la tête froide. Mais si je m’excite, ils perdont leur sang froid. »

Depuis l’été 2019, le règlement stipule qu’il est désormais possible d’avertir ou expulser les membres du staff à l’aide des cartons. Ce changement a permis de rassembler des statistiques au sein de l’ACVF. Et les entraîneurs ne sont pas exempts de tout reproche. En effet, lors du tour précédent, ils ne sont pas moins de 51 à avoir fait les frais d’une expulsion.

Il y a du boulot ! Nous avons prévu quinze dates pour sensibiliser 650 entraîneurs de notre canton. Dominique Fillettaz, président de la commission Jeu & Fair-Play de l'ACVF

« L’entraîneur entraînerait ses joueurs dans la violence. L’idée de créer un cours de sensibilisation pour les coachs est donc venue tout naturellement. Et il y a du boulot ! Nous avons prévu quinze dates pour sensibiliser 650 entraîneurs de notre canton », explique Dominique Fillettaz. Ainsi, d’ici au 4 novembre prochain, l’ACVF ambitionne d’accueillir pratiquement tous les tacticiens du canton. La formation obligatoire sera donnée aux coachs des équipes d’adultes et aux entraîneurs des équipes de jeunes dès 14 ans.

À Echallens, les entraîneurs assistent à un cours de sensibilisation donné par deux responsables de l’arbitrage vaudois.

La formation aborde deux thématiques principales : « l’entraîneur et ses émotions » et « le respect mutuel entre l’arbitre et l’entraîneur ». Alors que la première partie est essentiellement théorique, la seconde est plutôt pratique. Les coachs se mettent dans le rôle de l’arbitre et comprennent la difficulté de la tâche. Pour tous, c’est la première fois qu’ils assistent à un cours axé exclusivement sur le respect, le fair-play.

Un mois après le lancement du cours, les autorités du football vaudois peuvent récolter les premiers fruits de ce programme de sensibilisation. « Pour l’heure, les entraîneurs de 4e et 5e ligue ont été sensibilisés, et ces dernières semaines on a remarqué une nette amélioration du fair-play des équipes dans cette catégorie de jeu », constate fièrement le responsable du cours de sensibilisation Hicham Matni.

L’ACVF a-t-elle trouvé la recette magique avec cette formation ? La piste semble prometteuse.

Images : Footvaud

Texte, vidéo et audio : Joël Brunner

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