Une bonne moitié de l’élite jurassienne, diplômés universitaires ou d’écoles supérieures, ne revient pas vivre au pays après les études. Le Jura, périphérique, peine à retenir ses têtes pensantes attirées par les grands centres urbains. Que faire pour rester attractif?
Avec sa réputation de canton progressiste, gentiment recentré vers la droite chrétienne, le canton du Jura ne cesse de se démener économiquement. Et de rester attentif à ses têtes pensantes aussi. Lucide sur sa situation périphérique par rapport aux grands centres lémaniques ou zurichois, il doit pourtant lâcher chaque année nombre de diplômés des universités, des HES ou HEP. Des « têtes bien faites » souvent contraintes de s’exiler définitivement au vu de la rareté des débouchés professionnels, ou qui, plus simplement, préfèrent s’établir ailleurs que dans leur région d’origine. De nouvelles attaches, contractées durant leurs études, un attrait fort pour une offre culturelle et sociale plus vaste en ville sont autant de motifs.
Sensible à la question du devenir des diplômés jurassiens, le ministre jurassien des finances Charles Juillard reconnaît que le Jura n’est pas assez développé du point de vue de l’offre d’emplois dans le secteur tertiaire
AUDIO: Charles Juillard – L’emploi dans le Jura en question
La question se pose pour les futurs diplômés
Il y a aussi celles et ceux, encore en études, qui se questionnent sur la suite à donner à leur carrière. Rester dans le Jura, n’y être que le temps des études puis aller voir ailleurs, c’est le cas de Camille, Jurassienne, désireuse de rester dans son canton et d’Alessia, Jurassienne bernoise, qui elle, envisage plutôt de pratiquer sa profession en dehors du Jura.
VIDEO: Deux étudiantes – « J’espère pouvoir trouver du travail ici! »
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EN CHIFFRES
Une étude réalisée en 2013 et portant sur la période 2000-2010 révèle que 40% des diplômés universitaires et 51, 6% des diplômés HES restent dans le Jura. Ces chiffres, le responsable du Service de la formation niveau secondaire II et tertiaire du canton Christophe Cattin les bouscule un peu : « le déficit migratoire est de 55% juste après les études, mais au bout de cinq ans, il atteint les 70% », précise-t-il.
L’étude, que l’on doit à Patrick Rérat, chercheur à l’Université de Neuchâtel et lui-même jurassien, montre que malgré leur attachement à leur canton d’origine, les diplômés tendent majoritairement à quitter la région à long termes. La plupart ne trouveraient pas sur place les jobs auxquels leur formation supérieure leur permet d’accéder.
Pour Charles Juillard, ministre jurassien des finances, la situation du Jura n’est pas si mauvaise.
AUDIO: Charles Juillard – « Le Jura n’est pas si mal placé que ça! »
Quitter le Jura? Rester pendulaire?
Fraîchement diplômé, Arnaud Paratte a 26 ans. Originaire de Saignelégier, il vient de terminer un Master en Lettres à Lausanne et entamera en 2018 une formation à la HEP, toujours dans la capitale vaudoise. D’après lui, « C’est difficile pour un petit canton comme le Jura de séduire les jeunes exilés en formation ! » Le jeune « Taignon » confirme sa nostalgie des origines, qui le font revenir de temps en temps au bercail. Mais il ne s’imagine pas vivre ailleurs que dans un centre urbain. « J’aime trop le bruit et profiter de la pollution tant qu’il y en a », rigole-t-il. Arnaud Paratte.
AUDIO: Arnaud Paratte – « Une vie plus rurale ne m’attire pas »
Le Jura n’est pas à même de satisfaire ses attentes. Les personnes qui font partie de sa vie désormais n’y sont pas. Il dit être tenu à son socle social, entre Neuchâtel et Vaud. Un attrait semble-t-il irrésistible: « On sent bien au niveau politique cette bipolarisation du genre campagnes contre villes. Les villes vont à termes aimanter de plus en plus de monde sans que les racines qu’on a dans une région, si on en a, puissent nous retenir. »
Mattia Della Corte a 30 ans, vient de Moutier et navigue entre sa ville d’origine et Zurich, après des études universitaires à Neuchâtel. Contrairement à Arnaud Paratte, lui préfère retourner régulièrement au bercail. « Je me sens attaché au monde rural et c’est dans ce milieu que je désire vivre et évoluer. Ce qui est le plus prégnant, c’est l’attachement à ma famille, à mes amis, aux lieux dans lesquels j’ai grandi. Il y a une simplicité et une authenticité de vivre qui me semble plus frappante dans le monde semi-rural d’où je viens, que dans le monde urbain. J’apprécie sporadiquement ce que peut offrir la vie urbaine, j’y travaille mais n’y loge pas. Je préfère être pendulaire. »
Les risques qu’il perçoit du clivage villes-campagne, il les voit surtout dans la prévision d’une urbanisation du monde rural, due selon lui à une surpopulation. Pour Mattia Della Corte, un effort doit être effectué dans le monde rural ou semi-rural pour limiter la « fuite des cerveaux ». Cela passe par une modernisation des entreprises, une diversification des secteurs de l’économie ou par l’appui à la création de start-ups et d’entreprises œuvrant dans la digitalisation.
Il faut qu’on puisse considérer ces diplômés comme de véritables ressources potentielles pour le canton. Patrick Rérat, chercheur à l'Université de Neuchâtel
Derrière le sentiment que ces diplômés « manquent » au canton, il y a toute la réflexion que sont en train de mener les autorités pour améliorer le tissu économique jurassien. Sans tirer la sonnette d’alarme ni en faire un problème prioritaire, les pouvoirs politiques prennent conscience à l’inverse qu’avec plus de diplômés résidant ou non dans le canton (mais y travaillant), l’économie en serait forcément bonifiée.
Christophe Cattin, qui ne se veut pas la voix officielle, exprime sa crainte. Le siphonnage est réel : « Le canton du Jura doit se positionner en termes économiques comme un centre de compétences. Il faut faire venir des entreprises, qui font venir des chercheurs, qui font venir des écoles. C’est bien d’un centre vertueux de la croissance et du développement dont on a besoin. »
Des solutions pour retenir les diplômés?
L’étude menée par Patrick Rérat esquisse des solutions : « Il faut que les acteurs se mettent en réseau et que l’information circule. Qu’on puisse également considérer ces diplômés comme de véritables ressources potentielles pour le canton. »
Quelques démarches ont donc été prises pour retenir ou « séduire les diplômés. Une plateforme de communication de l’Association des Jurassiens de l’Extérieur cherche à établir des relations entre les différents acteurs. Le canton soutient également des démarches comme celles de Creapole, une entreprise privée favorisant la création de start-ups et d’entreprises vouées à l’innovation. Daniel Rüegg, directeur de Creapole
AUDIO: Daniel Rüegg – Aux petits soins de projets innovants
Mais lorsque l’on parle de retenir les étudiants dans le Jura, les regards se tournent vers le campus de formation tertiaire Strate J.
En place à deux pas de la gare de Delémont depuis 2016, le campus abrite les écoles HEP-BEJUNE et HE-Arc, et est également le siège des rectorats HEP-SO. Ce projet, totalement innovant pour le Jura, exprime les efforts faits pour améliorer concrètement le secteur de l’enseignement. Tout bonus pour l’économie et la réputation d’une région estimée aussi pour sa qualité de vie, son offre culturelle et de loisirs importante. Des attraits qui comptent si l’on espère ramener l’élite jurassienne sur ses terres.
AUDIO: Campus Strate J – Etat des lieux
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Pour le recteur de la HEP-BEJUNE Maxime Zuber, il faut chercher à limiter l’exode en étendant justement l’offre de la formation tertiaire. « C’est là le sens du développement du campus Strate J à Delémont qui abrite HEP-BEJUNE, HE-Arc et HE-SO. Il faudrait aussi attirer des instituts universitaires. Mettre en valeur la qualité du Jura comme lien d’établissement. C’est une région sûre, l’environnement y est préservé, le coût de la vie bas, la mobilité facilitée. »
AUDIO: Maxime Zuber – Limiter l’exode par une offre de formation complète
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Observateur, l’ancien maire de Moutier Maxime Zuber ne tire également pas la sonnette d’alarme. Il estime que les emplois requérant une formation dans le secteur tertiaire sont légion, même si la demande est plus forte que l’offre. « Il s’agirait de comparer le taux de diplômés tertiaires (en % de la population) dans le Jura avec d’autres cantons. A ma connaissance, le taux de bacheliers est sensiblement supérieur dans le Jura en regard de la moyenne suisse », souffle-t-il.
AUDIO: Maxime Zuber – « Le Campus Strate J est une chance pour cette région »
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Une opposition ville-campagne relativisée
Pour lui, pas de risque que la région se fasse réellement siphonner : « Avec la digitalisation et le télétravail, c’est la tendance inverse qui s’accentuera. Les postes à haute responsabilité et haute valeur ajoutée peuvent être délocalisés dans des régions éloignées des centres et de leurs désagréments. » Mais, condition importante, le Jura doit rester desservi par un réseau de transports publics performant, de telle sorte que ceux qui travaillent dans les pôles urbains soient des pendulaires établis dans le Jura. En ce sens, on voit l’importance de la récente mise en service globale de l’autoroute A16.
Toujours pour Maxime Zuber, la numérisation et la digitalisation relativisera l’opposition ville-campagne. « C’est le travail qui va profondément changer bien plus que le lieu d’implantation des emplois. Des professions vont disparaître comme le commerce de détail ou la production industrielle, alors que d’autres vont naître. Telle est la vraie problématique ».
Le Campus Strate J? Pour la Promotion économique jurassienne et son délégué Jean-Claude Lachat, on peut imaginer que c’est un élément supplémentaire pour garder les étudiants jurassiens dans le territoire. Et en attirer d’autres.
AUDIO: Jean-Claude Lachat – « Un élément supplémentaire pour garder les étudiants »
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L’uni ou l’EPFL dans le Jura?
Et pourquoi pas imaginer d’implanter une cellule universitaire ou de l’EPFL dans le Jura? On y a déjà pensé, mais c’est pour l’heure encore peu envisageable.
AUDIO: Charles Juillard – «Ça coûterait beaucoup d’argent!»
On le constate avec les voix qui se font entendre, le Jura n’est pas tout à fait vidé de sa substance. Cet ex- « Etat de combat » possède des ressources. A témoin, ses centaines de diplômés. Si l’on veut bien les considérer comme des ressources. Et de ce côté-ci, c’est sûr, il y a du travail.
Il faut faire venir des entreprises, qui font venir des chercheurs, qui font venir des écoles. C’est bien d’un centre vertueux de la croissance et du développement dont on a besoin. Christophe Cattin, responsable du Service de la formation niveau secondaire II et tertiaire Jura