Le Glacier du Rhône aura disparu à la fin du siècle. Sans sa source le Rhône devra s’adapter, naturellement et artificiellement.
«Le glacier du Rhône, terre blanche nourricière, inonde la Suisse de son majestueux fleuve à qui il donne naissance.»
Carte postale idyllique que nous conte Suisse-Tourisme. Oui mais voilà, le glacier fond et aura, selon l’office fédéral de l’environnement, quasiment disparu à la fin du siècle. Le symbole est fort : le Rhône aura alors perdu sa source.
Une résilience forte et naturelle.
Heureusement pour notre fleuve, il est l’enfant de 628 glaciers. Des parents qui lui font office d’éponge, ils retiennent l’eau en hiver pour la relâcher en été. La neige joue évidement le même rôle sur un temps plus court. Avec la disparition annoncée des glaciers et la remontée de la limite pluie-neige, son débit va être plus élevé en hiver et plus restreint en été, l’eau ne restant plus en altitude durant la saison froide.
Animation: Les Alpes helvètes alimentent 5 fleuves européens.
Selon Mikhaël Schwander de MeteoSuisse « la moyenne annuelle des précipitations alimentant le Rhône ne devrait pas varier au cours du siècle. Nous aurons des étés plus secs, mais avec des événements extrêmes plus violents et plus fréquents déversant de grandes quantités d’eau sous forme d’orages. Les hivers seront plus doux, charriant plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère, ce qui favorise ainsi les précipitations.»
Preuve de la résilience du Rhône malgré l’été caniculaire, le débit du fleuve est resté dans la moyenne des années précédentes. La fonte des glaciers compense encore le manque de précipitation.
A nous de nous adapter à ses changement.
Le Rhône coulera toujours mais sera plus capricieux. Un des défis que pose le réchauffement climatique est donc de garder le plus longtemps possible l’eau en montagne afin d’éviter les crues trop importantes et l’étiage lors de sécheresses.
Les glaciers du Rhône, c’est 40 km3 de glace. En comparaison, l’ensemble des grands réservoirs valaisans ont une capacité de 1,2 km3. Jamais les barrages ne remplaceront le volume d’eau des glaciers. En revanche, leur utilité de retenue hydrique en altitude est primordiale.
Il y a 117 barrages en Valais. Il y a quelques années, ils étaient considérés comme obsolètes et trop coûteux. L’électricité était alors bon marché, les turbines de la Grande Dixence n’étaient plus rentables. Mais la crise énergétique actuelle et les futurs défis climatiques ont ramené les barrages sur le devant de la scène. «Plus les glaciers fondent, plus les lacs de retenue se remplissent de potentiels kilowattheures à échanger sur les marchés» précise l’hydrologue et guide de montagne Frédéric Jordan. «Le stock hydrique va augmenter pendant 40 à 50 ans, jusqu’au pic de fonte des glaces, puis revenir au même niveau que lors de leur construction.»
Vidéo: « En Suisse, il pleut beaucoup grâce aux montages. » Frédéric Jordan Hydrologue
Les barragistes peuvent se frotter les mains. La Grande Dixence n’a jamais été aussi pleine qu’en cet fin d’été. Mais ces monstres de béton ne devront plus être considérés uniquement comme des batteries géantes. La nouvelle approche est et sera «multi-usages » selon Chrystelle Gabbud, gestionnaire environnementale chez Alpiq. «Énergie, rétention de crue, soutien à l’étiage, raccordement à l’eau potable, ces nouveaux éléments seront dans les cahiers des charges lors du renouvellement des concessions» affirme la communicante d’Alpiq.
Hasard du calendrier, l’échéance d’une grande partie de ces concessions arrive à terme d’ici 2060. La bataille des barrages s’amorce. Les fournisseurs d’énergie, la Confédération, les cantons alpins et les communes devront trouver le juste équilibre entre besoin de rentabilité et réserve hydrique.
"Plus l’électricité se vend cher sur les marchés européens, plus l’eau coule." Fréderic Jordan, hydrologue.
Actuellement, c’est le prix du kilowattheure qui régit l’ouverture des vannes de nos barrages. « Plus l’électricité se vend cher sur les marchés européens, plus l’eau coule. A l’avenir, ce n’est plus la bourse qui définira quand ouvrir les vannes, mais les besoins vitaux en aval », conclut Frédéric Jordan.
Renaturer le Rhône pour continuer à cohabiter
Ils pleuvra ou neigera toujours sur nos Alpes, cependant les précipitations seront réparties différemment selon les mois et les saisons. Il faudra préserver l’eau à altitude en période sèche et apprendre à mieux gérer les arrivées d’eau abondantes et soudaines en plaine.
La nature n’aime pas les lignes droites.
En plaine, le traumatisme laissé par la crue centennale de décembre 2003 a permis de mettre en chantier la 3ème correction du Rhône. C’est le dernier maillon qui assure au fleuve sa pérennité et sa sécurité. «On le corrige en regardant comment fonctionnent les systèmes naturels », explique Tony Arborino, professeur en hydraulique et aménagement des cours d’eau à l’EPFL. Cet expert a passé plus de 25 ans à son chevet. «Naturellement, les cours d’eau ont déjà vécu ces changements et c’est nous, en les canalisant avec deux digues parallèles, qui avons aujourd’hui des soucis de résilience au changement.» En clair, la nature n’aime pas les lignes droites. D’après Tony Arborino, «si l’on rendait au Rhône quelques-unes de ses courbes d’origines, il absorberait plus facilement les écarts de débit.»
Vidéo: Décembre 2003, la crue centennale marque profondément le Valais.
RTS: Journal 19h30, 2 décembre 2003 19H30,
Le Rhône est en voie d’élargissement, il passera de 100m actuellement à 150m. Cela permettra à son débit de ralentir et les sédiments pourront se déposer sur le fond sous forme d’îlots sous-marins. Ainsi en cas de sécheresse, ces îlots émergeront laissant un « lit d’étiage » à l’eau restante.
L’ingénieur EPFL complète, enthousiaste, que « ces bancs naturels peuvent, en cas de grandes crues, céder en laissant ainsi le fleuve couler sur toute la surface de son lit.»
Des milliards de francs pour sécuriser le fleuve
La Confédération et le canton investissent 3 milliards de francs pour cette 3ème correction. Ce n’est évidemment pas pour que les truites puissent nager en toute quiétude. C’est un calcul coût-risque: une crue majeure du Rhône aurait pour conséquence 15 à 20 milliards de dégâts potentiels, 13’000 hectares seraient noyés.
A titre de comparaison, l’Union européenne estime que les crues augmenteront de 20% à l’avenir. « En Suisse, on a une approche plus fine qui consiste à dire que le débit est une variable incertaine, continue Tony Arborino, que se passe-t-il si la crue centennale survient plus fréquemment ? L’ancienne logique, depuis 150 ans, était de se dire ça n’arrivera pas ».
"On ne connaît pas exactement le débit de demain. Peu importe, fabriquons un système qui est capable d'être résilient face aux incertitudes des changements." Tony Arborino, Hydrologue.
Cette approche fataliste appartient au passé, la 3ème correction du Rhône fait partie d’une réflexion à trois étages cherchant à éviter ces situations critiques. L’élargissement du lit du Rhône doit permettre de faire passer 20 à 40% de débit en plus. Si ce n’est pas suffisant, on retiendra l’eau dans les barrages en amont. Si les barrages sont pleins, certaines digues auront pour but le délestage à des endroits précis où les dégâts causés seront minimes. «On ne connaît pas exactement le débit de demain. Peu importe, fabriquons un système qui est capable d’être résilient face aux incertitudes des changements» conclut M. Arborino.
Tristan Brauchli, spécialiste en hydrologie de montagne, nuance un peu cette confiance absolue dans cette gestion fluviale. «Nous serons toujours le château d’eau de l’Europe. Oui, le Rhône coulera toujours, mais il devra être géré différemment. Nous devons penser plus globalement.»
Le Rhône n’est suisse seulement sur son premier tiers
Le fleuve n’a qu’un tiers de son cours en Suisse. Les 619 kilomètres français n’ont pas l’atout des Alpes pour jouer le rôle de régulateur. En 2017, son débit annuel moyen a été inférieur de 30 % à celui des vingt dernières années. Et les prévisions sont inquiétantes : ce débit moyen pourrait baisser de 10 % à 40 % dans les prochaines années.
Nicolas Nace de Greenpeace France nous alertait en mai du fait qu’en raison du réchauffement climatique, beaucoup de centrales françaises risquaient de voir leur système de refroidissement mis à mal. Prévision confirmée à la fin de cet été caniculaire: plusieurs réacteurs nucléaires d’EDF ont été contraints d’abaisser leur production en raison des températures élevées des cours d’eau utilisés pour leur refroidissement. La Suisse a donc tout intérêt à laisser couler suffisamment d’eau pour refroidir les 14 réacteurs nucléaires français situés entre le Bugey et Marseille. Mais rien n’oblige la confédération a ouvrir les vannes : il n’y aucune commission ni accord à avoir une vue d’ensemble sur les 814 kilomètres binationaux du Rhône.
La Suisse et la France font bien partie des conventions d’Helsinki de 1992, qui « obligent les Parties à prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir, maîtriser et réduire la pollution des eaux. Elles doivent également veiller à ce que les eaux transfrontières soient utilisées de manière équitable ainsi que respectueuse de l’environnement et de la conservation des ressources.» Il y a en outre 33 instances communales ou régionales qui assurent un bon voisinage hydrique entre nos 2 pays, mais rien sur la globalité du Rhône.
Le réchauffement climatique force et accélère le besoin de réglementer tout cela, c’est pour cela que Berne et Paris renégocient, pour la fin de l’année, un accord-cadre global sur le Rhône. C’est une première. Une première qui ouvre, peut-être, la voie à d’autres accords internationaux avec nos voisins. En effet, la Suisse a un rôle central dans la gestion des eaux européennes, son territoire alimente quatre fleuves majeurs du continent.
A l’avenir, on devra peut-être choisir entre abreuver nos Reines d’Hérens ou refroidir les 14 centrales nucléaires françaises.
Michaël Borgognon
Vidéo d’en tête: ©Adobe Stock