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Le robot, médecin infaillible?

Un couloir blanc. Le bip régulier du moniteur. Un lit roule sur le lino à l’odeur de désinfectant. Nous sommes en 2010, il est 7 heures du matin à la clinique de la Source à Lausanne, et Roberto* est sur le point de se faire opérer. Il y a quelques semaines, on lui découvrait un cancer de la prostate. Trois tumeurs sont disséminées sur et autour de l’organe.
L’intervention est délicate mais elle s’impose. C’est le Professeur Iselin qui opère, à l’aide d’un assistant un peu particulier, un bras télémanipulateur, connu sous le nom de «robot da Vinci.» Aujourd’hui, l’outil utilisé dans 29 hôpitaux suisses, est controversé dans le monde médical.
Le da Vinci en bref:
 
 

 
 
 
 
Pas question pour le robot de se substituer entièrement au médecin. Le da Vinci est une aide permettant d’effectuer des mouvements plus précis et d’atteindre des zones difficilement accessibles à mains nues, tout en étant bien moins invasif. «Grâce au robot, nous pouvons pratiquer des ablations très nettes, avec des pièces de résection de bien meilleure qualité, explique, enthousiaste, le Professeur Iselin. On peut ainsi espérer avoir de meilleurs résultats dans le traitement du cancer.»
Les patients s’enthousiasment également de la finesse des incisions, leur permettant d’être à nouveau sur pieds à une vitesse record. Exit les semaines de récupération douloureuses et contraignantes.
En fait, ce robot a une si bonne réputation que les patients demandent presque systématiquement à être opérés par ce biais. Seulement, s’il profite au patient sous tous les aspects, il n’en va pas de même pour l’hôpital.
 

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Le docteur Gié introduit un instrument chirurgical dans l'abdomen du patient. Les incisions et les outils mesurent moins de 7 mm de diamètre.
 
Gouffre financier
Malgré ses avantages, le coûteux objet (2 millions de francs environ) est très dur à rentabiliser. Au prix initial s’ajoutent les frais d’entretien, 15’000 francs par an, et ceux du matériel. Pour chaque opération, il faut compter 6000 francs d’instruments chirurgicaux, qui ne peuvent être utilisés que dix fois. A la onzième tentative d’utilisation, le système informatique du robot empêche de fixer les outils.
«Cette machine est la définition même de l’obsolescence programmée, tempête Christian Gygi, chirurgien urologue. Ce procédé est absurde et génère des coûts inutiles.» Le Professeur Demartines, chef du service de chirurgie viscérale du CHUV renchérit : «Intuitive Surgical, la société qui fabrique et commercialise le da Vinci a le monopole absolu. Le concept du bras télémanipulateur a été initialement développé par l’armée américaine, qui a fini par mettre la technologie en vente. Dès que l’entreprise l’a achetée, elle a déposé plus de 850 brevets. Personne d’autre n’a pu concevoir de machine similaire.»
Intuitive Surgical a refusé de s’exprimer sur le sujet. Ils justifient la durée de vie des outils par des raisons de sécurité. Impossible, donc, pour l’hôpital, d’échapper à la douloureuse.
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«Le système de tarification n'est pas adapté au robot chirurgical»
Christophe Kaempf, Santésuisse.
 
Une grille tarifaire complexe
La tarification des opérations chirurgicales obéit à un barème bien précis, établi en 2012 : le système tarifaire SwissDRG. Pour faire court, un forfait spécifique est défini pour chaque intervention, sur la base de calculs complexes prenant notamment en compte le type d’opération et son lieu.
Mais ce système est loin de faire l’unanimité, (plus d’infos sur la polémique) car d’après de nombreux hôpitaux, il ne leur permet pas de rentrer dans leurs frais. C’est notamment le cas pour les opérations pratiquées avec le da Vinci.
Infographie: répartition du financement des opérations chirurgicales en Suisse. (Passer la souris pour révéler les chiffres.)
 

«Le problème de ce système tarifaire, c’est que le coût des opérations a été calculé en fonction du travail manuel des chirurgiens, explique Christophe Kaempf, de Santésuisse. Bien avant l’introduction des robots chirurgicaux en Suisse. Chaque intervention a un prix défini, qui est financé à 55 % par le canton et à 45 % par l’assurance. Mais lorsqu’on opère avec le robot, la facture dépasse toujours le forfait prévu, de 20% environ, et c’est à l’hôpital de couvrir la différence. Le système tarifaire n’est pas adapté à cette nouvelle technologie.» Les hôpitaux sont donc systématiquement déficitaires.

Pour le Professeur Iselin, il est possible de compenser la perte occasionnée par le robot:

 

Professeur Iselin, chef du service d'urologie, HUG.
 
Outre les questions financières que soulève le da Vinci, il divise aussi d’un point de vue médical. A ses débuts, la machine avait soulevé une violente polémique. En 2015, l’émission Temps Présent enquêtait sur le robot, et  mettait en lumière des dysfonctionnements ayant coûté la vie à plusieurs patients.
Pour le Professeur Demartines, le robot n’est pas en cause: «Les dommages sont dus au mauvais chirurgien qui était aux commandes, ainsi qu’à l’équipe de maintenance qui a mal fait son travail. Cette machine ne permet pas de rendre compétent un mauvais chirurgien.»
De son côté, Intuitive Surgical balaie ces accusations. «Le succès du da Vinci témoigne de sa fiabilité. Nous n’aurions pas mis cette technologie en vente si elle était dangereuse», expose Véronique Vergriete, porte-parole.
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Professeur Demartines, chef du service de chirurgie viscérale au CHUV.
 
Si certains chirurgiens en font l’éloge, le Professeur Demartines reste prudent: «Aucune étude scientifique n’a encore réussi à démontrer la supériorité de ce robot, ou des avantages sur la réduction des complications post-opératoires. Le problème, c’est que beaucoup de gens, notamment les cliniques privées, l’ont utilisé à des fins de marketing. Cette technologie a des avantages théoriques, mais elle n’est pas la panacée décrite par certains.»
Dans le cas de Roberto, le robot n’a pas fait de miracles. Six ans après son ablation de la prostate, il doit subir un nouveau traitement par radiothérapie. Quelques cellules cancéreuses ont résisté au da Vinci, «mais cette fois, je peux vraiment espérer que ça ne revienne plus jamais.»
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La place de l’humain
Malgré la controverse dont elle fait l’objet, cette technologie révolutionnaire et plus performante que la main humaine soulève une question fondamentale : l’être humain est-il remplaçable ?
Pour Valentine Gourinat, doctorante en éthique et sciences de la vie, «concevoir des outils de plus en plus perfectionnés pour améliorer notre technique est une tendance naturelle de l’homme. Dans le cas de la chirurgie, le robot pénètre dans le corps et franchit une limite symbolique. Le danger avec la technologie, c’est d’en devenir dépendants et de ne plus savoir agir sans. Cela nous diminue dans nos capacités physiques. Avec ce robot, l’humain est toujours au centre.»
Interview audio de Valentine Gourinat, doctorante en éthique et sciences de la vie: «Le robot n’a pas d’impact sur la déshumanisation.»

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Opérée plusieurs fois avec le robot, Carole, 44 ans confirme. «Au début, j’étais un peu craintive car je ne savais pas à quelle sauce j’allais être mangée. Mais le chirurgien est là pour tout nous expliquer. C’est la prise en charge du début qui a été la plus importante pour moi.

Lors de l’opération, deux chirurgiens sont présents. L’un aux commandes de la machine, le second près du patient, pour qu’il puisse reprendre la main en cas de panne. Sans cela, je ne pense pas que j’aurais accepté. Je ne me serais pas donnée à une machine sans qu’il y ait de contact direct.»

La science s’appuie de plus en plus sur la technologie, et développe des robots toujours plus sophistiqués. Un futur sensiblement électronisé semble donc s’annoncer. «L’avenir de la chirurgie, c’est beaucoup de choses, en plus du robot», expose le Professeur Demartines. Selon lui, ces prouesses techniques ne remettent pas en cause l’utilité de l’humain:

Interview du Professeur Demartines:  «Ce robot est une étape dans l’avancée technologique.»

«La réalité virtuelle, la planification informatique des opérations, il y a plein d’artifices qui permettent de repousser les limites de la chirurgie, et le robot n’en représente qu’une infime partie. La place du médecin, au milieu de tout cela, c’est de décider s’il faut utiliser les machines, quand et comment le faire.»

 Malika Scialom

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