16A·Non classé·types de formats

Le service civil, un concurrent de taille pour l’Armée suisse

 
Guy Parmelin, André Blattmann, mais aussi Philippe Rebord lors de sa première déclaration en tant que chef de l’armée, tous ont annoncé dans les médias que le service civil était « trop attractif ». Pour autant, aucun ne détaille en quoi consiste cette attractivité, et malgré nos demandes, l’armée se refuse à tout commentaire. Alors, le service civil est-il le coupable idéal pour justifier la perte des effectifs de l’armée, ou y a-t-il un réel débordement de sa part ?
 
 
 
 
 

Le service civil est victime de son succès Frédéric In-Albion, chef régional service civil, Lausanne
Le service civil doit offrir une alternative à ceux dont la conscience interdit de se servir d’une arme. Pour y entrer, le civiliste devait à l’origine défendre son objection de conscience devant un comité militaire. Un passage obligé aboli en 2009, entraînant ainsi une explosion des inscriptions. Le Conseil fédéral a réinstauré en 2011 une mesure pour s’assurer de la bonne foi des civilistes ; ils s’engagent désormais pour une durée une fois et demi plus longue que le service militaire, et joignent à leur demande une lettre de motivation : c’est la preuve par l’acte.
Depuis, l’augmentation des effectifs est constante, et ce sont 6169 jeunes suisses qui l’ont préféré à l’armée en 2016. De son côté, l’armée peine à remplir ses effectifs et tente de séduire en changeant sa communication.

 

L'objection de conscience, encore d'actualité?

IMG_0707-1.jpg
 
Bastien est un Genevois de 25 ans. D’habitude, il passe ses journées dans les parcs de sa commune où il est employé en tant qu’horticulteur, mais depuis deux mois, il remplit son obligation de servir au Centre d’Intégration Culturelle de Genève. Pour lui, aller à l’armée n’a jamais été une option.
 
Rédaction de lettres, cours de français, aide administrative sont quelques-unes des activités de Bastien au Centre d’Intégration culturelle.
 
Mais l’objection de conscience n’est pas aussi évidente pour tous. Pour Maxime*, civiliste au Musée d’Art Contemporain de Lausanne depuis trois mois, accomplir son service civil n’était pas une vocation. « J’hésitais, je ne savais pas quoi choisir. Si on m’avait proposé un poste qui avait du sens, comme dans le sauvetage, le secourisme ou même quelque chose dans la nature, je serai resté. Je ne voulais pas seulement apprendre à tuer, j’ai besoin de me sentir utile. »
Arrivé trop tard dans l’année au recrutement, les places intéressantes n’étaient plus disponibles. « J’ai aussi eu droit à un échantillon de la discipline militaire ; deux officiers qui hurlent sur les recrues seulement pour montrer qu’ils sont les plus forts, franchement c’est sans intérêt. » C’est après cette expérience décevante qu’il s’est tourné vers le service civil. Il accomplit une mission qui lui tient à cœur, « je participe à la vie du musée, j’ai rencontré plein d’artistes. Je ne sauve pas le monde mais je me sens utile. »
 
J’ai aussi eu droit à un échantillon de la discipline militaire [...] franchement c’est sans intérêt Maxime, civiliste
Pour Raymond Clottu, conseiller national UDC neuchâtelois et membre de la Commission de la politique de sécurité, le civiliste objecteur de conscience existe, mais ce n’est pas la majorité. « L’inscription au service civil est trop simple. Une vraie objection de conscience est quelque chose de réfléchi, pas une simple lettre de motivation ! »
Alors, objection de conscience ou question de facilité ? Les chiffres de l’admission donnent des pistes pour répondre à cette question. On constate qu’en 2016, 46% des civilistes se sont inscrit au service civil avant d’effectuer les jours de recrutement. Plus de la moitié a tout de même « testé » l’armée au moins pendant deux jours avant de se décider.

Même si certains ont sans doute constaté à ce moment-là leur aversion pour les armes, Raymond Clottu y voit une contradiction : « Si on a vraiment un problème avec les armes, on ne va même pas au recrutement ! Les autres n’ont pas de vraie objection de conscience, et choisissent la commodité d’une affectation moins contraignante. »
Pour Frédéric In-Albion, chef régional du service civil à Lausanne, le service civil ne recrute pas activement des membres, il ne fait que de « s’adapter à ceux qui viennent vers eux. » Ce n’est donc pas son rôle de questionner les candidats sur ce choix.
 
Le chef régional répond sans cesse aux mêmes attaques, et ne peut s’empêcher de souligner que « si plus de la moitié des civilistes hésite, c’est à l’armée de se montrer plus attirante lors du recrutement ! »
*nom d’emprunt
 

Le service civil et les affectations déloyales

Khaled-paralax2.png
Le service civil a dû étendre à plusieurs reprises ses domaines d’activités pour pouvoir offrir une place à chaque intéressé. A chaque extension, les critiques sont nombreuses et dénoncent une concurrence déloyale. Pour parer à ces accusations et éviter les abus, le service civil s’appuie sur la loi de 1995 qui pose les règles d’admission.
Il est notamment interdit d’accomplir un service civil sur son lieu de travail, ni que l’expérience ne serve en premier lieu à l’intérêt du civiliste, dans le cadre professionnel ou de sa formation. Des règles louables pour éviter la concurrence déloyale et un plan de carrière ou de formation préétabli par les civilistes.
Khaled Adly a effectué plus de six mois de son service civil au sein de la Croix-Rouge genevoise, une affectation prioritaire. A son terme, il a décidé de suivre une formation pour devenir assistant social à la Haute Ecole de Travail social (HETS) de Genève, formation pour laquelle il devait remplir certains prérequis.
 
 
Contactée, la HETS de Genève nous a confirmé qu’une directive interne recommande au service des admissions de valider les affectations du service civil comme stage d’entrée. Une situation propre à l’institution genevoise, puisque les autres hautes écoles romandes (de Lausanne, de Fribourg et du Valais) refusent ces affectations.
Les contrôles en augmentation
Afin d’éviter ce type d’abus, l’organe du service civil a mis en place des contrôles. Des inspecteurs se rendent donc sporadiquement dans les établissements d’affectation pour vérifier que les civilistes effectuent bien la mission supposée dans le cahier des charges et respectent les horaires.
C’est également lors de ces contrôles que les inspecteurs doivent vérifier que l’affectation ne bénéficie pas en premier lieu au civiliste, au travers d’un entretien personnel. Pour mieux comprendre comment se déroulaient ses contrôles et comment ils limitaient les abus, nous avons interrogé un contrôleur du service civil.
 
 
Pour le service civil, la responsabilité de la situation est donc diffuse entre les différents acteurs. Pour eux les contrôles sont suffisants pour garantir le respect des règles. Ils ont décuplé depuis 2009, et bien que la plupart soient annoncés, le service civil ne décèle que « trois ou quatre cas problématiques par année ».
La situation pose toutefois la question de l’inégalité de traitement, entre les civilistes issus de ces différentes écoles d’une part. Mais aussi plus largement envers tous ceux qui sont d’entrée de jeu exclus du service civil : les femmes et les étrangers.
 
"L'armée ne pourra jamais être attractive" Raymond Clottu, Conseiller national UDC / NE
 
Le service civil se défend des accusations portées à son encontre. En attendant, plusieurs pistes sont discutées au sein de la Commission pour la politique de sécurité du Conseil national pour diminuer son attractivité ; ajout d’une taxe, prolongation de la durée du service, restauration de l’entretien pour défendre son objection de conscience, ou même mise sous tutelle de l’organe du service civil au Département fédéral de la défense. Toutes les pistes semblent donc être explorées, sauf une, celle de l’attractivité de l’armée. Même si Raymond Clottu semble avoir pris conscience de la situation.
 

Texte et multimédia: Micaela Mumenthaler
Photos : Keystone et M.M.
Chiffres : Organe du service civil romand

read more: