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L’éolien suisse et ses vents contraires dans l’Arc jurassien

Les grandes hélices ont un rôle central à jouer dans la stratégie énergétique 2050 de la Confédération, dont le premier paquet de mesures est soumis en votation au peuple suisse le 21 mai. Pourtant, peu de projets de parcs éoliens se concrétisent dans l’Arc jurassien en raison d’une forte opposition. 
Léonard Reichen
Le développement de l’éolien et plus globalement l’avenir énergétique de la Suisse occupent le débat politique ce printemps. Et pour cause: le peuple se prononcera le 21 mai sur un premier paquet de mesures à valider, dans le cadre de la stratégie énergétique 2050 de la Confédération. Entre autres, les Suisses diront si oui ou non ils décident d’encourager le développement des nouvelles énergies renouvelables, qui pour l’heure constituent un peu plus de 4% de la production des énergies en Suisse.
Le Conseil fédéral prévoit notamment de maintenir la rétribution au prix coûtant (RPC), instaurée en 2009. C’est une subvention distribuée aux producteurs qui injectent de l’électricité renouvelable dans le réseau.
Un premier sondage de la SSR commandé à l’institut GFS Bern publié vendredi 7 avril, montre que la réforme de la conseillère fédérale Doris Leuthard récolte pour l’heure 61% de oui, avec un pic à 68% en Suisse romande. C’est une tendance vers un nouveau plébiscite aux énergies renouvelables et indirectement à l’éolien qui se dessine donc dans les urnes, cette fois-ci à l’échelle nationale.
Pourtant les oppositions restent vives chez celles et ceux qui sont directement concernés par ces grandes hélices dans l’Arc jurassien, là où le vent génère des convoitises.
 « Ces éoliennes sont une honte »
Une recherche de la commune de Saint-Brais sur internet est éloquente. Wikipédia est concis : « Saint-Brais est une commune suisse du canton du Jura, située dans le district des Franches-Montagnes. Deux éoliennes surplombent le village. »  Le décor est planté, il est impossible de les louper : les deux turbines sont autant emblématiques que controversées lorsque on évoque la petite commune, à mi-chemin entre Saignelégier, chef-lieu des Franches-Montagnes et Delémont, la capitale jurassienne. Et ce n’est pas par hasard.
L’Arc jurassien, c’est un des endroits du pays où le vent souffle le plus. La région est donc propice à l’installation de telles machines. Pourtant, cet optimisme des promoteurs comme des autorités cantonales se heurte à la réalité du terrain, celle de la contestation.
Vidéo: Philippe Queloz, opposant, était un convaincu de l’éolien avant de revoir son avis:
 

À Saint-Brais, sept ans après l’inauguration du parc éolien, dont la construction avait été acceptée en votation communale, le village reste divisé, entre les « pros » et les « antis », comme nous l’explique Philippe Queloz de Librevent, une association qui milite contre l’installation d’éoliennes. Son principal argument, c’est la protection du paysage. Un point également soulevé par les opposants à la nouvelle loi sur l’énergie au niveau fédéral. Un récent incendie criminel sur un caisson électrique au pied des éoliennes, dont les auteurs n’ont toujours pas été identifiés, n’a fait que remettre de l’électricité dans l’air entre les autorités, les promoteurs et les opposants.
 
 
« Librevent compte aujourd’hui 1000 membres actifs, et 10 communes des Franches-Montagnes sur 13 se sont démocratiquement opposées aux éoliennes lors des assemblées communales » Philippe Queloz, membre de l'association Librevent
Chacun campe donc sur ses positions. D’un côté, les voix favorables estiment que ces moulins à vent contemporains produisent de l’énergie verte respectueuse de l’environnement. De l’autre, les opposants dénoncent le bruit causé par le vent dans les pâles, les infrasons néfastes pour la santé, mais surtout l’atteinte au paysage causée par ces machines.  « Ces deux éoliennes, situées sur les hauteurs de Saint-Brais, constituent une honte » déclarait le président de Librevent Jean-Marie Tschan à la radio RFJ, quelques jours après l’incendie du parc éolien. Un fait divers duquel l’association s’est d’ailleurs immédiatement distancée.
L’association continue actuellement son combat contre la fiche du plan directeur cantonal des énergies relative à l’éolien. Ce document prévoit notamment d’établir entre cinq et dix nouvelles machines au Peuchapatte. Le Gouvernement jurassien s’est fixé comme objectif de produire 150 gigawattheure (GWh) d’électricité éolienne d’ici 2035, soit une trentaine de turbines. Mais la forte opposition remet plus que jamais en question la viabilité de cette stratégie, ou en tous les cas celle du parc franc-montagnard.

Neuchâtel à petits pas avec le soutien du peuple

Au contraire du canton du Jura, les citoyens neuchâtelois ont eu leur mot à dire jusque dans les urnes en ce qui concerne la planification éolienne cantonale. Le souverain avait privilégié en mai 2014 par 65% le contre-projet du Grand Conseil à l’initiative « Avenir des crêtes au peuple de décider ».  Toutes les communes, y compris les plus concernées par l’installation de machines, soutenaient à une proportion de deux tiers le projet. Les Neuchâtelois décidaient alors d’inscrire le développement éolien dans la constitution. Une victoire d’étape du canton de Neuchâtel.

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Laurent Favre, conseiller d'Etat en charge de l'énergie.

Photo: Keystone

 
Pourtant, cet élan démocratique contraste avec la situation actuelle. Aucun mat d’éoliennes ne s’est dressé sur les crêtes neuchâteloises, alors que le projet du Parlement cantonal prévoyait un maximum de 59 éoliennes sur cinq parcs.
SON: Le point sur le dossier avec le conseiller d’Etat Laurent Favre :
Comme dans le Jura, la fronde contre les éoliennes s’est depuis également organisée dans le canton de Neuchâtel jusqu’à prendre une certaine ampleur. Les Travers du Vent, est une association qui milite contre la construction du parc éolien de la Montagne de Buttes, avec des arguments similaires à ceux avancés aux Franches-Montagnes. Elle a pourtant récemment à nouveau subi un revers dans les urnes. Les citoyens de Val-de-Travers ont refusé en septembre dernier à près de 59% un référendum de l’association qui s’opposait à la création d’une route temporaire pour l’installation d’une des éoliennes. Ses responsables entendent continuer le combat jusque devant le tribunal fédéral.
Carte interactive: Etat des lieux des projets éoliens dans les cantons du Jura et Neuchâtel
https://reichenl.carto.com/builder/28c78368-191d-11e7-92fb-0ee66e2c9693/embed

Mise en péril de la stratégie énergétique 2050?

Eole a beau souffler sur le pays, il ne trouve donc pour l’heure pas beaucoup de turbines sur son passage. Elles sont 37 dans le pays, dont plus de la moitié au Mont-Crosin dans le Jura-Bernois, à quelques dizaines de kilomètres de ces lieux de division. Un hameau où les éoliennes se sont profilées au fil des années comme des attractions touristiques. Pourtant,  le président de Juvent le dit clairement, l’âge d’or de l’éolien semble être derrière:
VIDEO: Martin Pfisterer, président de Juvent donne son avis sur l’avenir de l’éolien.
Le Bernois est rejoint par d’autres experts dans son discours, dont le Neuchâtelois Pierre-Alain Rumley. L’ancien directeur de l’Office fédéral du développement territorial se montre lui aussi mitigé sur la question, en tant que fervent défenseur du paysage suisse et de la révision de la Loi sur l’aménagement du territoire. « Sacrifier le paysage pour produire quelques pourcents de l’électricité du pays en vaut-il la peine? » nous avait-il déclaré.

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Isabelle Chevalley, présidente de SuisseEole.

Photo: Keystone

 
Malgré ces avis contraires, l’optimisme reste de mise chez les lobbyistes, quant au rôle que doit jouer cette énergie à l’avenir au niveau Suisse. En cas de oui à la stratégie énergétique, ne faut-il tout de même pas craindre que les blocages persistent encore pendant plusieurs années dans l’Arc jurassien et mettent un frein à la mise en place de ces nouvelles directives? « Nous attendons les premières décision du tribunal fédéral sur ces questions. Je suis certaine qu’elles nous donneront raison, car les recours sont souvent infondés et le peuple est derrière nous, comme nous l’a montré la votation à Neuchâtel mais pas seulement » explique de manière optimiste la présidente de SuisseEole et conseillère nationale vaudoise vert’libérale Isabelle Chevalley. « L’éolien a une grande marge de progression et devra jouer son rôle en hiver, lorsque l’hydraulique produit moins de courant, ou nous devrons combler par des énergies fossiles » argumente-elle
Les énergies renouvelables passeront un nouveau test ce printemps. À voir si les vents contraires finiront finalement par tourner.
 
 
 

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