Les crêtes vaudoises semblent inexorablement vouées à devenir le symbole de projets éoliens au point mort, le cimetière d’une trop grande ambition des autorités cantonales. Depuis le premier projet de parc sur les hauteurs de Sainte-Croix en janvier 2007, toujours pas le moindre signe d’une pâle sur le territoire vaudois. Aucun des 19 parcs planifiés n’a entamé sa phase de réalisation concrète. Décryptage.
Loïc Reffet
Un débat extrêmement polarisant
Au coeur du Gros-de-Vaud, le village de Bottens n’échappe pas à la bise et son potentiel éolien est jugé excellent. Pourtant, au mois de septembre 2016, après cinq ans de développement, la municipalité s’oppose finalement à la construction d’une éolienne géante capable de produire annuellement de l’électricité pour quelques 500 ménages. A l’heure du virage énergétique, la décision semble paradoxale.
A contrario, Xavier Panchaud, ancien municipal à Bottens et syndic de 2014 à 2016 était favorable à la construction d’une éolienne. Une position qui, selon ses dires, lui a coûté son siège à la municipalité lors des dernières élections communales. Hésitante, frileuse en période électorale, la municipalité annule une démarche participative qui devait permettre de mieux définir le positionnement des villageois: « On ne voulait pas inviter cette thématique très émotionnelle dans la campagne. On approchait d’une fin de législature et on n’allait pas lancer cette démarche sans être sûr qu’elle serait soutenue par la nouvelle municipalité. ».
La municipalité veut noyer le poisson. C’est un échec. Au cœur du village, les discussions se font vives à propos de l’éolien. Les élections voient la municipalité, auparavant favorable, être remplacée par un collège qui s’y oppose avec la plus grande fermeté. Dès lors, le nouvel organe profite de son pouvoir pour remiser le dossier au fond d’une armoire (pour ne pas dire aux oubliettes). Le projet est mort dans l’œuf, sans même que la population aie été consultée. A Bottens, le sujet de l’éolien semblait si brûlant, que la municipalité n’a même pas osé y toucher.
19 projets au point mort
Le cas de Bottens est le reflet des difficultés généralisées du développement de l’éolien dans le Canton. Si le premier projet a formellement vu le jour en janvier 2007 sur les hauteurs de Sainte-Croix, aucune réalisation n’a encore entamé sa phase concrète. Aujourd’hui, vous ne trouverez pas l’ombre d’une éolienne sur les crêtes vaudoises.
Même après une validation populaire, les projets piétinent. Un exemple parmi d’autres: le parc sur Grati, sur les hauteurs de Vallorbe. Plébiscité à 57% par le peuple, les oppositions ont pu être levées par les législatifs communaux. Une étape majeure ? Oui et non. Si elle a permis de lever des oppositions au niveau communal, le chemin reste encore très long avec des oppositions pendantes au Tribunal cantonal puis d’autres possibles et probables au niveau Fédéral. La manœuvre des opposants ? Le recours. Une démarche qui retarder des projets durant de nombreuses années.
Face à ces tribulations juridiques, le Canton ne baisse pas les bras et, au contraire, semble revoir ses ambitions à la hausse. En juillet dernier, le département du territoire et de l’environnement présente sa planification cantonale qui comprend 19 parcs pour 156 éoliennes. Une planification soutenue par l’office fédéral de l’énergie. Par l’intermédiaire de son responsable du développement éolien, Markus Geissmann, Berne indique: « Le canton de Vaud a le plus important potentiel éolien de Suisse. Les vents vaudois permette de produire entre 25% et 35% de l’énergie éolienne nationale. Ces 156 éoliennes permettraient de parvenir à une production annuelle de 1116 gigawatt-heure (GWH), soit l’équivalent d’un quart de la consommation du canton. »
L’objectif est élevé. Il est donc légitime de se demander si le Canton a vraiment les moyens d’accueillir autant d’éoliennes. Le ciel vaudois est-il vraiment l’eldorado de l’éolien Suisse ? Pour avoir des éléments de réponse, nous avons vérifié ses projections auprès d’un spécialiste indépendant afin de les confronter aux autorités. Visiblement, le Canton navigue à vue.
Des éoliennes dans le brouillard
Si les autorités espèrent produire 1116 GWH grâce à 156 éoliennes, elles ont probablement une botte secrète. Jean-Michel Fallot, maître d’enseignement à l’UNIL et spécialiste de l’éolien, a analysé les chiffres avancés par le Canton. Le compte n’y est pas. Il faudrait en fait entre 273 et 310 éoliennes. La marge dépendant de la puissance de production des machines estimée entre 3 et 3,5 MW.
"Pour atteindre cette production totale, il faudrait en fait entre 273 et 310 éoliennes"
Jean-Michel Fallot, Institut de géographie et durabilité, UNIL
Un si grand écart génère des doutes quant à la manière dont les autorités planifient cette transition énergétique vers l’éolien. Le Canton prévoie-t-il d’autres parcs ? Fait-il un pari sur l’évolution technologique des éoliennes ? Afin d’obtenir des réponses, nous avons confronté nos calculs au responsable du domaine énergétique, spécialisé dans l’éolien.
Le Canton revoit donc largement ses ambitions à la baisse avec une production estimée entre 500 GWH et 1’000 GWH. Or ces chiffres, minimisés lors de l’entretien restent contradictoires. En effet, lors d’une réponse du Conseil d’Etat à une interpellation en septembre 2016, les autorités prévoient même un potentiel plus élevé : « La planification comprend 19 sites représentant 156 machines et une production électrique potentielle de 1154 GWH par an, soit un potentiel légèrement supérieur à l’objectif de production cantonal de 1000 GWH par an défini initialement dans ce même plan directeur. »
Une certaine schizophrénie se dégage de la posture des autorités cantonales. Face à Berne, elles assument une position de potentiel fer de lance et souhaitent répondre aux défis ambitieux de l’office fédéral de l’énergie. On bombe le torse. Tandis qu’au niveau cantonal, l’exécutif peine à prendre le problème à bras le corps et une vision souvent floue flotte sur un sujet très sensible. Timoré.
Faudrait-il suivre la voie de Neuchâtel ? En mai 2014, le peuple valide largement un contre-projet qui autorise définitivement la construction de cinq parcs éoliens sur le territoire. Ni plus, ni moins. Les blocages au niveau cantonal sont levés et les projets peuvent enfin avancer. Un pas de géant qui pourrait dissiper ce mirage qui plane sur nos crêtes vaudoises, cette vue tout aussi séduisante que trompeuse, d’un virage énergétique qui tourne pour l’instant en rond.