Les conducteurs jurassiens de 18 à 24 ans figurent parmi les plus touchés en Suisse par les accidents mortels ou graves depuis 2011. Ils possèdent la réputation d’être des fangios et/ou de conduire avec trop d’alcool. Décryptage.
Les jeunes conducteurs jurassiens disposent d’un classement peu flatteur à l’échelle helvétique. En comparaison démographique intercantonale, ils occupent le 4e rang des plus frappés par les décès sur la route. Ils se classent à la 2e place dans le domaine des blessés graves.
Dans le Jura comme dans le reste de la Suisse, les excès de vitesse, la surconsommation d’alcool et de stupéfiants avant de rouler et la distraction au volant restent parmi les causes principales des accidents mortels de la circulation. Dans la période 2011-2016, entre un et cinq individus ont perdu la vie sur le bitume jurassien. Les jeunes n’ont pas été épargnés.
Un homme des Franches-Montagnes, âgé de 21 ans, a notamment péri dans un accident de la circulation aux Emibois en se faisant heurter par un véhicule conduit par un jeune de 26 ans sur un passage destiné aux piétons. L’événement s’est produit dans la nuit du 11 au 12 novembre 2016 dans une portion limitée à 60 km/h.
TEMOIGNAGE VIDEO: Quelques mois après cette catastrophe, Marco Donzé – le papa de la victime Arnaud – a accepté de se confier.
Ce nouveau tronçon rectiligne de 1,8 kilomètre entre les Emibois et le Noirmont – inauguré en 2011 – n’a pas uniquement été maudit pour Marco Donzé et son entourage.
Un autre jeune de 21 ans est décédé il y a cinq ans – le mercredi 5 septembre 2012 – sur cette route. L’accident a eu lieu juste au début d’une zone à 60 km/h à l’entrée du Noirmont dans une légère courbe à droite. Cet endroit marque la fin d’un long bout droit large, limité à 80 km/h. Roulant trop vite, comme d’autres conducteurs de son âge sur ce « boulevard », l’automobiliste fautif s’est déporté sur la piste de gauche avant d’entrer en collision frontale avec un véhicule qui circulait correctement en sens inverse. Il est décédé sur le coup, emporté par la fougue de sa jeunesse.
A la base, ce nouvel itinéraire entre les deux communes du district des Franches-Montagnes a été conçu pour ne plus franchir deux passages à niveau. L’objectif consistait donc à améliorer la sécurité et la fluidité du trafic. Cependant, il existe un risque avec cette nouvelle infrastructure : que les usagers de la route ne respectent pas la limitation sur ce tronçon, surtout si les contrôles de vitesse se font rares, comme c’est le cas depuis l’ouverture de ce secteur.
Le problème de la jeunesse au volant, c’est également son manque d’expérience, notamment par rapport à la topographie et aux conditions météorologiques spéciales dans le Jura. Un homme a trouvé la mort en mars 2014 aux Emibois. Il a perdu la maîtrise de son véhicule dans une légère courbe en dévers, en raison d’une route enneigée. Le choc avec un camion roulant en sens inverse lui a été fatal.
La topographie des trois sites dramatiques
Ces trois tragédies ont enlevé la vie à de jeunes chauffeurs. Pourtant, 2/3 tiers des habitants du Jura réussissent leur permis de conduire au premier essai. C’est un pourcentage dans la moyenne suisse. Comme le relève Mauro Baldini, responsable des experts à l’Office des véhicules du Jura, « le problème se situe une fois que le sésame est délivré aux jeunes conducteurs. Comment se comportent-ils ensuite, seuls ou accompagnés, dans leur véhicule ? Nous ne pouvons plus agir à ce niveau ».
L’A16 n’offre pas une garantie maximale
Le réseau routier jurassien n’est pas uniquement composé de routes cantonales. Le Jura dispose d’un bout d’autoroute, de Boncourt à Choindez. Mais l’ensemble de l’A16 relie le village boncourtois à la ville de Bienne dans le canton de Berne sur 85 kilomètres. Le dernier secteur de la Transjurane a été inauguré au début du mois d’avril 2017 sur territoire bernois entre Court et Loveresse. Quelques mois auparavant, c’est l’ultime tronçon sur sol jurassien qui avait été ouvert à la circulation entre la capitale Delémont et le hameau de Choindez en décembre 2016. Au total, les travaux ont duré 30 ans pour un coût de 6,5 milliards de francs, assumés en très nette majorité par la Confédération helvétique.
La fin de la réalisation de l’A16 a fait naître beaucoup d’espoir dans le Jura, dont celui de diminuer le nombre d’accidents mortels. La partie jurassienne de la Transjurane comporte plusieurs tunnels bidirectionnels. Cela peut être dangereux si, par exemple, des jeunes automobilistes sont distraits, en utilisant leur téléphone portable de dernière génération.
AUDIO: Olivier Burri, pilote automobile depuis plus de 30 ans, pense effectivement que ces tunnels ne constituent pas une solution idéale en matière de sécurité.
Du côté des autorités jurassiennes, l’idée d’élargir les tunnels bidirectionnels ne figure pas à l’ordre du jour.
AUDIO: Le chef du Service des infrastructures du Jura, Pascal Mertenat, admet que la situation actuelle n’est pas optimale.
Au sein de l’Office fédéral des routes, on détaille que des tests sont effectués sur l’A16. « La Transjurane répond à l’ensemble des critères ainsi qu’aux prescriptions actuels concernant la sécurité et la qualité technique. Il existe énormément de normes à respecter au niveau notamment de l’asphalte, du marquage, de la signalisation ou encore de la luminosité », affirme le porte-parole de l’OFROU, Guido Bielmann.
Malgré ces démarches, quatre personnes sont mortes sur le secteur jurassien de l’A16 entre 2011 et 2015. Ce nombre devrait baisser grâce à l’ouverture complète de la Transjurane, à en croire le chef de la section de l’entretien des routes dans le Jura. « La géométrie de l’autoroute est moderne. Toutefois, il existe un paramètre qu’on ne maîtrise pas, c’est le comportement des automobilistes pour respecter les limitations de vitesse notamment », explique Serge Willemin.
Le réseau routier jurassien en chiffres
– 445 km de routes cantonales
– 48 km d’autoroute sur l’A16
– 10 tunnels sur la partie jurassienne de l’A16, dont 4 tubes bidirectionnels
Afin de minimiser le nombre de catastrophes chez les jeunes en particulier, des actions sont menées dans le Jura par l’intermédiaire de différents acteurs.
La Fondation O2, basée à Delémont, chapeaute depuis quelques années le projet « Be my angel tonight ». Ce concept, mis sur pied lors de certains grands événements, vise à sensibiliser la population aux méfaits de l’alcool et encourage les groupes de jeunes – de 15 à 30 ans principalement – à désigner un chauffeur responsable. « On rappelle aux jeunes les risques concernant la circulation routière, parce que les individus ont tendance à les oublier en soirée», explique Stéphanie Boillat, promotrice de « Be my angel tonight ».
Addiction Jura se montre également actif sur le terrain pour lutter contre la hausse de l’ivresse au volant constatée depuis quelques années. Entre 2011 et 2016, les cas d’ébriété qualifiée – soit un taux de 0,8 pour mille et davantage – ont augmenté de 122 à 202. Dans ce cadre-là, les jeunes hommes sont visés.
La police cantonale jurassienne effectue aussi de la prévention, sous forme d’éducation routière. Plus de 1’130 cours ont été donnés à 335 classes en 2016. Les adolescents de 17 à 20 ans en formation post-obligatoire ont dû suivre des leçons. « En discutant avec eux, on remarque qu’ils font très attention notamment parce que la réalisation du permis de conduire est devenue très chère », divulgue le responsable de l’éducation routière au Jura. Yvan Dick précise « qu’il existe chez la jeunesse une crainte de perdre son bleu et donc de tout recommencer à zéro ».
Il existe chez la jeunesse une crainte de perdre son bleu et donc de tout recommencer à zéro. Yvan Dick, responsable de l’éducation routière au Jura
Pourquoi pas davantage de radars dans le Jura?
Formation rime avec répression. Les forces de l’ordre du Jura effectuent également des contrôles sur le terrain, en ce qui concerne le taux d’alcoolémie dans le sang des conducteurs mais aussi pour tester la vitesse des véhicules.
Dans le Jura, les appareils – installés sur les trois districts du canton – sont posés en fonction de plusieurs critères.
Tout d’abord, les endroits stratégiques et sensibles, soit des quartiers et des écoles, sont visés. Ensuite, les forces de l’ordre tiennent compte de la dangerosité de certains lieux mais aussi des taux d’infractions constatés lors de précédents contrôles. D’autre part, les observations des gendarmes ainsi que des demandes émanant des autorités communales et des habitants ont également une influence par rapport aux sites retenus pour poster un radar.
Enfin, le Jura dispose de plusieurs appareils « sympathiques » qui affichent la vitesse des véhicules sans les flasher. Cela permet de fournir des indications pour savoir où il est pertinent de poser les radars.
Le Jura et Neuchâtel disposent d’un réseau routier pratiquement équivalent avec respectivement un total de 445 kilomètres et de 450 kilomètres. La différence majeure entre ces deux cantons se situe plutôt par rapport à la quantité de radars à disposition dans chaque entité. Le Jura en dispose de quatre tandis que Neuchâtel en compte 13, soit plus du triple. Peut-on parler de laxisme en la matière dans le dernier-né des cantons suisses ?
L’administrateur du centre Top Conduite à Develier pense que non. « Ça ne servirait à rien d’acquérir de nouveaux radars dans le Jura. Lorsqu’ils savent où les engins sont posés, les automobilistes ralentissent avant d’accélérer à nouveau quand le radar n’est plus visible », appuie Gérard Houlmann.
Un autre aspect entre en considération, selon le chef de la section « circulation et opération » dans les rangs de la police cantonale jurassienne. « C’est une volonté politique de ne pas accroître la quantité d’appareils, dans le sens où cela nécessiterait une gestion administrative supplémentaire, pour l’envoi des amendes par exemple », détaille Claude Hulmann.
C’est une volonté politique de ne pas accroître la quantité d'appareils, dans le sens où cela nécessiterait une gestion administrative supplémentaire, pour l’envoi des amendes par exemple. Claude Hulmann, chef de la section circulation et opération au sein de la police cantonale jurassienne
Ses propos sont corroborés par la ministre jurassienne de l’Intérieur. « La police pourrait bien évidemment faire davantage de contrôles de la vitesse mais ce n’est pas l’objectif. Nous estimons qu’ils sont, pour le moment, suffisants et qu’ils permettent d’atteindre le but poursuivi, celui de sensibiliser les automobilistes au respect des limitations », avance Nathalie Barthoulot. L’élue socialiste avoue que « ce total de quatre appareils dans le Jura peut être perçu comme relativement faible en comparaison intercantonale. Mais du côté de la population jurassienne, on a encore et toujours le sentiment qu’il y a trop de radars, trop de contrôles, trop d’amendes », dit-elle.
Dans le Jura, disposer de son véhicule rapidement est vital
Le Jura, canton rural et périphérique composé d’environ 73’000 âmes, ne dispose pas des mêmes infrastructures que certains centres urbains en Suisse. D’après le responsable communication de la police cantonale jurassienne, Daniel Affolter, les jeunes Jurassiens doivent donc davantage recourir à un type de transport individuel qu’un Zurichois, Bernois, Genevois ou encore Lausannois.
Ce besoin d’être mobile très rapidement de manière autonome dans le Jura est confirmé par le responsable des experts à l’Office des véhicules du Jura. « Notre volume de clientèle pour l’obtention du permis de conduire se situe entre 18 et 21 ans. Le candidat de 40 ans fait figure d’exception », martèle Mauro Baldini.
L’OVJ, entre stabilité et hausse
– Le nombre de retraits du permis de conduire est passé de 744 en 2011 à 752 en 2016
– Le parc automobile jurassien a augmenté de 5’000 unités entre 2011 et 2016 pour atteindre 63’361 véhicules
Des fous sur la route, vraiment?
La population helvétique – du moins une partie – définit volontiers les jeunes Jurassiens comme des conducteurs « casse-cou ».
« Ils se montrent indisciplinés dans la mesure où ils ont tendance à appuyer un peu trop sur le champignon. Ce comportement résulte peut-être d’un manque de contrôles de la vitesse ou peut provenir d’une mentalité de frondeur », avance l’administrateur du centre Top Conduite à Develier. Selon Gérard Houlmann, « il faut pourtant qu’ils se rendent compte qu’en roulant un peu moins vite, ils gagneraient du temps en fluidifiant le trafic ».
De son côté, le chef de la section « circulation et opération » au sein de la police cantonale jurassienne estime que c’est une idéologie faussement répandue de dire que les jeunes Jurassiens sont des fangios. « Il ne faut pas les clouer au mur », tonne Claude Hulmann.
La ministre jurassienne de l’Intérieur ne veut, elle non plus, pas peindre le diable sur la muraille. « Les jeunes Jurassiens ont pu avoir cette image de fangios à une époque. Toutefois, il me semble que la formation des jeunes automobilistes met, aujourd’hui, un accent particulier sur la responsabilité que l’on a lorsque l’on est au volant », explique Nathalie Barthoulot.
Certains jeunes Jurassiens sont bel et bien des chauffards, ce qui peut expliquer le nombre important de décès ou accidents graves dans le canton. D’autres usagers de la route de ce canton roulent au-dessus des normes autorisées, sans forcément avoir un comportement imprudent et dangereux. Une troisième catégorie de jeunes Jurassiens respecte les différentes limitations de vitesse.
Plusieurs paramètres sont à prendre en considération.
Premièrement, le Jura dispose d’infrastructures suffisantes mais pas idéales en matière de sécurité, notamment lorsque l’on pense aux tunnels bidirectionnels sur l’autoroute A16. Cette situation – voulue politiquement – n’est donc pas garante d’une sûreté optimale.
Deuxièmement, les jeunes conducteurs du Jura évoluent dans des contextes topographique (routes sinueuses) et météorologique (chaussées très souvent enneigées et gelées en hiver) relativement complexes.
Troisièmement, la jeunesse jurassienne semble davantage exposée aux accidents mortels et/ou graves que ses homologues des autres cantons suisses au vu de la faible desserte en matière de transports publics. Cela encourage donc les jeunes conducteurs du canton à se déplacer via un moyen individuel, comme l’automobile.
En guise de conclusion, la réputation de fangios chez les jeunes jurassiens – qui ne date pas d’hier – n’est pas infondée. Cette image du jeune Jurassien pressé sur la route – à ne pas globaliser à l’ensemble des jeunes chauffeurs du canton – pourrait perdurer à l’avenir.
Bertrand Boillat