(PHOTO: KEYSTONE)
Depuis plus d’une année, le coronavirus a bousculé la vie de tout le monde. Mais pour certaine personne la crise est une véritable catastrophe. Soudainement privé de leur emploi ou de contacts sociaux elles se sont retrouvées dans une précarité qu’elles ne connaissaient pas auparavant.
Le 16 mars 2020 s’est tenue une conférence de presse qui restera dans les manuels d’histoire. Ce jour-là, pour tenter d’endiguer la pandémie de coronavirus, le Conseil fédéral décrétait la fermeture des restaurants, bars et des commerces non essentiels. La population était priée de rester à la maison et de sortir uniquement lorsque que c’était absolument indispensable. Toute la société et l’activité économique étaient mises au ralenti.
Peu après cette décision des images montrant des milliers de personnes en train de faire la queue au centre-ville de Genève pour chercher une aide alimentaire ont fait surface. Des images emblématiques qui sont devenues le symbole d’une précarité jusque-là invisible pour la plupart de la population. C’était la partie visible de l’iceberg que représente la précarité. Cet article explore trois types de précarités qui se sont accentuées depuis le début de la crise.
Patrizia et Miguel La précarité alimentaire
(PHOTO: Dario Brander)
Patrizia* et Miguel* (noms connus de la rédaction) sont tous deux Colombiens. Ils sont sans-papiers et vivent depuis plusieurs années à Genève. Depuis presque une année, ils dépendent de la distribution alimentaire qui est organisée, en ville de Genève.
Avant l’arrivée du coronavirus en Suisse, elle travaillait comme femme de ménage et lui en tant que jardinier et babysitter chez des particuliers. Ce travail au noir leur permettait de gagner 2’000 francs par mois, tout juste de quoi se nourrir et payer le loyer du deux pièces qu’ils partageaient avec deux autres personnes. C’était une vie précaire, mais ils ne dépendaient d’aucune aide externe. La pandémie a tout changé.
Les gens pour qui nous avons travaillé ont eux-mêmes moins de revenu à cause de la crise. C'est donc logique, qu’ils nous ont virés. Miguel
Leurs anciens employeurs restaient à la maison à cause du confinement et s’occupaient alors eux-mêmes du ménage, du jardin et de leurs enfants. Patrizia et Miguel se retrouvent avec un revenu fortement diminué. Du jour au lendemain, ils n’ont plus suffisamment d’argent pour payer un sac de nourriture d’une valeur de 40 francs. Pour eux et tant d’autres travailleurs domestiques employé au noir, la distribution de denrées alimentaires devient une aide essentielle.
Une population fortement affectée par la crise
Face à l’apparition de cette population précaire jusque-là largement invisible, Les Colis du Coeur, l’association genevoise qui organise la distribution de denrées sur plusieurs sites dans le canton, mandate l’Université de Genève pour mener une enquête sur ce sujet au printemps 2020. 223 personnes dépendantes de l’aide alimentaire répondent au questionnaire. Le rapport final de cette enquête publiée fin septembre montre que trois quarts des répondants travaillent dans l’économie domestique et 14% dans l’hôtellerie ou la restauration. En l’espace de deux mois, le taux d’emploi des personnes sondées s’est écroulé de 59% à 35%. En comparaison, le taux de chômage en Suisse a augmenté de seulement 2% pendant la même période.
Une insécurité alimentaire en augmentation
Autre indicateur très inquiétant selon Pierre Philippe, le directeur des Colis du Cœur, l’association qui coordonne la distribution alimentaire, est le taux de personnes souffrant de l’insécurité alimentaire qui semble être en augmentation parmi les personnes qui viennent chercher des colis.
Alors qu’en mai 2020, 37% des bénéficiaires de l’aide alimentaire disaient avoir réduit la quantité ou la qualité d’un repas au moins une fois par semaine en avril 2021 ce chiffre a augmenté à 75%. 4’500 colis de vivres sont toujours distribués chaque semaine. Un chiffre qui est stable depuis l’automne 2020 et qui devrait le rester à en croire Pierre Philippe qui craint même que la précarité se soit installé de manière pérenne.
Une réponse politique bienvenue mais insuffisante
En réponse à la précarité des travailleurs au noir et sans-papiers, le gouvernement cantonal prévoit alors de débloquer 15 millions de francs pour financer des indemnisations de perte de revenu pour les travailleurs précaires qui ne pouvaient pas s’appuyer sur l’aide sociale habituelle pendant le premier confinement il y a une année.
L’UDC et le MCG lancent un référendum contre cette décision, mais la population genevoise approuve les 15 millions de francs lors d’une votation en mars de cette année. De quoi donner un petit coup de pouce à des personnes comme Oscar et Patrizia. Mais cela ne suffira pas à les sortir de leur situation extrêmement fragile. Une année après le premier semi-confinement, ils n’ont pas encore retrouvé un travail fixe et dépendent de l’aide alimentaire.
Une reprise de l’économie est leur seul espoir, car ce qu’ils souhaitent le plus c’est de pouvoir vivre
à nouveau de leur propre travail et de ne pas dépendre d’une aide externe.
Samuel La précarité liée au logement
(PHOTO: Dario Brander)
La pandémie n’a pas seulement eu des effets négatifs pour les sans-papiers. Des personnes avec un statut tout à fait régularisé se sont également retrouvées dans des situations difficiles. Dans un canton comme Genève où il est souvent difficile de se loger à un prix abordable des gens ont perdu leur logement faute de pouvoir payer leur loyer après un licenciement. Samuel* (nom connu de la rédaction) en fait partie.
Le Covid a enfoncé le clou. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé à la rue. Samuel
Samuel travaillait en tant que plombier pour une grande entreprise événementielle quand les premiers articles sur un mystérieux nouveau virus venu de Chine faisaient leur apparition dans les journaux suisses. Son contrat n’est alors plus prolongé et il se retrouve sans emploi. Privé de son revenu, il n’arrive plus à payer sa chambre dans une collocation située aux Pâquis et se retrouve mis à la porte par le propriétaire.
Il trouve refuge d’abord à l’Armée du Salut puis à l’association la Virgule qui propose des solutions de logements pour des personnes sans domicile.
Samuel y occupe une petite chambre qu’il doit partager avec un autre homme.
Un cas comme tant d’autres
Le cas de Samuel n’est pas unique. Plusieurs organisations œuvrant contre la précarité du logement à Genève nous ont confirmé que les sollicitations de personnes se retrouvant en difficulté à cause de la crise du coronavirus, ont augmenté ces derniers mois.
(VIDÉO: Valérie Geneux et Dario Brander)
Le Canton et les plus grandes communes de Genève n’ont pas des chiffres exacts sur le nombre d’expulsions liées à la pandémie. Par contre, plusieurs d’entre elles confirment qu’elles mettent à disposition des aides financières ponctuelles pour venir en aide aux personnes qui n’arriverait plus à payer leur loyer. À l’exemple de Onex, commune à 20’000 habitants qui se situent dans la couronne urbaine de la ville de Genève. Ici, on a traité presque 100 dossiers concernant le payement d’un loyer en 2020. Pour un total de 100’000 francs.
(VIDÉO: Valérie Geneux et Dario Brander)
En décembre le Grand Conseil genevois a voté un crédit de 12 millions de francs pour six associations actives dans la lutte contre la précarité. De quoi aussi limiter le risque que des gens se retrouvent dans la rue.
Pour Samuel l’histoire déjà a pris une tournure positive. Grâce à l’aide de la Virgule, il a pu déménager dans un nouvel appartement début avril. Mais les associations de soutiens aux personnes sans domicile craignent que ces prochains mois, ils continueront à voir des personnes affluer qui n’arrivent plus à payer leur loyer.
Armida La précarité sociale
(PHOTO: Dario Brander)
La précarité ne s’exprime pas seulement à travers des problèmes d’argent, d’accès à la nourriture ou de loyer. La crise du coronavirus a aussi accentué un autre type de précarité. Celle de l’isolation sociale.
Armida, 72 ans, en est directement touchée. Avant le printemps 2020, elle vivait la vie d’une retraitée très active avec beaucoup de contacts sociaux malgré le fait qu’elle n’a pas d’enfants et que sa famille habite loin. Quand le coronavirus a fait irruption à Genève, elle n’a plus pu poursuivre les activités associatives auxquelles elle prenait part. Les contacts sociaux sont devenus une denrée rare.
Pour remédier à cette solitude accrue elle s’est tournée vers les offres de Dôme Sénior, association qui œuvre contre l’isolement des personnes âgées. Celle-ci l’a mise en contact avec Florence, une bénévole avec qui Armida fait des activités une fois par semaine depuis le début de la crise du covid-19. De quoi atténuer son sentiment d’isolement.
Un sentiment de solitude en augmentation
Selon David Jenni le fondateur de l’association Dôme Senior, on estime que sur les 100’000 seniors dans le canton de Genève, 15’000 étaient isolés déjà avant l’arrivée du coronavirus.
Une étude menée à Genève pendant le premier confinement en avril et mai de l’année passée a mesuré l’étendu de la solitude parmi les personnes âgées. 7,6% des répondants souffraient alors d’une solitude sévère. Oanan Ciobanu qui a mené l’étude explique que celle-ci a été faite à l’aide d’un sondage en ligne. Elle est de ce fait pas représentatif de toute la population des séniores à Genève, mais permettrait tout de même de démontrer un ordre de grandeur du phénomène explique la sociologue.
Parallèlement une étude de l’Université de Fribourg portant principalement sur la Suisse romande montrait qu’environ 1/3 des personnes agée de 65 ans ou plus sentaient leur niveau de solitude augmenter pendant le premier confinement. Des données plus récentes n’existent pas, mais David Jenni de Dôme senior affirme sur la base de son expérience au quotidien que le phénomène de la solitude chez les personnes âgées s’accentue avec la duré des mesures contre le coronavirus.
(AUDIO: Valérie Geneux)
Armida estime pourtant ne pas avoir vécu la solitude aussi gravement que d’autres. Mais le soutien de Florence y est pour beaucoup. Oana Ciobanu de l’Université de Genève souligne qu’il est important de ne pas oublier que les personnes âgées sont un groupe très hétérogène. Selon elle, c’est qu’à partir de 80 ans que le risque d’une forte solitude augmente. Il serait donc erroné de penser qu’une majorité de seniors souffrent de solitude sévère. Même en temps de crise de coronavirus.
Un futur incertain pour les personnes précarisées
Les acteurs du terrain qui s’occupent des personnes précarisées par la crise de coronavirus se montrent peu optimiste par rapport au futur. On craint les effets à plus long terme de la crise qui pourraient pousser certains hors leur logement et d’autres dans la solitude. Environ 7500 personnes dépendent toujours de la distribution alimentaire.
Pour répondre à ces craintes le canton de Genève a publié un plan d’action cantonal contre la précarité en début de l’année. Ce plan devrait servir de boussole jusqu’à l’horizon 2030 pour diriger l’action des autorités dans la lutte contre la précarité. Il s’articule autour de 7 objectifs structurants. Parmi eux la prévention de situations de précarité et de détresse sociale, l’amélioration de l’aide et le soutien aux seniors, et l’accès à un logement digne pour chacun-e. De quoi donner de l’espoir aux personnes précarisées par la pandémie. Reste à voir si des actions vont suivre aux belles paroles. Le bienêtre de gens comme Miguel, Patrizia, Samuel et Armida en dépend.