Terre de passage épargnée des guerres, le Vieux Pays est un eldorado pour l’archéologue. Mais cette richesse est, au mieux, inexploitée, au pire, détruite.
Septembre 2017, la construction d’un immeuble est stoppée à Verbier par l’archéologue cantonale. Les travaux ont détruit une villa romaine des premiers siècles après Jésus-Christ. Une perte inestimable qui aurait dû être évitée, le site étant en zone de protection archéologique. Caroline Brunetti, la nouvelle cheffe du service d’archéologie inflige alors une lourde amende au promoteur. Une première en Valais après des décennies de laxisme.
Cette action aurait pu faire grand bruit dans une station déjà épinglée en 2016 pour des constructions illicites, mais Caroline Brunetti a préféré la discrétion: “l’entreprise a reconnu son erreur et a accepté de payer l’amende sans se battre. Il était inutile de la clouer au pilori.” Cette absence de communication est symptomatique de son service. En Valais aucun archéologue ne parle à la presse sans son accord et sa présence.
Le Vieux Pays n’est pas fier de son archéologie. S’il met en avant ses châteaux, bon nombre de sites sont perdus. Le budget du service archéologique n’aide pas. Difficile avec 1 million de couvrir tout le canton et de fouiller tout les sites découverts. Il n’existe plus de lieu d’exposition, le musée d’archéologie a fermé en 2008, faute de moyens.
Mais les mentalités changent. Le milieu du tourisme comprend désormais la valeur de ce patrimoine et des associations se mettent en place pour tenter de le sauvegarder.
La ville écrase le patrimoine
Olivier Thuriot, antiquaire et archéologue, a créé une de ces association: Patrimoine en péril. Un combat marginal qu’il estime perdu d’avance: “Je m’étonne qu’un canton aussi conservateur détruise autant son patrimoine, il règne ici un folklore historique de façade. Le rapport qu’entretient le Valais avec son passé ne dépend pas de la politique ou de l’économie, mais de la psychanalyse.”
A Sion, les premiers habitants sont attestés au paléolithique, 5000 ans avant notre ère. Aujourd’hui, les châteaux de Valère et Tourbillon sont les vestiges les plus visibles du passé, et presque les seuls. En dehors de la vieille ville, les bâtisses des siècles précédents ont été remplacées par des immeubles modernes. Philippe Varone, président de Sion, le justifie par l’essor de la ville: “Le curseur entre patrimoine et développement urbain est du côté du développement, c’est vrai. On densifie le centre, c’est une volonté politique de notre part, mais Berne et la LAT nous y poussent également.”
Evolution des quartiers à l’ouest de Sion entre 1960 et 2013:
Dans les années 60, la loi d’aménagement du territoire n’était pas un sujet chaud en Valais. C’est à ce moment que, dans le quartier du Petit-Chasseur, un ensemble mégalithique a été découvert. Treize dolmens, des tombes de pierres taillées, étaient accompagnés de menhirs alignés. Témoin des premiers peuplements, ce patrimoine a été balayé par le développement urbain.
Certaines des stèles retrouvées là sont réputées mondialement. Elles figurent dans l’Atlas Universalis de l’Art au côté de Lascaux. De ces tumulus mortuaires, il ne reste pas grand chose. On peut en voir un dans un sous-sol. Un autre a été déplacé dans une cour d’école avec quelques menhirs, mais leur alignement d’origine n’a pas été respecté.
Le site mégalithique de Sion décrit par l’archéologue Olivier Thuriot:
Francesca Martinet est archéologue. Elle regrette l’état du site du Petit-Chasseur: “Le site a été divisé. C’est très dommage pour la recherche”. Elle travaille à Aoste sur un site jumeau de celui de Sion. Un site que le gouvernement de la région a voulu valoriser. Les dolmens et menhirs qui le composent sont restés sur le lieu de leur découverte et un musée de 10’000 m2 a été construit autour. Il a coûté 40 millions d’euros, payés en grande partie par des fonds de l’Union européenne.
Explications de Francesca Martinet, archéologue, sur le site mégalithique d’Aoste:
Les problèmes d’un canton pauvre
Aurait-ce été possible à Sion? Oui, répond le président. “Si la situation se représentait aujourd’hui, on essaierait de sauver ce patrimoine. Mais sans argent le mieux qu’on puisse faire est d’étudier les pièces et laisser les propriétaires gérer leur terrain.”
Pour Philippe Curdy, ancien conservateur des musées cantonaux et archéologue à la retraite, ce phénomène est symptomatique d’un canton pauvre: “on considère aujourd’hui que la construction est le moteur de notre économie et les promoteurs gagnent face au passé. Au 19ème siècle, les découvertes archéologiques étaient vendues à des marchands étrangers.” En 1908, David Viollier, vice-directeur du musée national écrivait après un passage en Valais: “Lors de la plantation des vignes et du défoncement plus profond du sol, on détruisait des sépultures par centaines. C’est par pleins paniers que les objets ramassés étaient vendus.”
Pour Olivier Thuriot, cette analyse n’est pas complète: “Cet argent, on aurait pu aller le chercher à Berne. La réalité c’est qu’on se fichait de ces cailloux.” Si le financement est essentiel, il faut d’abord qu’il y aie une volonté politique, mais, à l’époque, le patrimoine n’était pas considéré comme important. Jean-Marc Jacquod dirige l’office du tourisme sédunois: “il y a vingt ans le ski marchait du tonnerre et l’argent pleuvait, on avait pas besoin d’autre chose. Aujourd’hui on doit repenser le tourisme et offrir des alternatives. Ce musée aurait été un vrai plus pour la région. Pour vendre une attraction, elle doit être unique. On n’est pas l’Egypte, on n’a pas de pyramides, mais à Sion on a 10’000 ans de rites funéraires.”
Pour Jean-Marc Jacquod, le patrimoine bâti, lui, est indéniablement une valeur ajoutée. “J’organise des visites guidées depuis plusieurs années et ça marche de mieux en mieux. La vieille ville et les châteaux sont magnifiques, le tour se finit avec un apéro dans les thermes romains, les touristes en ressortent bouche bée.”
Interview de Jean-Marc Jacquod: le tourisme s’ouvre au patrimoine:
Mais parfois, même avec le financement et la volonté politique, des projets n’aboutissent pas.
Canton et communes antagonistes
Sous le rocher de Valère, près de la place du Scex, se trouve une église sépulcrale du 8ème siècle. Découvert dans les années 80 le site a fait l’objet de fouille pendant près d’une décennie. Philippe Curdy en était: “Pour les construction de cette époque, on ne trouve, en général, que les fondations. Ici il y avait tout. Les murs, affaissés, étaient conservés au sol, certaines tombes étaient intactes. Et en dessous nous attendaient 6000 ans de cultes funéraires.”
Cette basilique gît aujourd’hui sous du gravat, à l’ombre d’un immeuble locatif. Des travées en béton en dessinent le contour alors que des plaques de métal marquent, ici et là, des tombes au hasard. Des employés communaux passent régulièrement arracher les mauvaises herbes. “Vous n’allez pas me croire, mais il y a eu un concours d’architecture pour valoriser ce site!”, ajoute Philippe Curdy.
Dans les années 90 ville et canton achètent le terrain conjointement. Le projet comprenait un musée, dessiné alors jusqu’à 8 mètres sous terre qui devait exposer les 6000 ans de pièces funéraires trouvées là. François Mudry était président de Sion: “Ce projet était important pour nous. On voulait valoriser la place du Scex où se trouve aussi l’école de musique. Mais le canton n’a jamais débloqué les fonds.” L’ancien architecte cantonal, Bernard Attinger, dit l’inverse: “L’argent était sur la table, mais la ville a temporisé pour une raison que j’ignore. Les travaux n’ont jamais débuté et, après quelques années, le canton a retiré ses billes.”
Sion et le Valais se renvoient la balle. Le fond de cette affaire perce à travers l’amertume de Roland Vassaux, l’architecte qui aurait dû construire ce musée. “C’était le canton qui payait tout. La ville ne payait rien et l’argent était là!” Ville et canton étaient associés pour la construction du parking sous la place et pour l’école de musique à l’est de celle-ci. Un arrangement avait été conclu, mais la ville voulait plus en ce qui concerne l’école de musique. N’obtenant pas ce qu’il désirait, François Mudry a mis la pression en bloquant la construction du musée.
En Valais, les communes ont, historiquement, beaucoup de pouvoir. Aux quinzième et seizième siècle, le prince-évêque s’est appuyé sur les collectivités locales pour contrer la noblesse. Elles ont, encore aujourd’hui, des prérogatives qu’elles ne veulent pas partager. Paradoxalement les communes ont souvent des difficultés à les assumer, faute de moyens. Philippe Bender est sociologue, il connaît bien la complexité des relations communales avec le canton: “Les communes se tournent vers le canton pour demander l’argent, mais elle voudrait garder le pouvoir de décision.”
Depuis que François Mudry n’est plus président, l’état de la place du Scex a peu changé. L’école de musique n’a pas été construite, ses élèves travaillent dans des containers, et la basilique sépulcrale se résume à un dessin dans le gravier, à peine un souvenir.
Bon nombre de trésors archéologiques du Valais sont perdus à jamais. Mais il en reste encore beaucoup à découvrir. La nouvelle archéologue cantonale semble vouloir muscler son service et punir les contrevenants. Mais sans un budget conséquent, elle ne pourra que documenter. Or la préservation du patrimoine archéologique demande des fonds et un musée archéologique digne de ce nom. Pour cela il ne faut pas penser rentabilité, mais comprendre cet investissement comme une plus-value touristique.
Alexandre Beney