Voici pour le rituel, en quelques lignes. Un peu plus d’une heure avant le coup d’envoi d’une rencontre, l’équipe de football arrive au stade. Le bus se gare. Les portes s’ouvrent. S’ensuit un défilé de joueurs casqués. Les stars de la soirée, pour la plupart écouteurs sur les oreilles, descendent les marches, passent tour à tour devant les caméras, puis s’engouffrent dans le vestiaire.

Au service de la performance

Si les footballeurs arrivent au stade, casques audio sur les oreilles, c’est que la musique joue un rôle primordial pour leur préparation mentale. Pour Gelson Fernandes, 30 ans, international suisse et joueur du Stade Rennais dans le championnat français, musique et préparation sont même indissociables.
Avant de rejoindre le vestiaire, durant le trajet en bus qui mène son équipe de l’hôtel au vestiaire, Gelson Fernandes, adepte du casque audio, s’enferme dans sa « bulle » au rythme de ses chansons préférées. Pour Roberta Antonini Philippe, psychologue du sport et experte en préparation mentale « écouter de la musique dans une forme de rituel d’avant-match permet à l’athlète d’augmenter sa motivation intrinsèque et amène le joueur vers un niveau de concentration optimal ».
Le joueur du Lausanne-Sport Alexandre Pasche accorde, lui aussi, une place centrale à la musique dans sa préparation.

Le casque audio fait partie de la « culture foot »

Lors de leur préparation d’avant-match en musique, de nombreux footballeurs utilisent un casque audio plutôt que de simples écouteurs. Pour la qualité du son. Mais pas seulement.

Selon Orlan Moret, sociologue du sport, la genèse de l’utilisation des casques audio dans le football se trouve dans les origines sociales des joueurs. « Le casque est un objet valorisé dans le rap, musique très prisée par la classe populaire dont sont issus de nombreux footballeurs. Or, pour ceux qui ont bénéficié de l’ascenseur social à travers leur sport et gagnent désormais énormément d’argent, le casque est un moyen de rappeler leurs origines, d’où ils viennent ».
Au fil des ans et des arrivées successives de plus grandes stars, casque audio vissé sur les oreilles, cet accessoire est progressivement entré dans la « culture foot ». Il est devenu l’occasion de marquer son appartenance au milieu du football. Le casque audio est également devenu un objet marketing. La FIFA l’a d’ailleurs bien compris. Lors de la Coupe du Monde 2014, au Brésil, la fédération internationale interdit aux joueurs d’utiliser des casques d’une autre marque que Sony, sponsor de la manifestation. Le casque fait partie du business, il fait partie du football.

Knysna: point de départ de la polémique autour du casque audio

S’il fait partie de la « culture foot » et sert la performance de l’athlète, le port du casque audio par les footballeurs lors de leurs arrivées au stade va également susciter la polémique. Tout particulièrement en France, à partir de 2010, à la suite de la Coupe du Monde en Afrique du Sud.
L’équipe de France vit alors l’un des pires traumatismes de son histoire avec l’épisode de Knysna. Les joueurs français refusent de s’entraîner en pleine Coupe du Monde contre l’avis de leur sélectionneur. Le tout devant les caméras du monde entier. Un scandale planétaire.

Suite à cet évènement de Knysna, le sélectionneur Raymond Domenech est licencié. Laurent Blanc lui succède et hérite d’une mission: redonner une image positive à l’équipe de France dont la cote de popularité est au plus bas. Dès son entrée en fonction, le nouveau sélectionneur prend plusieurs mesures. L’une d’entre elles: interdire le port du casque audio en public, objet qui serait le symbole du dédain et de l’individualisme des footballeurs. Plusieurs clubs du championnat de première division française emboitent le pas de Laurent Blanc et interdisent à leur tour le casque audio. La polémique est née.

Une interdiction périphérique mais symbolique

Pour le sociologue du sport Orlan Moret, « suite à une crise, comme celle connue par l’équipe de France en Afrique du Sud, on tente de supprimer tout ce qui est hors-cadre. C’est le cas des casques audio. Le contexte dicte ce genre de mesure, on supprime le ludique. Mais cette interdiction n’est bien évidemment que la pointe de l’iceberg de phénomènes plus importants qui ont entaché l’image du football ».

Gelson Fernandes a quasiment connu tous les championnats européens. Passé par la Suisse, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, le Portugal, et l’Italie, il n’a connu de polémique liée à l’utilisation des casques audio dans un seul pays : la France. D’ailleurs, au Stade Rennais, l’interdiction est toujours de mise lors de présences en public. La raison selon Gelson Fernandes ? « En France, l’image du footballeur est catastrophique, notamment en raison de l’épisode de Knysna. Désormais, nous devons nous montrer irréprochables et accessibles pour notre public. Le casque audio, qui a une tendance à nous isoler, a été sacrifié.» Pour le bien de l’image du footballeur français.

En Suisse : entre indifférence et irritation

Plus proche de chez nous, la problématique est nettement moins vive. L’entraîneur du Lausanne-Sport Fabio Celestini avoue par exemple « n’avoir aucun souci avec l’utilisation des casques, pour autant que le joueur fasse preuve de bon sens lors de la présence de supporters ». Même son de cloche du côté du FC Sion ou encore de l’Association Suisse de Football (ASF) qui ne transmet aucune directive aux joueurs de l’équipe nationale. Avec une certaine indifférence sur la question. Le casque audio n’est pas un problème.
Pourtant, à l’instar de Christophe Moulin, ancien entraîneur du FC Sion, plusieurs observateurs sont nettement plus virulents, agacés par l’attitude des footballeurs arrivant au stade avec leur casque audio sur les oreilles. « Ce comportement me dépasse et m’irrite. Ils sont déconnectés, dans leur monde. Ils n’accordent même pas un regard à leurs supporters. C’est insupportable », explique-t-il. Il n’hésiterait pas à interdire l’utilisation des casques audio, s’il devait revenir dans le monde du football. La pratique divise également le foot amateur. Exemple à Echallens, club de 1ère ligue du Gros-de-Vaud.
« Pour » : Damien est un adepte du casque.
 
 

« Contre » : Alexandre, le casque audio ça l’agace.
 
 

Les autres sportifs casqués moins insupportables ?

La problématique du port du casque audio dans le monde du football divise. Certains sont agacés, d’autres totalement indifférents. Le football français s’est lui positionné et les casques audio se sont retrouvés sacrifiés au nom d’une image à redorer.

D’autres sports sont, eux, épargnés par cette polémique. Pourtant, le casque audio n’est pas propre au football. En athlétisme, en basket ou encore plus récemment en natation, nombreux sont les sportifs qui ont adopté cet accessoire. Mais le sprinter, le basketteur ou encore le nageur casqué semblent agacer plus modérément. Pour l’instant. Et jusqu’à quand ?

Mathieu Germanier