Les PFAS, présents dans notre environnement, notre nourriture et notre eau potable, captivent et inquiètent de plus en plus les chercheurs comme le grand public. Ces «polluants éternels», qui pullulent dans notre eau du robinet, sont-ils vraiment dangereux, et si oui quelles solutions envisagent les politiques? (Grand) tour d’horizon.
Boire de l’eau, c’est vital. Et pourtant, ce serait devenu dangereux pour la santé — même en Suisse? Dysfonctionnements au niveau du foie, cancers du rein et des testicules… Autant de maladies que pourrait déclencher une exposition aux micropolluants, qui pullulent de plus en plus dans notre eau du robinet (et pas que), alertent les chercheurs et les médias.
En 2023, on apprenait que près de la moitié de l’eau du robinet en Suisse était contaminée aux PFAS — ces résidus de substances qu’on appelle polluants éternels. Cela en plus de la pression sur la quantité d’or bleu disponible: L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) craignait une baisse du débit général des eaux pouvant atteindre les 50% pour l’été 2024.
Se tourner vers l’eau en bouteille (plastique) pour éviter d’ingérer des résidus toxiques? Une fausse bonne idée, d’après un test réalisé par la RTS pour ses émissions au printemps 2024, selon laquelle quatre marques d’eau analysées sur dix contiennent elles aussi des polluants. Et les études, à ce stade, démontrent clairement qu’ingérer des substances chimiques telles que des PFAS peut entraîner des problèmes de santé – des cancers aux problèmes de fertilité pour n’en citer que deux.
S’ils ont commencé à captiver l’attention des scientifiques, puis des médias, il y a quelques années seulement, des résidus nocifs sont en réalité présents dans notre eau potable depuis longtemps déjà — on n’en avait simplement pas (ou moins) conscience, lors des dernières décennies. Mais alors, que boire, en 2024? Est-ce vraiment si grave d’ingérer des polluants éternels, ou PFAS? Les taux limites fixés par la Suisse de nos jours protègent-ils suffisamment la santé de la population?
On les appelle «polluants éternels»
Durant les derniers vingt-quarte mois, les médias ont relayé de nombreuses problématiques touchant à l’eau potable en Suisse. À savoir: la RTS révélait par exemple en 2023 que la qualité des eaux souterraines, utilisées pour la consommation, est de plus en plus impactée par la pollution (alors que ces ressources en or bleu représentent environ 40% de toute l’eau qu’on boit en Suisse, contre 40% d’eau de source et 20% d’eau de surface).
Les quoi? Un peu de vocabulaire, avant d’entrer dans le vif du sujet — et comprendre s’il faut s’en inquiéter. De nos jours, et selon l’état actuel de la recherche académique de par le monde, les principales substances responsables de la pollution de l’eau potable se divisent en deux catégories: les micropolluants, qui incluent les pesticides, les médicaments et les autres produits chimiques qui présents en quantités infimes, et puis les PFAS, qu’on appelle aussi les «polluants éternels» (voir encadré ci-dessus).
En bref, ce sont en quelque sorte les résidus chimiques indésirables, rejetés par les industries qui fabriquent des objets aussi divers que des poêles anti-adhésives ou des skis, et qui se retrouvent dans notre environnement… puis dans notre corps. Le (gros) problème, c’est qu’on n’a pas encore étudié tous les impacts de ces milliers de molécules, ni même réussi à toutes les répertorier avec précision.
Mais ce qu’on sait déjà est plutôt alarmant, selon les chercheurs. Tout d’abord car on ne surnomme pas les PFAS «polluants éternels» pour rien: ces molécules sont composés d’une chaîne d’atomes de carbone et de fluor liés. La liaison carbone-fluor étant l’une des plus fortes qui existe, ces produits chimiques ne se dégradent pas facilement dans la nature. De l’industrie aux biens de consommation quotidiens, en passant par les déchets industriels rejetés dans l’environnement (voir le cheminement des PFAS ci-dessous), ils finissent par se stocker durablement dans notre organisme également.
Est-ce grave docteur?
Si les PFAS inquiètent en termes de pollution de l’environnement, leur impact potentiel sur la santé est tout aussi préoccupant, consens la recherche. Car ils s’entassent aussi dans nos cellules, produisant ce qu’on appelle un effet «bioaccumulatif» dans notre corps — dans le sang, les tissus, et même dans le lait maternel.
Concrètement, on sait qu’une exposition aux substances per- et polyfluoroalkylées peut être associée à des problèmes de santé graves tels que des perturbations hormonales, des maladies du foie, des cancers — surtout du rein et des testicules. Ainsi que des effets indésirables sur le système immunitaire et des troubles neurologiques, pour ne citer que les exemples les plus courants.
On n’a commencé à se préoccuper de l’impact des PFAS sur le corps et la nature que dans les années 1990. S‘en débarasser reste toujours une tâche sisyphéenne, pour l’heure.
«Une eau pure, ça n’existe plus»
Les méthodes de filtration comme celle via le charbon actif peuvent capturer certains PFAS dans l’eau, pour la purifier. Mais de telles techniques ne sont pas toujours efficaces pour tous les types de PFAS, en plus d’être coûteuses et complexes à mettre en place à grande échelle. Et, une fois les PFAS capturés, on doit traiter les filtres contaminés — ce qui pose un autre défi, celui de la gestion des déchets. En résumé, bien qu’on sache comment réduire leur présence, éliminer complètement les PFAS reste encore très difficile.
De nouvelles études amènent cependant quelques lueurs d’espoir: des chercheurs de l’Université de Californie à Riverside (UCR, États-Unis) auraient récemment découvert que des bactéries pourraient contrer les PFAS en brisant leurs liaisons carbone-chlore, par exemple.
Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne
Urs Von Gunten, Professeur ordinaire au Laboratoire pour le traitement et la qualité de l’eau, à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), explique plus en détails: «La principale solution pour l’heure, c’est le traitement au charbon actif. Le problème, c’est que ce n’est pas très efficace, et cela coûte cher à implémenter au niveau national — car il faut ensuite reminéraliser l’eau, si elle est traitée au charbon», en plus des déchets produits par ce filtrage. «L’autre possibilité, ajoute le chercheur, c’est ce qu’on appelle l’osmose inverse, mais cela coûterait encore plus cher, même si c’est plus efficace… »
Pour lui, il ne faut pas se faire d’illusions: il est en réalité tout à fait impossible de boire de l’eau non-contaminée aux PFAS, en 2024. Qu’on parle d’eau du robinet, ou d’eau minérale du commerce — qu’on sait aussi être largement infestée par ces substances, comme l’ont révélé les tests de la RTS.
Le chercheur ne fait pas de langue de bois: «Il y a, dans l’inconscient collectif, cette image d’une eau potable qui doit être complètement pure pour pouvoir être ingérée. C’est faux.» Et c’est surtout impossible, de nos jours — même en Suisse, surnommée parfois le «Château d’eau de l’Europe» en raison de ses grandes ressources en eau douce proportionnellement à sa taille.
Nathalie Chèvre, écotoxicologue et chargée de cours à l’Université de Lausanne (UNIL), abonde également en ce sens: «On vit dans un monde où on est entouré de substances chimiques. Il y en a certaines qui sont là depuis longtemps, et qui seront là encore longtemps. Donc une eau pure, ça n’existe plus. Un air pur, ça n’existe plus. Un sol non contaminé, ça n’existe plus. La question, c’est qu’est ce qu’on fait avec ça, désormais?»
Pas de solution (efficace) sans consensus international?
L’autre problème, c’est que nous ne sommes pas tous d’accord sur quel taux de PFAS est véritablement nocif pour l’être humain, parmi les pays (généralement occidentaux) qui ont commencé à réglementer les produits qui contiennent ces molécules.
En bref, chaque pays réglemente un peu les PFAS — dont les PFOS, ou les PFHxS, parfois tout cela à la fois — comme bon lui semble. Ce qui crée des surprises: les États-Unis, par exemple, sont plus sévères en termes de taux de PFAS limite dans l’eau potable, comparé à la Suisse (voir infographie ci-dessous). Tout comme l’Union européenne, même si la Suisse viserait à s’aligner sur l’UE en la matière ces prochaines années.
On peut notamment lire, sur le site de la Confédération, que «des mesures relatives à l’acide perfluorohexanoïque (PFHxA) et à ses substances apparentées (produits issus de la technologie C6) sont en cours d’examen comme dans l’UE». Confronté à ces différences, Patrick Edder, le chimiste cantonal de Genève, affirme, à l’autre bout du fil: «Vis-à-vis des normes européennes en termes de PFAS, nous avons un peu de retard, oui. Nos valeurs au niveau Suisse sont légèrement supérieures à ce que préconise l’Union européenne.»
Comment cela se fait-il? «Simplement car la Suisse ne reprend pas automatiquement le droit européen. Le processus législatif prend quelques années à faire son chemin, comme toujours… Je ne comprends pas trop pourquoi, mais la Confédération nous a dit que ce retard ne sera rattrapé qu’en 2026.»
Pour illustrer la confusion générale quant à la réglementation de ces molécules, il suffit de jeter un coup d’œil sur le site web de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). L’instance ne recommande, pour l’heure, pas de taux limite spécifique universel pour les PFAS dans l’eau potable. Même si elle développe actuellement «des directives» basées sur les études disponibles concernant le perfluorooctane sulfonique (PFOS) et l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), deux des PFAS les plus étudiés.
Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne
Qui est responsable?
Du côté de l’Union européenne, il semblerait que le ton se durcit encore, quant à la lutte contre les PFAS. Le Parlement européen a adopté, en avril 2024, une loi qui vise à réduire les déchets des emballages dans l’Union européenne. Cette loi bannit, par ailleurs, l’usage des «polluants éternels» dans les emballages en contact avec de la nourriture.
Et en Suisse? Ça bouge, mais lentement. Fabien Fivaz, conseiller national neuchâtelois Vert, a fait de la qualité de l’eau un de ses grands chevaux de bataille. Il se bat, avec la conseillère du Centre Marianne Maret, pour la motion «Définition dans les ordonnances de valeurs spécifiques aux PFAS».
Fabien Fivaz, conseiller national neuchâtelois, les Vert-e-s
Le texte souhaite charger le Conseil fédéral «de définir dans les ordonnances les valeurs suivantes spécifiques aux PFAS», c’est-à-dire les «valeurs limites et conditions pour l’élimination de matériaux», les «valeurs de concentration pour évaluer les pollutions présentes dans le sol et le sous-sol», et les «exigences de rejet pour le déversement dans les eaux».
Et s’est plutôt bien parti. À ce jour, le texte a été adopté par le Conseil des États (2022) et par le Conseil national (2023). Le Conseil fédéral a lui aussi proposé d’accepter la motion, Simonetta Sommaruga (PS) ayant notamment souligné que «les PFAS représentent un grand défi pour la recherche, la politique, l’économie et les autorités». Reste à voir quand des réglementations plus strictes seront véritablement mises en place.