Les petites structures de maraîchage se multiplient en Suisse romande depuis cinq ans. Entre reconversion professionnelle, formation et accès au terrain, les écueils sont nombreux pour les citadins qui se lancent dans l’aventure. Enquête.
”Là on a 5000 plantons d’oignons à mettre en terre dans la semaine qui arrive, explique Mickaël Guillaumée en joignant le geste à la parole. Ce sont tous les oignons que nous allons vendre dans l’épicerie durant toute l’année.” Comme cet ancien ingénieur, qui travaille aujourd’hui sur les terrains de Jardin B dans le canton de Neuchâtel, ils sont de plus en plus à se lancer dans le micro-maraîchage. Une nouvelle forme d’agriculture durable et à taille humaine, valorisant la production locale, le travail manuel et l’autonomie.
Si l’ampleur du phénomène reste difficilement quantifiable, les micro-fermes sont toujours plus nombreuses en Suisse romande depuis cinq ans. ”Depuis quelques années, il y a de plus en plus de personnes qui s’intéressent au micro-maraîchage et de structures qui voient le jour, confirme David Bichsel, à l’origine du projet Jardin B. La plupart des personnes qui se lancent ne sont pas issues du monde agricole.” Mais alors, le micro-maraîchage c’est quoi exactement?
Video – David Bichsel, micro-maraîcher à Thielle-Wavre (NE): ”Dans le micro-maraîchage, on essaie d’optimiser la surface en s’affranchissant des contraintes de la mécanisation.”
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Le fruit d’une réflexion mûrie
Cette définition posée, il est intéressant de se pencher sur les motivations de ces nouveaux venus, qui se lancent dans une reconversion du jour au lendemain. Pour bon nombre d’entre eux, elles sont le fruit d’une réflexion mûrie. A l’instar de Jonas Gavillet et de sa femme Roxanne Schoepfer: ”Nous partagions déjà une vision similaire du micro-maraîchage et à l’arrivée de nos deux enfants, nous nous sommes posé la question de comment manger mieux. Nous voulions surtout cultiver pour notre propre consommation, mais la production a vite dépassée nos besoins.» Des 800 m² de terrain en propriété entourant la maison des Schœpfer, Racine carrée s’étend aujourd’hui sur 2800 m² de surface cultivable à Prez-vers-Noréaz.
Benoît Girardin parle lui de la ”prise de conscience d’un avenir compliqué” derrière la création de sa structure Au p’tit marché à Villarsiviriaux dans le canton de Fribourg. ”Il me fallait changer mes habitudes avant d’espérer changer les choses, précise le physiothérapeute de formation. Je l’ai fait pour moi, mais aussi pour pouvoir regarder mes enfants dans les yeux dans quelques années.” Cette transition n’a pourtant rien eu d’évident, la faute à l’absence d’une formation spécifique en micro-maraîchage.
Audio – Benoît Girardin, micro-maraîcher à Villarsiviriaux (FR): ”Dans les écoles, on apprend encore les façons de faire de la grande exploitation maraîchère traditionnelle.”
Cursus traditionnel et formation sur le tas
Pour donner une forme concrète à un projet de microferme, l’obtention d’un CFC dans le domaine agricole constitue un atout. La plupart des fermiers en herbe optent ainsi pour une formation en maraîchage. Quitte à la compléter sur le tas, en autodidacte. ”Une fois qu’on a le CFC, il faut continuer à bouquiner et à regarder à droite et à gauche, reprend Benoît Girardin. En changeant la façon de faire, ce que l’on a appris en traditionnel peut servir pour créer son modèle.” En plus d’acquérir des connaissances de base dans le secteur, ce cursus leur fournit une certaine légitimité.
L’arrivée de ces nouveaux venus n’est pas passée inaperçue dans les effectifs des écoles d’agriculture. C’est notamment le cas à Châteauneuf, en Valais, où le phénomène a été particulièrement ressenti après la crise sanitaire. ”Après le semi-confinement, nous recevions deux à trois téléphones par semaine pour des demandes de renseignements, du jamais vu!” appuie le responsable de formation Raphaël Gaillard. Des chiffres qui se recoupent dans l’augmentation du nombre de diplômes de maraîcher délivrés ces trois dernières années, à l’école de Châteauneuf et en Suisse.
Car l’obtention d’un diplôme reconnu est également synonyme d’accès à la terre pour la plupart des micro-maraîchers. ”Le CFC permet d’avoir un numéro d’exploitant et de toucher les paiements directs”, précise Benoît Girardin. Mais aussi d’acheter plus facilement du terrain agricole.” Mais un tel achat constitue souvent une bataille à terre ouverte, les surfaces agricoles restant une denrée rare en Suisse. ”Il y a très peu de terrains sur le marché et c’est compliqué d’en acheter si l’on est pas issu du monde agricole”, confirme David Bichsel.
«La crise sanitaire a renforcé l’essor du maraîchage et l’intérêt pour les microstructures.»
Raphaël Gaillard, responsable de formation à l’Ecole d’agriculture du Valais
Entre le nombre de maraîchers en augmentation et des terres agricoles qui s’échangent entre initiés, l’obtention d’un terrain constitue souvent une bataille à terre ouverte. A ce petit jeu, tous les moyens sont bons aux yeux de David Bichsel. ”Contacter les collectivités, contacter les villes, ou encore chercher sur Google maps des terrains qui n’ont pas l’air d’être cultivés et aller sonner chez les agriculteurs de la région.”
La location comme solution
L’autre solution est de se contenter d’un terrain prêté, comme l’explique encore David Bichsel. ”Les structures que je connais en ont obtenu en le louant à un agriculteur, à une communauté religieuse ou encore à une commune.” Avec le risque d’une dépendance vis-à-vis du propriétaire, qui peut décider de l’avenir de l’avenir d’une microexploitation.
L’association MULE (Maraîchage urbain lausannois et écologique) s’est installée au mois de janvier 2021 à Prilly, sur les hauts de Lausanne, en accord avec la municipalité vaudoise. ”Nous avons trouvé des terrains inoccupés appartenant aux communes de l’agglomération lausannoise, dont ceux de Prilly, explique le coordinateur du projet Alexis Dubout. Ensuite nous avons approché la municipalité avec un plan financier.” Avec un obstacle principal, celui de devoir se faire prêter du terrain. ”En tant que coopérative, nous ne pouvons pas acheter des terres agricoles, heureusement la commune de Prilly à accepter de nous prêter deux parcelles pou et la seule contribution qu’on leur demandait était de nous prêter les terrains.” Pourtant, là encore des limites existent.
Video – Colin Jequier, responsable énergie et environnement à la ville de Prilly (VD): ”Au-delà de la mise à disposition du terrain, il y a tous les aspects réglementaires qui sont délicats dans le cadre d’une coopérative. »
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Des limites qui s’expliquent notamment par un accès au terrain agricole encore très protégé en Suisse. ”Pour des jeunes qui voudraient se lancer, c’est compliqué d’accéder à du terrain, que ce soit pour des raisons financières ou de disponibilités”, confirme Alexis Dubout. A ceci s’ajoute l’omniprésence des grosses exploitations, qui cannibalisent les espaces inoccupés. ”C’est difficile de démarrer une petite structure, car ces exploitations ont tendance à s’agrandir et à monopoliser les terres.”
«La majorité des voisins sont contents et font même partie de la coopérative.»
Alexis Dubout, coordinateur du projet MULE
Depuis son installation sur ses 2 hectares de terrain à Prilly, l’association MULE a aussi dû apprendre à composer avec diverses difficultés. Notamment avec l’ancien exploitant des parcelles. ”C’est toujours difficile de savoir où s’arrêtent nos terrains respectifs, poursuit Alexis Dubout. Mais ce sont des petits soucis qui se règlent de manière relativement amicale.” La coopérative s’est également vu refuser la mise à l’enquête de deux serres de 35 mètres ”indispensables pour la production maraîchère. Nous avons fait appel de cette décision et la procédure est en cours.”
Au cœur du débat politique
Pour pallier à ces problèmes d’installation, le Conseiller national neuchâtelois Fabien Fivaz a déposé une motion pour une meilleure reconnaissance des micro-fermes l’année dernière. Et notamment pour l’émergence d’un modèle économique viable. ”Il existe des terrains agricoles en zone constructible dont le prix à l’achat est extrêmement coûteux, explique-t-il. L’investissement de base pour créer une micro-ferme est donc très élevé et, sans paiement direct, le retour sur investissement est trop faible pour les micro-maraîchers.”
Audio – Fabien Fivaz, Conseiller national Les Verts: ”Une agriculture mécanisée et assez lourde est le seul moyen de vivre de l’agriculture en Suisse d’après la Confédération. Tous ces projets de microfermes montrent que l’on devrait adapter la législation fédérale.”
La motion de Fabien Fivaz demande au Conseil fédéral un rapport sur le micro-maraîchage et l’introduction de sa définition dans la loi fédérale. ”C’est d’abord un travail de recherche à effectuer en collaboration avec Agroscope, avec le FiBL (n.d.l.r.: l’Institut de recherche de l’agriculture biologique) et avec les associations agricoles cantonales pour savoir ce qui manque au niveau de la politique fédérale, précise-t-il. Il s’agira ensuite d’en faire un résumé pour soumettre des propositions de modification de la loi sur l’agriculture qui permettront de favoriser les micro-fermes.”
Une nécessité qui s’explique par la demande toujours plus forte pour des produits bio et de proximité et de saison: ”La vente directe de produits prend de plus en plus d’importance et les gens veulent savoir d’où viennent leurs fruits et légumes et ont parfois même envie de participer au travail agricole. Le micro-maraîchage est une manière d’apporter cela.” Autant d’arguments qui n’ont pas été entendu par le Conseil fédéral, qui a décidé de refuser la motion de Fabien Fivaz. Celle-ci a encore une année pour être traitée au plénum, et elle a eu le mérite de placer le phénomène des micro-fermes et ses diverses problématiques cœur du débat politique.
Glenn Ray
Photos: Charly Rappo et Keystone.