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Notre eau potable, un trésor à protéger

On croyait l’eau suisse à l’abri de tout soupçon mais de plus en plus de rapports scientifiques nous mettent en garde. Micropolluants, PFAS, sécheresses… Peut-on encore avoir confiance dans notre eau du robinet ? Enquête. 

La Suisse : son chocolat, ses banques et son eau limpide. Le mythe est-il toujours d’actualité ? Question quantité, il n’y a pas de doute. Abritant 6% des eaux douces européennes, la Suisse peut toujours se vanter
de son titre de château d’eau de l’Europe. D’après les projections de la Confédération, les quantités de pluies par année ne devraient pas diminuer. Mais côtés qualité, un doute s’installe.

LE SPECTRE DES MICROPULLUANTS 

Depuis quelques années déjà, plusieurs études alertent sur la possible détérioration de l’eau potable. En 2019, un rapport de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) révélait que les eaux souterraines étaient « sous pression ».

Une eau pure, ça n’existe plus. Un air pur,
ça n’existe plus. Un sol non contaminé,
ça n’existe plus.
Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l'UNIL

En cause, des quantités importantes voire au-dessus des valeurs limites de micropolluants, des substances chimiques que l’on retrouve en faible concentration dans l’environnement. Ces molécules sont issues de l’agriculture, de l’industrie, mais aussi des médicaments.


AUDIO : Pour Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’UNIL, l’être humain « doit apprendre à vivre » avec cette pollution



LES POLLUANTS ÉTERNELS SONT PARTOUT 

Parmi la longue liste des micropolluants, une catégorie fait particulièrement parler d’elle : les substances per- et polyfluoroalkylées ou PFAS (prononcé « pifasse »), surnommées « polluants éternels ».

Ces substances forment une très grande famille comme nous l’a expliqué Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne (UNIL). À ce jour, nous connaissons plus de 4’000 composés, mais selon les estimations il y aurait plus de 14’000 PFAS différents. On les retrouve aussi bien dans nos imperméables, nos poêles antiadhésives, nos résidus de pneus ou dans la mousse utilisée par les pompiers. Pour le moment, seuls 2 types de PFAS, le PFOS et le PFOA, sont réglementés et interdits. Les milliers d’autres PFAS restants ne sont donc pour l’heure par contrôlés. Or, une exposition même faible à ces deux de PFAS, peut avoir des effets néfastes sur notre santé, telle une baisse de la fertilité, une augmentation des risques de cancers ou encore une hausse de la tension artérielle.

En 2023, l’Association des chimistes cantonaux de Suisse a analysé 500 échantillons d’eau du robinet. Dans 40% d’entre eux, des traces de PFAS ont été détectés. Cependant, aucun ne dépassait les valeurs limites imposées par la Suisse. Un résultat plutôt rassurant, selon le chimiste cantonal genevois Patrick Edder, mais à nuancer.

CARTE : Présence de PFAS dans les eaux souterraines


Présence de PFAS, les polluants éternels, dans les eaux souterraines suisses.

PFAS dans les eaux souterraines. Données: NAQUA, 2021 source : admin.ch


Aujourd’hui, la Suisse est l’un des pays les plus permissifs en matière de PFAS avec un seuil légal de 500 nanogramme par litre. C’est 5 fois plus que les valeurs européennes, que la Suisse adoptera dès 2026, et 75 fois plus que les valeurs américaines. Des écarts de valeurs qui s’expliquent notamment par la petite taille de notre territoire. Si les Etats-Unis peuvent se permettre de telles valeurs ce n’est pas parce qu’ils font moins usage des PFAS, mais tout simplement qu’ils ont plus d’eau à leur disposition et peuvent donc faire plus de dilution.

VIDÉO : Pour Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’UNIL, « le système de seuil a atteint ses limites » dans le cas des PFAS



D’OÙ VIENT NOTRE EAU DU ROBINET ? 

En Suisse, 80% de l’eau potable est issue des nappes phréatiques et des sources, contre 20% issue des eaux de surface. En s’infiltrant à travers les couches géologiques, l’eau souterraine est naturellement potable. Elle n’est donc pas ou peu traitée, contrairement à l’eau de surface. À Genève par exemple, les eaux souterraines sont traitées uniquement avec du chlore pour garantir la bonne qualité de l’eau entre les réservoirs et nos robinets.


L'eau du robinet suisse est puisée principalement dans les sources et les nappes phréatiques. Les lacs n'offrent que 20% de l'eau potable.

Source : OFEV


Or, cette qualité naturelle des eaux souterraines est remise en question par la présence des micropolluants. Pas non plus de quoi s’affoler selon le chimiste cantonal genevois Patrick Edder qui affirme que « la qualité de l’eau potable en Suisse reste excellente et supérieur à beaucoup d’autres pays ».

La qualité de l’eau potable en Suisse reste excellente et supérieur à beaucoup d’autres pays. Patrick Eder, Chimiste cantonal genevois

Si on trouve de plus en plus de substances dans notre eau, c’est aussi en raison d’outils de mesure de plus en plus performants, nous explique Nathalie Chèvre. « On a l’impression que c’est de pire en pire parce qu’on analyse de plus en plus de substances. Aujourd’hui, tout ce qu’on cherche on le trouve, même dans de très faibles quantités ». De son côté, Urs Von Gunten, chercheur à L’Institut fédéral suisse des sciences et technologies aquatiques, se dit confiant dans l’avenir de la qualité de l’eau suisse, « mais il faut rester vigilant, prévient-il. On va certainement découvrir encore de nouvelles sources de pollution dans le futur ».

À l’échelle nationale, la Suisse n’est pas menacée par le manque d’eau à l’avenir. Sur l’année, la pluviométrie restera plus ou moins la même, c’est-à-dire deux fois plus importante que sur le reste du territoire européen. En revanche, le changement climatique provoquera davantage de sécheresses estivales dans certaines régions selon les projections de l’OFEV.


fonte et disparition des glaciers suisses.

Glacier du Rhône, Valais, 2’210 mètres d’altitude. Photos prises le 28 juin 2007 (en haut) et le 5 juillet 2019.


Si la Suisse possède autant de ressources c’est principalement grâce à ses réserves importantes d’eau sous forme de glace ou de neige. 40% de l’eau consommée provient aujourd’hui de la couverture neigeuse. Mais depuis quelques années ces réserves diminuent drastiquement en raison des hivers plus doux et de la fonte des glaciers. La moitié des volumes des glaciers suisses a tout simplement disparu depuis 1850.

Toutes ces réserves naturelles en moins, signifie moins d’eau en été. Des étés qui sont eux de plus en plus secs.

VIDÉO : Emmanuel Reynart, géographe à l’UNIL, nous explique pourquoi la Suisse va se rapprocher « du climat méditerranéen » à l’avenir



LES RESSOURCES EN EAU, UNE QUESTION POLITIQUE 

Certaines communes du Jura vaudois sont déjà concrètement confrontées à la réalité du manque d’eau. Ces deux derniers étés, les communes de Genolier et de Gland ont du puiser l’eau dans le lac Léman. Au cours de l’été 2023, au moins 70’000 personnes ont subi des restrictions d’eau. Les habitants avaient par exemple interdiction d’arroser leur pelouse, de nettoyer leur voiture et de remplir leur piscine. Ces mesures, qui étaient encore exceptionnelles il y a quelques années, risquent bien de devenir la norme durant les périodes estivales dans certaines régions.

L’accès à l’or bleu sera donc un élément crucial en Suisse dans les prises de décisions en matière de politique publique. De plus en plus de municipalités sont contraintes de s’adapter, voire de restreindre les zones disponibles pour la construction, en raison de la rareté des ressources en eau.

Face à cette problèmatique future, une commune valaisanne a pris une décision surprenante : limiter sa population à 5’000 habitants afin d’anticiper le manque d’eau. Il faut dire que Grimisuat est un cas particulier. N’ayant pas de source ni de nappe phréatique sur son territoire, la commune dépend entièrement de la générosité de ses voisins. Grimisuat a donc  toujours su se montrer inventive et en avance sur son temps en ce qui concerne sa gestion de l’eau. Elle était par exemple parmi les premières à installer un compteur d’eau dès les années 1950.

Pour le président de la commune, limiter la population, est une décision pragmatique pour anticiper un avenir de plus en plus sec.

VIDÉO : Raphaël Vuigner, président de Grimisuat (VS), estime que toutes les communes doivent prendre en main la problématique de l’accès à l’eau


DES SOLUTIONS POUR L’AVENIR 

La diminution des quantités d’eau provoquerait inévitablement une augmentation des concentrations des micropolluants. Pour Christos Baüln, porte-parole de l’Association pour l’eau, le gaz et la chaleur (SVGW), la Suisse se doit donc d’anticiper l’avenir. Si les taux de micropolluants dans les eaux souterraines venaient à dépasser les valeurs légales, la Suisse ferait face à un problème de taille. Plusieurs moyens d’assainissement sont donc envisagés.

Lorsqu’un problème de nappe phréatique contaminée se présente, la première solution est de trouver des sources alternatives afin de mélanger l’eau contaminée et l’eau propre. Mais cette méthode n’est applicable que si l’eau est faiblement contaminée, précise Patrick Edder. D’autant plus que dans certaines régions, comme à Bienne, il n’existe presque plus de source d’eau propre. Une autre solution serait donc de mettre en place des traitements intensifs, notamment grâce au charbon actif, comme cela se pratique déjà avec les eaux de surface.

La Suisse se doit d'anticiper l'avenir. Christos Baüln, porte-parole de l’Association pour l’eau,<br />
le gaz et la chaleur (SVGW)

De telles mesures à l’échelle nationale impliquent une remise à niveau importante des infrastructures d’assainissement hydraulique. « Cela représenterait un coût énergétique mais aussi financier », nous explique Chistos Baüln, ce qui pourrait avoir des conséquences sur le prix de l’eau qui est actuellement de 2 francs pour 1’000 litres.

Ces solutions sont efficaces et permettent d’éliminer la majorité des micropolluants, dont les PFAS. Cependant, elles ne sont pas considérées comme durables. « Ces techniques peuvent être utilisées pour gérer des crises. Mais ce n’est pas une solution sur le long terme » nous explique le chimiste cantonal genevois pour qui il faut davantage miser sur la protection de l’environnement et une meilleure gestion de nos ressource en eau.


Pour conserver une eau de qualité, il est essentiel de remettre en question nos usages et de prendre les bonnes décisions. Depuis les années 1990, la consommation d’eau par habitant en Suisse est passée de 400 à 300 litres par jour. Cette diminution est principalement due à des infrastructures hydrauliques plus efficaces et des technologies qui permettent de consommer moins d’eau. Malgré ces avancées, la Suisse reste l’un des pays d’Europe où la consommation d’eau par habitant est la plus élevée.

L'eau potable suisse est consommée à 55% par l'industrie, 25% par les ménages et 20% par l'agriculture

Source : admin.ch


Nous connaissons assez précisément de quelle manière est consommée l’eau dans les ménages. En revanche, pour l’agriculture et l’industrie, le pays manque de données. Près de la moitié de l’eau utilisée par ces deux secteurs est prélevée de manière privée. Par exemple, l’eau pompée par les agriculteurs dans les rivières, les lacs et les nappes phréatiques n’est souvent pas mesurée. Tout simplement parce que jusqu’à présent la Suisse n’avait pas eu de problème de manque d’eau. Mais pour mieux gérer ses ressources, le pays doit connaître sa consommation reconnait l’Office fédéral de l’environnement.

UN GASPILLAGE INUTILE 

Pour réduire le gaspillage, il est crucial d’adopter une meilleure gestion de l’eau au niveau cantonal, de contrôler la consommation, et d’étendre les réseaux d’approvisionnement. Des investissements dans des techniques d’irrigation plus efficaces par exemple pourraient réduire la perte d’eau par évaporation, en particulier dans le secteur agricole.

En outre, les installations vieillissantes représentent une source de pertes importantes. Environ 15% de l’eau fuit dans les canalisations, ce qui souligne la nécessité d’investir dans l’entretien et la modernisation de ces infrastructures. La commune de Grimisuat en Valais, par exemple, a montré la voie en installant des sondes tout au long de son réseau de distribution pour rapidement détecter les fuites et les réparer, réduisant ainsi le gaspillage d’eau.

VIDÉO : Le fontainier de Grimisuat (VS), Guillaume Dumoulin, s’assure de la bonne gestion de l’eau dans sa commune

Reste une question soulevée par l’écotoxicologue Nathalie Chèvre :  ne devons-nous pas remettre en question notre usage de l’eau potable ? « Il faut l’utiliser de manière adéquate, donc pas dans les toilettes ». Aujourd’hui, plus de la moitié de notre consommation quotidienne d’eau potable disparait dans les toilettes et la douche.

AUDIO : « On ne va plus pouvoir gaspiller l’eau comme on le fait », selon Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’UNIL.



Une interrogation soulevée également au niveau politique, notamment par le parti des Vert-e-s. Ce dernier a déposé une motion, qui a été rejetée, demandant de rationaliser l’usage de l’eau potable et de valoriser l’eau de pluie pour l’arrosage et les toilettes. Une solution qui, à ce jour, n’est possible ni techniquement ni légalement en Suisse.


TEXTE : Garance Aymon

MULTIMÉDIAS : Antoine Schaub, Daniella Gorbunova et Garance Aymon

IMAGES : Keystone et Pexels

PUBLIÉ LE : 3 octobre 2024

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