Les mesures de la pollution de l’air varient d’un pays à l’autre. Conséquence: impossible de savoir si nous respirons moins de poussières fines que nos voisins.
Roméo, treize ans, souffre d’asthme à l’effort depuis son plus jeune âge. Il doit prendre un traitement chaque fois qu’il va faire du foot avec ses copains. Mais dès qu’il se rend dans des grands centres urbains, ses symptômes s’aggravent. En cause: la pollution de l’air.
Problème, peu d’informations permettent aux personnes comme Roméo de se protéger. Les indices de mesure des particules fines sont très différents d’un pays à l’autre, voire même d’une ville à l’autre. Il est presque impossible d’estimer quelles régions sont les plus concernées et quand il vaudrait mieux éviter de s’y rendre.
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1. Des normes en pagaille
Le cas de Roméo n’est pas isolé. Selon une étude publiée dans la revue scientifique Lancet, 150 cas d’asthme infantile causés par le trafic routier sont diagnostiqués chaque année en Suisse. Les particules fines sont également un facteur de risque des maladies cardio-vasculaire et respiratoire. La pollution de l’air est chaque année responsable de 2’000 à 3’000 décès en Suisse. «L’augmentation de la pollution est ressentie par passablement de patients, témoigne le Pr Laurent Nicod, chef du service de pneumologie au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Probablement que l’augmentation du taux de particules fines engendre une irritabilité des bronches et favorise l’activité de certains virus respiratoires».
Difficile cependant d’estimer quel risque court vraiment un citoyen lambda. Daniel est architecte à Genève. Il se rend régulièrement sur des chantiers en France voisine. Ce matin, il circule tranquillement sur les routes encombrées du canton. Jusqu’ici, rien d’anormal. Mais dès qu’il passe la frontière, des panneaux «alerte pollution» l’obligent à réduire sa vitesse de 20km/h. En cause: un pic de particules fines, qui semble avoir la politesse de ne pas traverser la frontière. Comment se fait-il qu’un pays voisin prenne des mesures pour lutter contre un excès de pollution tandis que, quelques mètres plus loin, la Suisse reste de marbre?
Petit coup d’oeil à l’application airCHeck. Ce logiciel, développé par la Société suisse des responsables de l’hygiène de l’air, a pour objectif de renseigner en direct la population suisse sur la qualité de l’air en toute région. Si on en croit ses cartes interactives, tous les voyants sont au vert à Genève. Les poussières fines stagnent-elles vraiment sagement de l’autre côté de la frontière ?
Un problème de langage
La réponse n’est pas si simple. «Il est vrai que les grandes concentrations de pollution sont souvent localisées car elles sont liées à la topographie, explique Jean-Michel Fallot, maître d’enseignement à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne. Les vallées dans lesquelles stagne de l’air froid, par exemple, sont plus souvent concernées.» En France voisine, la vallée de l’Arve est célèbre pour atteindre régulièrement des pics de pollution. En Suisse, les régions les plus fréquemment touchées sont le Plateau, la vallée du Rhône et le Tessin.
Puisque les pondérations ne sont pas les mêmes, il faut éviter de comparer les taux tels quels
Pierre Kunz, adjoint à la Direction genevoise du service de l’air
Mais la topographie n’explique pas tout. Si les particules fines helvétiques semblent être si peu en adéquation avec leurs voisines, c’est qu’elles ne parlent simplement pas la même langue. Chaque pays développe son propre indice de mesure du taux de pollution dans l’air. En Suisse, l’IPC (Indice de pollution à court terme) prend en compte les quantités de dioxyde d’azote, de particules fines et d’ozone présentes dans l’air. En France, c’est l’indice ATMO (indice de la qualité de l’air de la fédération ATMO France) qui fait foi, tandis que les Allemands se réfèrent à l’AQI (Air quality index).
«La Ville de Paris se base encore sur un autre indice, différent du reste de la France, illustre Clive Muller, directeur de la Division air, climat et risques technologiques du canton de Vaud. Lorsque nous entendons parler du taux de pollution de l’air parisien, il est donc très compliqué de savoir à quoi cela correspondrait en Suisse.»
En résumé, impossible de se fier aux données obtenues en France voisine pour juger de la qualité de l’air à Genève. «Puisque les pondérations ne sont pas les mêmes, il faut éviter de comparer les taux tels quels», confirme Pierre Kunz, adjoint à la Direction genevoise du service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants.
La Suisse plus stricte que l’UE
Cette disparité est liée aux différentes normes en vigueur dans chaque pays. Les indices de mesures sont calculés en fonction des valeurs maximales recommandées. Or celle-ci ne sont pas les mêmes partout. En Suisse, le taux de PM10 (les particules dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres) à ne pas dépasser est fixé à une moyenne annuelle de 30 microgrammes par mètre cube. L’Union européenne place cette limite à 40.
Des normes très disparates
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande quant à elle de ne pas dépasser les 20 microgrammes, tout en rappelant que, même à faible concentration, les plus petites particules fines (PM 2.5, diamètre inférieur à 2,5 micromètres) ont une incidence sur la santé. Selon l’institution, «on n’a identifié aucun seuil au-dessous duquel elles n’affectent en rien la santé. C’est pourquoi il était préconisé dans les lignes directrices de 2005 d’œuvrer à limiter au maximum les niveaux de concentration de particules en suspension».
Pour autant, les autorités suisses ne sont pas inquiètes. «La qualité de l’air s’améliore et va encore s’améliorer les prochaines années, rassure Richard Ballaman, chef de la section qualité de l’air à l’Office fédéral de l’environnement. Depuis 2006, il a y a eu moins de pics significatifs de particules fines pendant l’hiver».
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2. A chacun sa politique
Pour préserver sa santé, les citoyens n’ont d’autre choix que de faire confiance aux mesures prises par les autorités pour les protéger des pics de pollution. Pourtant, mêmes ces solutions divergent de part et d’autre de la frontière.
Réduire la vitesse des véhicules n’est pas une mesure efficace pour faire redescendre un pic de pollution
Denis Jeanrenaud, spécialiste de l’air à l’État de Neuchâtel
En France, dès que les PM10 dépassent 50 microgrammes par mètre cube, les automobilistes sont obligés de réduire leur vitesse de 20 km/h. En Suisse en revanche, rien ne se passe. Ce n’est qu’à partir de 75 microgrammes par mètre cube que les réseaux de transports publics proposent des tarifs réduits pour inciter les usagers à moins prendre la voiture. A Genève, la circulation alternée comme en France n’intervient que lorsque le taux dépasse les 150 microgrammes. Ce qui est très improbable.
«Réduire la vitesse des véhicules n’est pas efficace pour faire redescendre un pic de pollution, assure Denis Jeanrenaud, spécialiste de l’air et des rayonnements non ionisants à l’État de Neuchâtel. Les gros producteurs de particules fines, ce sont surtout les chauffages et nous pouvons difficilement demander aux gens de baisser le leur en plein hiver.»
Le chauffage au bois montré du doigt
Il est vrai que le chauffage au bois peut être particulièrement polluant. Selon l’Office fédéral de l’environnement, c’est même le plus gros producteur de particules fines en Suisse. En comparaison avec le chauffage au mazout, les chaudières à bois émettent des dizaines de fois plus de poussières fines. Car lorsque que le bois brûle, certains de ses composants deviennent volatils. S’ils ne sont pas consumés entièrement, des hydrocarbures condensés s’échappent dans l’air environnant. Ces poussières microscopiques s’infiltrent alors dans les poumons.
Par conséquent, la Suisse axe surtout sa stratégie anti-pollution sur le développement de filtres à particules pour les moteurs diesel, mais aussi les systèmes de chauffage. L’ordonnance fédérale sur la protection de l’air impose des contrôles aux propriétaires de chaudières à bois. Si l’installation est jugée trop vieille et trop polluante, la personne a cinq ans pour assainir son système de chauffage. Mais le processus de contrôle prend du temps. Les autorités estiment qu’encore 650’000 chaudières à bois sont âgées de plus de dix ans en Suisse.
Vidéo: Des filtres peuvent limiter les émissions de particules fines
3. Harmoniser l’information
Résultat: entre les différentes causes de pollution, les indices de mesures et les normes qui varient d’un pays à l’autre, la population est mal informée. D’ailleurs, même la communication diverge de part et d’autre de la frontière. Alors que les Français sont avertis d’un pic de pollution dès 50 microgrammes par mètre cube, la Suisse attend que le taux de 75 soit dépassé avant d’envoyer un avis aux médias.
«Trop d’information tue l’information», justifie Denis Jeanrenaud. Une position qui révolte la conseillère nationale verte Adèle Thorens Goumaz. «Ne pas communiquer, c’est banaliser une situation de pollution inquiétante, s’énerve la politicienne. Davantage d’information favoriserait les prises de conscience et responsabiliserait la population. Il faudrait interpeller le Conseil fédéral à ce sujet.»
Trop d’information tue l’information
Denis Jeanrenaud, spécialiste de l’air à l’État de Neuchâtel
Des solutions existent pourtant. Afin d’offrir une information uniformisée à la population, les régions de Bâle, Strasbourg et Bade-Wurtemberg ont mis sur pied un système commun dans l’espace du Rhin supérieur. «Nous avons développé un site internet transfrontalier afin que les habitants de ces régions puissent avoir accès aux mêmes informations», explique Emmanuel Rivière, directeur délégué chez ATMO Grand Est en France. Cette plateforme permet de consulter la qualité de l’air et ses prévisions en fonction des coefficients de chaque pays.
Dans la région de Genève en revanche, encore nulle trace d’un tel dispositif. «Nous sommes en train d’y travailler», promet Pierre Kunz. En attendant, impossible d’obtenir un message uniforme.
Texte et multimédia: Aude Raimondi
Images: Keystone-ATS