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Police de proximité 2.0

Les réseaux sociaux sont la nouvelle arme des policiers. Toutes les Polices cantonales de Suisse romande ont fait le pas d’y être présentes. Utiles pour la diffusion massive d’informations, ils travaillent aussi sur l’image de la profession.  
 
Marc Zuckerberg voulait draguer des filles. Le 4 février 2004, il fonde Facebook, un réseau social alors destiné aux étudiants de l’Université de Harvard. Dix ans plus tard, le site passait le cap du milliard d’utilisateurs. Aujourd’hui, 1,13 milliard le d’individus consulte au quotidien. Parmi eux, de nombreuses entreprises, marques ou sociétés qui profitent de l’incomparable visibilité qu’offre Facebook et ses successeurs, Instagram, Twitter ou encore Snapchat. En 2017, la grande famille des réseaux sociaux est devenue incontournable.
Tellement indispensable que même la Police s’y est mise…
 

Précurseure dans le domaine en Suisse romande, la Police neuchâteloise est la première à faire son entrée sur Facebook en 2010, avant d’être rapidement imitée par ses pairs. Sur le plan Fédéral pourtant, il n’existe aucun mot d’ordre. Chaque Police, qu’elle soit cantonale ou municipale, décide ou non d’avoir un compte sur l’un ou l’autre des réseaux sociaux. Ces derniers ne se substituent par pour autant aux canaux de diffusions traditionnels. Ils renforcent uniquement l’arsenal des policiers en matière de diffusion, tout en profitant d’un pan para institutionnel avec des publications plus légères.
 

Du virtuel à la vie réelle

 
Les Polices présentes sur les réseaux, à savoir toutes les institutions cantonales de Suisse romande en ce qui concerne Facebook, expliquent ce choix par le caractère utilitaire de l’outil. Mais rien ne prédestinait ces supports à ce genre d’usages. A l’origine de la page de la Police cantonale vaudoise par exemple, la volonté de toucher un public jeune dans le cadre des campagnes de recrutement. « Les annonces dans les quotidiens c’est terminé, explique Jean-Christophe Sauterel, directeur prévention et communication de la Police cantonale vaudoise. Il faut être là où se trouve le public qu’on cible. » Très vite pourtant, l’institution se rend compte que les compétences de l’outil dépassent largement la sphère de l’enrôlement. Six mois plus tard, ils utiliseront déjà les réseaux à d’autres fins.

Diffusion rapide des informations

Une évolution justifiée par la capacité de diffusion des supports numériques. Aucun autre canal ne permet la transmission aussi rapide d’une information. Par exemple, l’avis de disparition de Marie, enlevée et assassinée par Claude D. le 13 mai 2013, atteignait 299’000 personnes en moins d’une journée. Ni la télévision, ni la presse, n’atteignent une telle audience dans l’immédiateté.

Nombre d’abonnés aux pages Facebook des Polices romandes

Sollicités pour les événements extraordinaires, les réseaux facilitent également la diffusion d’informations quotidiennes. « Nous postons sur notre page toutes les fermetures de route, explique par exemple Yves Sauvain, commandant de la Police municipale de Crans-Montana. Comme nous sommes en montagne, c’est un service apprécié des touristes en particulier, qui guettent notre page avant de prendre la route et d’avoir de mauvaises surprises, notamment lorsque les précipitations obligent le port des chaînes à neige. »

Comment ça marche ?

Toutes les Polices gèrent leur page de manière autonome. En Valais, pour ce qui est de la page de la Police cantonale comme de celle de Crans-Montana, il en revient aux policiers eux-mêmes de poster sur les réseaux sociaux. A contrario, la Police cantonale vaudoise, la plus suivie de Suisse romande avec plus de 36’000 amis virtuels, compte en ses rangs un team spécifique pour cela. A sa tête se trouve un Community manager, dont le taux de travail est estimé à 80%. La création récente de ce poste de travail souligne l’importance accordée par l’institution à l’utilisation des nouvelles technologies.
 

Un espace de liberté

Le côté utilitaire n’est toutefois pas la seule motivation avancée par les Polices. A Crans-Montana par exemple, c’est l’espace de liberté offert par la plateforme virtuelle qui est à l’origine de la page. « J’hésitais entre un site internet et Facebook, relate Yves Sauvain. Comme le premier n’offrait pas la liberté de faire de l’humour, j’ai opté pour le second, qui me semblait n’offrir que des avantages. » Le commandant de la police, aussi administrateur de la page, adore se mettre en scène. « Cela montre une autre facette de notre profession et permet de prouver que nous sommes une entreprise comme les autres. »
En parallèle, la Police municipale du Haut-Plateau a mis sur pied la tenue ponctuelle d’une rencontre, intitulée «Café avec un policier.» L’occasion d’entrer en contact direct avec la population. Ces deux nouveautés combinées entendent rapprocher les civils des forces de l’ordre. « En sortant du cadre officiel, nous créons des espaces dans lesquels les gens peuvent nous approcher. Beaucoup de gens nous avouent qu’ils ne nous contactent pas car ils n’ont pas envie de nous déranger. Ces espaces moins formels permettent de leur en donner l’occasion. »

Montrer un visage humain

La Police cantonale vaudoise partage également cette volonté de proximité. Le leitmotiv avancé par l’institution est de présenter la réalité quotidienne du travail de gendarme. « Le but n’est pas  montrer une facette ultra spectaculaire du métier comme pourraient l’avoir les jeunes dans les séries télévisée», précise Olivia Cutruzzolà, responsable de la division communication et relations publiques. Les images reflètent le quotidien, à savoir le volet administratif de la profession, le cirage énergique des chaussures de fonction ou les sauvetages d’animaux. « Ce qu’on veut montrer avec notre démarche, c’est que le gendarme reste avant tout un être humain », poursuit la responsable de la division. Pour renforcer cette stratégie de communication, la Police cantonale vaudoise a ainsi choisi des ambassadeurs. Ces derniers ramènent des images du terrain afin de les partager sur la toile.

En vidéo, portrait de Julien, ambassadeur de la Police cantonale vaudoise:
Si les ambassadeurs immortalisent leur quotidien de manière spontanée, ce ne sont pas eux qui procèdent à leur mise en ligne. Une forme de contrôle ? « C’est important de voir ce qui est publié puisque c’est effectué au nom de l’institution. Mais les ambassadeurs n’auraient de toute façon pas le temps de le faire. Leur travail est avant tout d’être sur le terrain», précise Olivia Cutruzzolà. Si la prise d’image n’est pas une priorité elles permettent toutefois d’atteindre facilement le public cible, les adolescents et jeunes adultes.

Un public cible mitigé

Cette jeune génération, à qui Julien espère transmettre la passion du métier de policier, est au coeur de cette stratégie numérique. Interrogés dans les rues Lausannoises, les adolescents semblent plus bavards sur les murs virtuels que face à la caméra. Bon nombre ont refusé l’interview, justifiant par exemple qu’il valait mieux ne par les faire parler de la Police en public. D’autres se sont toutefois prêtés à l’exercice et l’avis général est mitigé.

La Police sur les réseaux sociaux, qu’en pensent le public cible ?

 

Les limites du numérique

La proximité 2.0 est à double tranchant. Si le côté humain est bien perçu par certains, d’autres craignent une forme de perte d’autorité. Il est vrai que les réseaux sociaux, espace libre de discussion, sont également la source de dérapages. « On accepte le débat et la critique, mais pas les insultes », annonce Raphaël Pomey, chargé de communication de la Police municipale de Lausanne. Sur ce point, tous sont unanimes. S’ils se soumettent aux règles du jeu et acceptent d’être égratignés, les comportements qui vont à l’encontre de la loi ne sont pas tolérés.

 
 
 

A Neuchâtel, nous supprimons le 3% des commentaires. Jean-Louis Rochaix, porte-parole de la police neuchâteloise
Sur la page de la Gendarmerie vaudoise, l’utilisation de 600 mots-clés supprime automatiquement le propos de la personne malintentionnée. Depuis sa création en 2011, septante personnes ont été bannies de la page.  A Crans-Montana, une seule. « Heureusement, la grande majorité des commentaires est constructive », se réjouit toutefois Jean-Christophe Sauterel. Sous le joug des critiques, il arrive toutefois que les aventures policières fassent parfois le tour de la terre…
 

Quand la police fait le Buzz

Un million de vues. Le 20 octobre dernier, la vidéo d’un homme essayant de rattraper au pas de course sa voiture sur l’autoroute faisait le tour du monde. Tournées à Colombier (NE), les images étaient diffusées sur la page Facebook de la Police neuchâteloise avant d’être reprises par Euronews, le New York Post ou encore CNN.

Le Buzz de la Police neuchâteloise ou l’histoire d’une voiture autonome en vidéo: 

« On ne cherche pas à faire le buzz, affirme toutefois Jean-Louis Rochaix. On veut simplement augmenter notre nombre d’abonnés en vues de publications moins sexy, mais tout autant utiles. » En effet, la possibilité de diffuser à grande échelle réside sur la popularité de la page. En augmentant son nombre d’abonnés avec des vidéos plus légères ou virales, la Police élargit son audience pour de futurs messages préventifs.

Collaborer dans l’intérêt commun

En novembre 2015, la collaboration entre la Police et la population faisait le tour de la toile. La Police belge traque alors Salah Abdeslam, accusé d’avoir joué un rôle dans les attentats de Paris en novembre 2015. Elle demande le silence radio et interdit de publier sur leurs interventions afin de ne pas informer et favoriser la fuite du suspect.
En réponse, les internautes belges, bientôt rejoint pas les français et le reste du monde, inondent la toile de photos de petits chatons. Le lendemain, Salah Abdeslam interpellé, la Police remercie ses collaborateurs d’un jour avec une gamelle remplie de croquettes.

« Pour les chats qui nous ont aidé hier soir… Servez-vous! »

 
Sollicitée dans un but d’entraide, la population répond bien souvent avec engouement à l’appel de la Police. L’exemple des chatons belges n’en est qu’un parmi tant d’autres, autant aux Etats-Unis, qu’en France ou plus proche de chez nous, lors des alertes terroristes à Genève en juillet 2016.

Le droit d’être drôle

Il est difficile dès lors de trouver le juste milieu entre un usage purement utilitaire et le côté populaire.  Paradoxalement, les réseaux sociaux peuvent autant réunir que diviser. La Police cherche encore sa place. A-t-elle le droit d’être drôle ? Pour Jean-Christophe Sauterel, le tout est « de trouver un savant équilibre entre humour et information. Nous apprécions l’autodérision tout en essayant de l’associer à un message préventif. » L’expert et analyste des pratiques policières suisses, Frédéric Maillard, livre lui-aussi sa réponse.
 
 
 

Quid de l'avenir?

La résonance d’une présence policière sur les réseaux sociaux est donc double. D’un côté, son caractère immédiat aide au maintien de l’ordre. De l’autre, ces plateformes permettent de travailler sur l’image de la profession. A l’avenir, l’utilisation des réseaux sociaux par la Police pourrait donc d’avantage s’intensifier. Si ce n’est pas encore au programme de l’Académie de Savatan, le centre CIFPOL, qui réunit les aspirants de Fribourg, Neuchâtel et du Jura, dispense désormais un cours spécifique sur le sujet.
Certaines Polices, à l’image de la Police cantonale valaisanne, ne prévoient pas, pour l’instant, de sortir d’un usage purement institutionnel. D’autres sont toutefois persuadées du pouvoir de cette proximité virtuelle. A Lausanne, une réflexion s’est d’ailleurs récemment portée sur un compte Snapchat, sans convaincre. « On va suivre l’évolution des réseaux sociaux et demain, on verra bien où on  sera », conclut Jean-Christophe Sauterel. Et dire que l’application fondée pour draguer des filles aide aujourd’hui la Police à sauver des vies.
 
 

par Noémie Fournier

Nombre d’abonnés Facebook aux pages des Polices de Suisse romande
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