Entre 2000 et 2020, les cas de blessures dans le monde du sport ont augmenté de près de 20%. Le fléau fait aussi des dégâts dans le porte-monnaie du contribuable. Comment en est-on arrivé là? Enquête.
“Je me souviens très bien de ma chute. J’allais partir et j’ai été surprise par la propulsion de mon vélo électrique. Cela m’a fait perdre l’équilibre et je me suis retrouvée au sol.“ En cette douce journée de juin, Magali enfourche son VTT, comme à chaque fois qu’elle doit se rendre à l’école. Cette enseignante jurassienne habite à seulement dix minutes de son lieu de travail. Mais au moment de monter sur son engin, elle ne peut éviter l’accident.
Magali tombe directement sur son guidon. “L’important ce n’est pas la chute, mais l’atterrissage“, comme le disait Vincent Cassel dans “La haine“. Lourdement blessée, elle doit se rendre aux urgences à Bâle. Et les nouvelles ne sont pas bonnes.
Finalement, Magali s’en tire avec quelques jours d’observation et quatre bonnes semaines de repos. Mais elle fait partie de ces centaines de milliers de personnes qui, chaque année en Suisse, se blessent en faisant du sport. En 2019, ils étaient quasiment 450’000 selon le Bureau de prévention des accidents (BPA).
“Le contact n’était pas dangereux“
Comme Magali, Sami El-Assaoui s’est blessé en pratiquant son activité favorite: le hockey sur glace. Lors d’un match de championnat contre Lyss, le joueur du HCV Martigny est poussé contre la bande et reste au sol. On joue depuis à peine 90 secondes.
Le match du Valaisan est terminé et les radios qui suivent ne laissent rien envisager de bon: luxation acromio claviculaire stade 4. Cette blessure, elle est quelque part due à un peu de malchance. Le défenseur a été écarté des patinoires durant six semaines.
Audio – «Je me suis emmêlé les pinceaux avec ma canne»
Magali, Sami et des milliers d’autres Suisses passeront par la case blessure cette année. Ils sont de plus en plus nombreux. Il y a 20 ans, le BPA dénombrait 70’000 blessures de moins. Comment expliquer que la courbe des accidents ait augmenté de manière si draconienne lors du XXIe siècle? Et quelles en sont les principales raisons?
Des courbes en forte hausse
Plus de 20%. Entre 2000 et 2019, la courbe des accidents liés au sport a drastiquement augmenté. De 370’000 cas au début du siècle, on atteint 445’000 cas vingt ans plus tard.
Infographie – L’augmentation des accidents de sport en 20 ans
Bien que radicale, l’augmentation s’est faite petit à petit année après année. Hormis entre 2016 et 2017, la différence était de quelques pourcentages.
Avec ces chiffres en tête, on peut se demander quels sont les sports dans lesquels il y a le plus d’accidents. Bien évidemment, ceux qui ressortent sont ceux qui possèdent le plus grand nombre de licenciés. Football, ski et randonnée occupent les premières places.
Infographie – Le podium des accidents de sport
Ce graphique est logique, puisque ces sports possèdent le plus grand nombre de pratiquants. Le football (12e activité la plus pratiquée), le ski (4e), la randonnée (1re) et la course à pied (5e) font partie du quotidien d’une bonne partie de la population suisse.
Mais ces sports sont aussi dangereux. Ce qui se traduit par une augmentation des accidents. “Cette disproportion s’explique par une plus grande exposition dans certains sports“, détaille Nicolas Kessler, porte-parole du BPA.
Le porte-monnaie est touché
Au-delà du nombre d’accidents, c’est aussi le coût qui a largement augmenté. Et cela, touche directement le porte-monnaie du contribuable. En 20 ans, le total des coûts a plus que doublé! De 611 millions de francs suisses en 2000, on est passé à 1,4 milliard en 2020.
Infographie – Les coûts des accidents prennent l’ascenseur
Les chiffres augmentent, c’est un fait. Sur les dernières années, la courbe est même impressionnante. Cela s’explique évidemment par l’augmentation du nombre d’accidents, mais pas seulement…
Les sports extrêmes attirent
Les données ont été observées: oui, il y a de plus en plus d’accidents dans le sport et ils coûtent de plus en plus cher à la société. Mais comment expliquer cela? Pour y répondre, nous nous sommes rendus au chevet de plusieurs spécialistes.
Un de ceux-là se trouvent en ligne de front. Il s’agit de Sami El-Assaoui, notre hockeyeur martignerain. S’il a bien quelqu’un qui a vu une différence dans son sport sur les dernières années, c’est bien lui, qui pratique le hockey sur glace à un niveau professionnel depuis quinze ans.
Le nombre d’accidents a, comme dans la plupart des sports, augmenté entre 2000 et 2020. Sur les patinoires, on est passé de 4500 à 5800 cas. Sami El-Assaoui a remarqué cette augmentation, mais ne parle pas forcément de blessures plus graves. Il y a un toutefois un aspect du jeu qui l’inquiète.
“Il y a un nombre croissant de commotions, s’exclame-t-il. C’est une blessure qui est très dangereuse, surtout pour le post-sportif. J’ai l’impression que les joueurs n’en prennent pas conscience durant leur carrière. C’est ceux qui sont retraités qui mettent le doigt dessus.“
À la SUVA, on donne trois réponses à cette augmentation du nombre d’accidents, mais aussi des coûts. “Le nombre et l’âge des pratiquants, le genre d’activités et les prix de la santé“, développe Jean-Luc Alt, porte-parole de la SUVA.
Les seniors sont de plus en plus nombreux
Qui dit plus d’accidents dit plus d’adhérants. Nous pouvons toutefois voir que la courbe du nombre de pratiquants augmente plus que celle des accidents.
Infographie – Le nombre d’accidents n’est pas lié au nombre d’adeptes
On découvre que, bien que les cas ont crû de 20% en 20 ans, le nombre d’adeptes a lui augmenté de 42% sur la même période. Ce facteur du nombre de pratiquants ne nous convient donc pas entièrement. Il doit y avoir d’autres raisons à l’augmentation des accidents en Suisse.
Si le nombre de pratiquants ne nous satisfait pas, pourquoi ne pas s’intéresser à l’âge de ceux-ci? Selon la SUVA, la pyramide des âges nous permettrait d’expliquer l’augmentation des cas d’accidents. Les seniors ont en effet bien plus tendance à se blesser.
Selon un rapport de l’Office fédéral du sport, 40% des plus de 55 ans pratiquaient au moins trois fois par semaine une activité sportive en 2014. En 2020, ils sont 55%.
Pour comprendre l’éventail complet, on peut aussi s’intéresser aux différences entre genre. Les blessés graves sont aux deux tiers des hommes. Cette dernière donnée peut sembler étrange puisqu’aujourd’hui, il y a une égalité au niveau du nombre de pratiquants entre hommes et femmes. “Cette disproportion s’explique d’une part par une plus grande exposition dans certains sports, mais également par une plus grande propension au risque des hommes“, soulève le BPA via son porte-parole, Nicolas Kessler.
Les soins, un mal pour la société
Selon la SUVA, les coûts de la santé ont drastiquement augmenté sur les dernières années. Et à en croire Grégoire Schrago, docteur en sport au HFR de Fribourg, cela est effectivement le cas. Pour prouver ses dires, il prend en exemple le Da Vinci, un robot qui arrivera bientôt dans les locaux de l’hôpital cantonal.
Vidéo – Les coûts du Da Vinci en Suisse
Ce robot, très technologique, coûte donc 200’000 francs suisses de maintenance par année et quelque 5000 CHF par opération. Un coût qui sera en partie remboursé par le porte-monnaie du contribuable.
Au-delà des coûts des opérations, il y a aussi le type de blessures qui a changé depuis 20 ans. En plus de son rôle de médecin au HFR, Grégoire Schrago s’occupe aussi de la course Morat-Fribourg depuis très longtemps. “On n’est plus sur de simples blessures de surcharge, souligne le Fribourgeois. Les gens risquent désormais leur peau.“
Et c’est surtout dans une catégorie en particulier qu’on retrouve les plus grands problèmes: les populaires, qui sont de plus en plus nombreux – au détriment des élites.
“L’extrême à la queue leu leu“
Si les populaires tentent toujours d’aller plus vite, plus haut et plus fort, c’est aussi par effet miroir. Sociologue du sport à l’Université de Neuchâtel, Christophe Jaccoud partage cette thèse. “Sur Instagram ou Facebook, les gens font des trucs de malade et il y a un effet de contagion, relève l’enseignant. On vit dans une société du dépassement et on peut même parler d’extrême à la queue leu leu.“
Pour appuyer ses dires, Christophe Jaccoud prend l’exemple de l’ascension de l’Everest. En 2022, ils sont plus de 700 à avoir atteint le sommet. Et dire qu’en 2000, la barre des 550 n’avait pas encore été franchie. Et il y a quatre ans, une image incroyable de ce fameux “extrême à la queue leu leu“ est sortie. On y voit des dizaines de personnes attendant leur tour pour atteindre le point le plus élevé de la planète.
En voyant cela, n’importe qui se dit: “Moi aussi, je peux le faire.“ Et c’est à cause de cette croyance que de nombreuses personnes se blessent chaque année dans la chaîne de montagne. Elle a été rendue plus accessible à tout un chacun. “On balise partout et ça nous fait dire qu’elle n’est plus là que pour les vrais montagnards, souligne Christophe Jaccoud. C’est une illusion qu’on a les moyens de la dompter.“
Pour l’enseignant à l’université de Neuchâtel, l’augmentation des accidents peut aussi s’expliquer par un manque d’apprentissage. “Dans les années 70, on ne pouvait être sportif sans être rattaché à un club, développe le sociologue. Aujourd’hui, on apprend tout seul et il y a des tutoriels pour tout et n’importe quoi.“
Une démocratisation du sport qu’a également pu observer Grégoire Schrago dans son quotidien: “Entre 1998 et 2010, j’ai été consultant en médecine du sport à l’hôpital cantonal de Fribourg. Je travaillais une demi-journée par semaine et l’immense majorité de nos patients étaient des professionnels. Mais depuis douze ans, la demande populaire a grandement augmenté et c’est désormais une majorité de nos patients.“
Le VTT, un fléau dans le fléau
De tous les sports que nous avons pu observer, un étonne particulièrement: le VTT. De 6660 cas en 2000, on est passé à 14’070 vingt ans plus tard. Et ceci peut s’expliquer par un facteur particulier: l’avénement du vélo électrique, le même qui a fait chuter Magali. Certaines de ces machines permettent même d’atteindre 45km/h.
Vendeur au Factory Bike Shop de Fribourg, Stefan a vu une évolution sur les VTT depuis une vingtaine d’années:
Audio – «Une évolution énorme dans les nouvelles technologiques»
Le Fribourgeois a remarqué que beaucoup plus de personnes venaient acheter des vélos dernièrement. “Avec une assistance électrique, les gens ont découvert qu’ils pouvaient tous faire du mountain bike et aller en nature. Ça facilite l’effort.“
“Le problème, c’est que les machines vous mettent directement en confiance, tempère Stefan. Ça va vous donner envie de faire des descentes plus rapides et de prendre plus de risques.“ Et qui dit risques dit aussi risques… de chute et d’accident.
Mais comment faire pour réduire le nombre de chutes? Y a-t-il des moyens de faire de la prévention pour le VTT? Pour Stefan, la solution est peut-être la même que pour les nouveaux maîtres de chiens:
Ces inquiétudes ne concernent pas seulement notre vendeur fribourgeois. Assureur dans le Jura bernois mais aussi passionné de deux roues, Vincent Criblez dénote aussi un changement de comportements chez les adeptes du mountain bike.
«Il y a de plus en plus de traffic à cause des VTT électriques en forêt, divulgue Vincent Criblez. Le problème, c’est que tu peux gravir des chemins que personne n’arrivait avant.» Et une fois en haut de la pente, il faut redescendre. Le niveau n’est parfois pas toujours adapté et les chutes se produisent bien souvent.
Mais, heureusement pour les pratiquants, la sécurité a également augmenté. “Les freins à disque sont arrivés il y a une bonne quinzaine d’années et ça rajoute de la qualité au vélo, détaille Stefan, notre vendeur au magasin fribourgeois. En plus, toutes les pièces sont faites dans le but d’être le moins dangereuse possible en cas d’accidents.“
Dans son magasin, Stefan nous fait aussi l’inventaire de toutes les protections en lien avec le VTT. Tout comme les machines, les casques et autres plastrons sont impressionnants. Les termes très spécifiques nous font comprendre que les protections absorbent la plupart des chocs et que les cyclistes sont aujourd’hui très bien protégés. Et heureusement, au vu du nombre d’accidents par année.
La courbe va-t-elle continuer de grimper?
À l’avenir, peut-être que les coûts de la santé baisseront. Au vu des nouvelles technologies en ce qui concerne les protections, elles prendront peut-être bientôt le cas sur la gravité des accidents. En tout cas, la SUVA met en œuvre énormément de prévention pour éviter les chutes.
On dit toujours que dans tout bon article, il faut une chute pour conclure son sujet. Mais pour ne pas fausser les chiffres du BPA cette année, nous allons nous en abstenir.
Texte et multimédia
Matthias Davet
Photos
Shutterstock, Siriane Davet, Keystone