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17A·Longform

Pire qu’un homme, pire qu’une femme: la femme patron.

Un obstacle se pose en travers de certaines femmes. Il est dressé par d’autres femmes cadres occupant des postes à responsabilité dans des organisations dominées par des hommes. C’est ainsi que l’on résume le « Queen bee syndrome ». Une recherche sociologique qui explique pourquoi certaines femmes en position de pouvoir sont plus hostiles envers leurs subordonnées. Entre stéréotypes, témoignages et explications qu’en est-il vraiment ? Enquête.

                 Andrea Bras Lopo

Selon une étude réalisée en 2015 par l’Université du Maryland, lorsqu’une femme prend un poste de dirigeante, les chances pour la femme suivante d’accéder à un niveau équivalent de responsabilité chutent de 50%. Du côté du Wall Street Journal, les chercheurs indiquent que dans 80% des cas, les patronnes prennent pour cible des autres femmes. (2010)

Ainsi, pour Klea Faniko, sociologue à l’Université de Genève, dans la représentation populaire, l’image de la « reine des abeilles » n’est guère flatteuse: elle désigne un individu de sexe féminin qui règne sur une collectivité également féminine tout en maintenant ses congénères femmes dans une condition inférieure:

AUDIO – Klea Faniko définit le «Queen bee syndrome» :

Klea Faniko, sociologue Université de Genève

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de Genève.

Le Queen bee syndrome trouve son origine dans un environnement professionnel sexiste.

À l’université de Genève, Klea Faniko, sociologue à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, a démontré ce phénomène avec trois autres psychologues. « Nous ne décrivons pas un monde en noir et blanc, et n’affirmons pas que toutes les femmes se comportent ainsi ni que cette tendance est une caractéristique typiquement féminine. En réalité, le Queen bee syndrome trouve son origine dans un environnement professionnel sexiste ».
Pour la présidente de la FRAC (Centre d’Information et de Consultation, Construire sa vie professionnelle), association basée à Bienne, qui s’engage pour l’égalité des chances entre femmes et hommes dans le monde du travail, Nicole Ding, ce terme de Queen bee sydnrome  dévoile « une nouvelle forme de misogynie ».

AUDIO – Nicole Ding explique pourquoi le terme de « Queen be syndrome » est négatif :

Nicole Ding, présidente de la FRAC

La plus célèbre des « Queen Bee », Miranda Priestly jouée par Meryl Streep dans « Le Diable s’habille en Prada ».

Difficile de déterminer si la « Queen Bee » relève du mythe ou de la réalité. Il y a quelques mois, un article du quotidien le Temps défendait l’idée que la « rivalité féminine au travail n’était qu’un mythe ». Un avis partagé par, Yves Deloison, journaliste et écrivain. Contacté, il dit ne pas vouloir « perdre son temps » pour parler du sujet:

 C’est un concept rance qui continue de véhiculer des stéréotypes sexistes à l’encontre des femmes.

Or, comme le témoigne Sandra (prénom d’emprunt), analyste financière pour une entreprise de Genève, cette rivalité est un fait. « Pendant de longues années, je n’ai eu que de conflits avec ma cheffe. Elle était particulièrement méprisante envers moi. J’en suis venue à douter totalement de moi et faire une dépression ». Même situation pour Jessica (prénom d’emprunt), courtière immobilière pour une agence valaisanne.

AUDIO – Le témoignage de Jessica :

 

Patricia Torres, experte RH dans l’industrie bancaire et conseillère en entreprise, ne renie par l’existence du phénomène « Queen bee », mais d’après elle, ce comportement révèle un malaise plus profond: « la culture patriarcale encourage le peu de femmes qui arrivent en haut de l’échelle à tout faire pour maintenir leur autorité. On se focalise sur un système managérial relativement autoritaire que l’on a imprégné d’un point de vue éducatif et culturel et que l’on valorise chez les hommes ».

 

Patricia Torres, experte RH dans l’industrie bancaire et conseillère en entreprise

Ainsi, lorsqu’un homme a le comportement typique d’une « reine des abeilles » , on ne le remarque pas: son comportement coïncide avec les stéréotypes d’un leader. Si c’est une femme, on y prête plus attention, car elle est minoritaire et ne répond pas aux attentes genrées. « Les femmes sont regardées comme des femmes alors que les hommes sont regardés comme des individus », résume Nicole Ding.

Derrière les stéréotypes et l’explication sociologique, il y a la réalité vécue par les supérieures. Des femmes qui ne se reconnaissent pas vraiment à travers l’image de reine des abeilles. Comme Véronique Ferrero Delacoste, directrice du far°, le festival des arts vivants de Nyon. 

VIDEO – Véronique Ferrero Delacoste explique que c’est une question de caractère, mais que pensent ses employés?

En résumé, c’est la société qui construit le « Queen bee syndrome  » . Selon Klea Faniko: « On admire les normes masculines. Pour nous, un leader c’est un homme. » Un discours qui expliquerait la manière de penser d’Annabel Glauser, chargée de production au far°.

VIDEO – « Et si votre cheffe était un homme? » – Annabel Glauser est confuse : 

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=JEgvOXn6Zp4?rel=0]

Du côté de l’Institut romand de recherche sur les rapports entre femmes et hommes, la question n’est pas de savoir s’il s’agit d’une réalité ou d’une perception. La problématique réside dans le fait qu’aujourd’hui encore, dans le marché du travail, les femmes doivent faire face à des difficultés plus nombreuses que les hommes. Bulle Nanjoud, chercheuse, résume ainsi la situation : « Ces perceptions se construisent par la société. Une femme a encore beaucoup de probabilités de subir des discriminations et par conséquent, elle met en place des mécanismes de défense conscients ou non. » Un point de vue partagé par Nicole Ding: « Je suis convaincue que ce stéréotype reflète les rapports de forces de notre société actuelle. Un mécanisme qui profite aux hommes et isole les femmes. »

AUDIO – Nicole Ding argumente avec l’exemple de Micheline Calmy-Rey, ancienne présidente de la Confédération :

Enfin, pour Klea Faniko, si certaines femmes s’opposent à des mesures de promotion pour leurs cadettes, c’est parce que leur propre parcours professionnel a été marqué par la discrimination sexiste, un manque de soutien de la part de la hiérarchie et des choix difficiles tout au long de leur carrière dans des milieux professionnels dominés par les hommes.

VIDEO – Klea Faniko explique qu’une femme n’est pas « Queen bee », mais qu’elle le devient :

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=wtVdBmznqRg?rel=0]

« Je suis convaincue que ce stéréotype reflète les rapports de forces de notre société actuelle. Un mécanisme qui profite aux hommes et isole les femmes. » Nicole Ding

170 ans. C’est le temps qu’il faudrait pour que les femmes gagnent autant que les hommes, selon une récente étude du Forum économique mondial (WEF). Vingt ans après l’entrée en vigueur de la loi sur l’égalité des salaires, la différence reste énorme. D’après la dernière enquête suisse sur la structure des salaires (2014, OFS), les femmes gagnent en moyenne 15.1% de moins que les hommes dans le secteur privé. (Numerus 7, Statistique Vaud 2016)

VIDEO Magdalena Rosende, cheffe de projet pour le bureau du service de l’égalité du canton de Vaud commente ces chiffres et propose des solutions :

Quant au marché suisse du travail, c’est le plus discriminatoire d’Europe selon « The Economist ». Sur les 61 nations européennes comparées, la Suisse arrive en bonne derrière. Publiée en 2016, l’étude démontre que le retard pris par la Suisse en termes d’égalité entre femmes et hommes trouverait son origine dans le traditionalisme des représentations qui prévaut dans le pays et la difficile conciliation entre charges familiales et vie professionnelle.

Du côté du temps d’occupation du travail, en 2015, la majorité des Vaudoises (54%) travaillent à temps partiel, selon l’Annuaire Statistique de janvier 2017.  Or, aujourd’hui encore, plusieurs entreprises suisses refusent l’idée qu’un poste de cadre puise être à temps partiel.  Une raison qui expliquerait également pourquoi, les postes de direction sont occupés deux fois moins par des femmes (4,3%) que par des hommes (8,6%). (Situation dans la profession, OFS, 2016)

Conscientes de tous ces problèmes et pour accélérer le changement, plusieurs associations proposent des solutions.  A Genève, c’est le cas du Career Women’s Forum.  Depuis 1982, l’organisation soutient le développement professionnel des femmes et favorise la diversité en instaurant une relation privilégiée entre une personne plus expérimentée et une plus jeune. Selon la présidente, Valentina Gizzi, « Il est très positif pour des jeunes femmes de bénéficier de mentors féminins qui les inspirent, des modèles qui leur montrent que progresser dans la hiérarchie est possible ». Un point de vue partagé par Nicole Ding.

AUDIO – Nicole Ding donne quelques conseils :

Toutefois, toujours selon Nicole Ding, les discriminations auxquelles doivent faire face les femmes reposent toujours entièrement sur leurs propres épaules et sur leur capacité à porter les affaires devant la justice. Ainsi, le statut de l’égalité femme-homme n’évolue plus, car il ne se fait pas naturellement, mais seulement par les femmes, les associations et quelques lois.

C’est le rôle des hommes que de soutenir également les femmes!  

Enfin, pour Klea Faniko, il faudrait également créer des environnements de travail qui permettent de concilier vie professionnelle et privée. « Si les femmes ont le sentiment que leur carrière se réalise au détriment de leur vie privée, elles risquent de développer des comportements de type reine des abeilles ». 

En résumé, remettre l’ouvrage sur le métier pour ne pas devoir attendre … 170 ans ! Les pires ennemis de la femme ce ne sont ni les femmes ni les hommes, mais bel et bien les stéréotypes. 

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