Les skieurs fondent comme neige au soleil, victimes collatérales du réchauffement climatique. Autres victimes: les stations de ski. Dans les Préalpes fribourgeoises, à moyenne et basse altitude, il est primordial d’exploiter de nouvelles pistes, pour ne pas mettre la clé sous la porte.
Les pistes de ski totalement recouvertes de neige, c’est devenu chose rare dans les Préalpes fribourgeoises. Le réchauffement climatique, en plus d’impacter sur sa quantité, retarde l’arrivée de l’or blanc, qui se fait chaque année un peu plus attendre. La saison de ski doit s’adapter à ce nouveau rythme. Au cours de ces dix dernières années, le nombre de jours durant lesquels les installations mécaniques ont fonctionné a considérablement diminué.
Lors de la saison 2007-2008, les domaines skiables fribourgeois ont ouvert durant une moyenne de 84 jours. Actuellement, ce chiffre a diminué de près de moitié dans l’ensemble des stations. A la Berra, en Gruyère, le domaine a ouvert durant 74 jours, dont 60 pour le ski, lors de la saison passée. Cela représente dix journées de moins que lors de l’hiver précédent. A Charmey, la diminution est aussi de dix jours, à 48 jours. Du côté de Rathvel, à environ 1’300 mètres d’altitude, la petite station de sports d’hiver a pu ouvrir pendant un total de 46 jours, à peine moins qu’une année plus tôt.
Les conséquence de cette situation se font ressentir à différents niveaux, tous liés les uns aux autres: les skieurs sont moins nombreux et les caisses ne remplissent pas. La santé financière des domaines skiables n’est plus au beau fixe.
Noël blanc, ce lointain souvenir
La situation a commencé à se détériorer lors de la saison 2008-2009. Depuis, les domaines skiables des Préalpes fribourgeoises sont une infime poignée à pouvoir démarrer leurs installations lors des fêtes de fin d’année. Aujourd’hui, elles ouvrent généralement à partir de la mi-janvier.
Noël, c'est le ski. Et comme dans nos Préalpes on ne peut pas offrir ça, les skieurs vont chez la concurrence, comme en Valais. Sébastien Jaquat, directeur des remontées mécaniques de Charmey.
C’est pourtant durant la période de Noël que les domaines enregistraient la majeure partie de leur chiffre d’affaire annuel, en raison, notamment, des vacances de fin d’année. Les familles profitaient de ce répit pour quitter leur cocon et s’adonner aux plaisirs de la neige. Aujourd’hui, elles se tournent plutôt vers d’autres destinations. Les raisons de ce changement sont évidentes selon Sébastien Jaquat, le directeur des remontées mécaniques de Charmey: « les skieurs ne veulent pas changer leurs habitudes: Noël, c’est le ski. Comme dans nos Préalpes on ne peut pas offrir ça, ils vont chez la concurrence, en Valais. »
Pour survivre, les stations doivent trouver des solutions pour attirer à nouveau les skieurs sur leurs pistes. Plusieurs réflexions sont actuellement en cours dans le canton de Fribourg, afin de redynamiser la saison hivernale. Certains domaines avaient envisagé de créer leur propre forfait saisonnier à bas prix. Finalement, toutes les installations mécaniques fribourgeoises ont décidé de miser sur un abonnement commun: le Magic Pass.
VIDÉO: Présentation du Magic Pass
https://youtu.be/StMoP-1ruEs
Pour prendre part à ce projet, chaque station a dû verser 5’000 francs dans un pot commun, afin de permettre le lancement de cette offre. En contrepartie, les domaines skiables participants ont eu la garantie de recevoir, avant le début de la saison, la moyenne des chiffres d’affaires réalisés lors des trois derniers hivers. « Une somme non négligeable » de l’avis d’Olivier Berthoud, le responsable des remontées mécaniques des Paccots. « Ce montant permet de faire des investissements pour améliorer les pistes avant d’accueillir les skieurs ». Les directeurs des domaines fribourgeois espèrent aussi, grâce au Magic Pass, réduire la concurrence déjà existante avec les valaisans.
Le Magic Pass, la solution à tous les maux?
Le Magic Pass est considéré par beaucoup comme étant l’ultime solution pour faire revenir les skieurs, offrant des alternatives aux amateurs de glisse qui souhaitent profiter de la neige sans parcourir de nombreux kilomètres. Pour Olivier Berthoud, le directeur des remontées mécaniques des Paccots, « le public cible, c’est les familles, celles qui habitent dans le canton de Fribourg et qui auront un après-midi de congé sans savoir quoi faire. Si on a 100 francs dans la poche, on n’hésitera pas à choisir une autre activité que le ski. Avec le Magic Pass, la question ne se pose pas: on ira skier, même si ce n’est qu’une après-midi. »
Sur le fond, l’idée semble prometteuse. Toutefois, même si son nom pourrait indiquer le contraire, cet abonnement n’est pas magique. Selon le directeur de l’Union fribourgeoise du Tourisme, « ce sont surtout les petites stations qui en souffriront les premières », car il est un problème qu’un tel sésame ne pourra pas résoudre.
VIDÉO: Pierre-Alain Morard, le directeur de l’Union Fribourgeoise du Tourisme, estime que le Magic Pass est l’une des solutions, mais pas la seule.
Pour faire face au manque de neige, d’autres solutions sont envisageables. Du côté de la Berra, en Gruyère, on a décidé de faire venir l’or blanc, artificiellement, grâce aux canons à neige. Une solution qui n’est pas possible ailleurs, car « cela coûte trop cher » selon les autorités de Charmey.
La commune gruérienne éponge actuellement, chaque année, le déficit de ses installations mécaniques, en votant régulièrement sur des crédits de secours de plusieurs centaines de milliers de francs. Il n’est donc pas question d’investir encore. Pourtant, de l’avis des Charmeysans, à l’instar de Jacques Luthy, qui tient un magasin de sport en plein centre du village, « l’avenir des installations passe par des investissements. Il en va de la survie de ce village de 2’400 âmes. Si les installations ne fonctionnent plus, les touristes n’auront plus de raison de se déplacer à Charmey, et c’en sera fini des commerçants. »
En juin 2016, les citoyens de Charmey ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur un énième crédit de secours pour les installations de la région. 170 personnes étaient favorables à un nouvel investissement de 2,4 millions de francs, et 170 y étaient opposées. Le syndic de la commune, Yves Page, a tranché, mettant fin au projet de développement des remontées mécaniques de Charmey, « une manière de montrer que la commune n’est plus prête à dépenser sans compter pour les installations. » Faut-il dès lors envisager leur démolition?
AUDIO: Michel Losey, le président des remontées mécaniques des Alpes fribourgeoises, ne pense pas que la démolition des installations soit la meilleure alternative.
Difficile de démêler le nœud du problème, car le manque de neige entraîne inévitablement une diminution considérable du nombre de skieurs, si bien que les caisses ne se remplissent pas. Mais avec des caisses vides impossible d’investir.
Il n'est pas impossible que la neige fasse son retour ces prochaines années...et qu'on revive l'âge d'or du ski! Sébastien Jaquat, directeur des remontées mécaniques de Charmey
La station de ski de Charmey semble donc se trouver face à un mur. Pourtant, il n’est pas question d’être défaitiste, car, de l’avis de Sébastien Jaquat, le directeur des remontées mécaniques de Charmey, « la situation n’est pas si catastrophique que ce qu’on veut bien croire. Il n’est pas impossible que la neige fasse son retour ces prochaines années, et qu’on revive l’âge d’or du ski. »
Même si la neige fait son apparition tardivement, même si les skieurs sont aux abonnés absents et même si les caisses font grise mine, il est un secteur dans lequel les domaines skiables ne font pas de concessions en hiver: la main-d’œuvre. Dans le canton de Fribourg, chaque station peut compter sur une dizaine d’employés potentiels, qui travaillent tous à la demande.
Du côté de Rathvel, ou de Jaun, ils sont une vingtaine chaque année à attendre patiemment un appel pour aller travailler. Au Lac Noir, le nombre d’auxiliaires gonfle encore : plus de trente personnes sont sur le qui-vive. La première place revient aux Paccots, où quarante personnes sont sur la liste d’attente. Problème: ils ne sont pas liés contractuellement à la station de ski.
Afin de garantir la disponibilité des saisonniers en tout temps, Sébastien Jaquat, le directeur des remontées mécaniques de Charmey a trouvé une solution : « nous avons plus de vingt saisonniers qui ont signé un contrat pour trois mois. Durant ce laps de temps, si on a besoin d’eux, ils doivent être disponibles. En revanche, s’il n’y a pas de neige, ils ne travaillent pas. Mais on ne les paie pas non plus. »
Les caisses, à défaut de se remplir, ne se vident pas pour les salaires des auxiliaires ponctuels. Mais le problème lié au manque de neige n’est pas encore résolu. Et comme il n’est pas question de démolir les installations, il faut trouver d’autres pistes d’avenir.
AUDIO: Yves Page, le syndic de Val-de-Charmey, est persuadé qu’il faut utiliser les installations différemment.
L’été pour sauver l’hiver
Pour la quasi totalité des stations de ski des Préalpes fribourgeoises, le constat est le même: leur dépendance à l’hiver est beaucoup trop importante. C’est pour cette raison qu’elles sont nombreuses à vouloir développer l’activité estivale, afin d’éponger les déficits de l’hiver.
Du côté de Moléson, la formule estivale fonctionne. La station gruérienne est d’ailleurs la seule du canton de Fribourg à boucler chacun de ses exercices dans les chiffres noirs. Elle dispose toutefois d’un atout que les autres n’ont pas: la renommée. La montagne la plus célèbre du canton de Fribourg est connue à l’internationale, ce qui lui permet d’attirer des touristes, venus vérifier si « du Moléson, on voit sa maison! ». Selon Antoine Micheloud, le directeur des remontées mécaniques de Moléson, « c’est l’activité estivale qui permet de remplir les caisses. Ça fait de nombreuses années qu’on ne dépend plus de l’hiver pour survivre, car il n’est plus possible d’avoir des finances saines uniquement grâce à l’hiver et au ski. Ce n’est plus viable, même à Moléson. «
Les autres stations du canton de Fribourg sont conscientes de la non-viabilité de la saison hivernale uniquement. Elles sont d’ailleurs plusieurs à développer leurs offres estivales, afin de sortir de l’impasse. A La Berra, la station est en pleine réflexion pour proposer de nouvelles activités estivales aux clients. Elle envisage notamment de créer des pistes de VTT. Même schéma à Charmey, où les responsables des remontées mécaniques ont mis en place des parcours pour trottibike ou encore des parcs à chèvres pour les enfants. D’autres projets sont en cours d’élaboration pour la création de pistes de VTT. Des projets qui se heurtent toutefois aux objections des différentes associations de protection de la nature.
Les petites stations n’y survivront pas
Jusqu’à présent, Moléson était la seule station fribourgeoise à miser sur l’été. Aujourd’hui, la quasi totalité des domaines skiables fribourgeois envisagent cette même solution. Qu’en sera-t-il de la concurrence? « On ne la craint pas, déclare Antoine Micheloud, le directeur des remontées mécaniques de Moléson. Chaque station proposera ses propres activités. Il y aura de la place pour tout le monde. » Les fondateurs du Magic Pass sont d’ailleurs en train de se pencher sur un projet d’abonnement estival, regroupant aussi plusieurs stations de Suisse romande.
Mais qu’en est-il des petites stations de basse ou moyenne altitude, qui ne peuvent pas miser sur l’été, de par leur taille ou de par la précarité de leurs installations mécaniques ? Pour Pierre-Alain Morard, le directeur de l’Union fribourgeoise du Tourisme, ce seront les premières à payer le prix fort du manque de neige, à savoir, la fermeture définitive.
Textes et sons: Lauriane Schott
Vidéos: Lauriane Schott, Magic Pass