Pour certaines femmes, la pilule ne passe plus. Et alors que des méthodes alternatives au préservatif et à la vasectomie tentent, non sans mal, de se faire une place dans l’univers contraceptif masculin, de plus en plus d’hommes décident de prendre part activement à la charge contraceptive de leur couple. Mais la société est-elle prête pour une telle (r)évolution?
La rumeur court depuis les années 1980: une pilule pour homme devrait bientôt arriver sur le marché. Certains hommes ont décidé de ne plus l’attendre. C’est le cas de Frédéric, 37 ans, qui a décidé il y a trois ans de se charger de la contraception dans son couple. Il utilise la contraception thermique testiculaire (CMT) grâce à un Andro-switch.
Il était gentiment temps que ce soit mon tour de participer à la contraception de notre couple Frédéric, utilisateur de l'Andro-switch
« A mon sens, ce n’est pas le job de la femme ou le job de l’homme, c’est le job du couple s’il désire avoir des relations sexuelles. Ma femme avait largement fait sa part. Il fallait que je trouve une solution pour y participer aussi », explique Frédéric.
>> A voir: Frédéric explique ses motivations
L’Andro-switch est un anneau en silicone à placer autour des testicules et à porter tous les jours pendant au moins 15 heures. Les bourses ainsi rapprochées du corps, la température des testicules augmente et la production de spermatozoïdes s’effondre rendant l’utilisateur infertile. Efficace dès 3 mois d’utilisation, et réversible dans un délai de 3 à 6 mois après l’interruption de la méthode, confirme le créateur du dispositif Maxime Labrit, l’efficience théorique de l’anneau contraceptif est de 99,6%.
La CMT fait de plus en plus parler d’elle, notamment par le biais des réseaux sociaux, comme sur le compte Instagram SlowContraception grâce auquel les utilisateurs partagent et diffusent des contenus informatifs et pédagogiques.
>> A voir: une vidéo expliquant l’utilisation de dispositif de contraception thermique par remontée testiculaire
Une méthode vieille de 40 ans
L’Andro-switch a été créé en 2018 par Maxime Labrit, un infirmier français, il s’agit d’un dérivé du slip chauffant, ou « remonte-couilles toulousain », mis au point en 1985 par le Dr Roger Mieusset, andrologue au CHU de Toulouse.
A la fin des années 1970, Roger Mieusset est membre d’une communauté militant contre la contraception hormonale proposée aux femmes. Il met au point un slip chauffant en se basant sur un principe ancestral relatif à la température: lorsque la chaleur des testicules augmente, le nombre de spermatozoïdes dégringole. Roger Mieusset est très confiant quant à l’avenir de son dispositif, mais avec l’arrivée du Sida, les recherches sur le slip chauffant sont interrompues et n’ont par la suite jamais abouti, faute d’intérêt et de moyens.
Lorsqu’il découvre la méthode du Dr Mieusset, Maxime Labrit est en colère: une méthode simple, écologique, économique et efficace que personne ne connaît alors qu’elle ne date pas d’hier, cela révolte l’infirmier qui se met en tête de sortir de l’image négative du slip chauffant et de rendre disponible cette méthode au plus grand nombre. Car avant la mise à disposition par Maxime Labrit de son anneau sur internet, les dispositifs de contraception thermique étaient réservés à une petite minorité d’hommes prêts à confectionner artisanalement leur slip ou « jockstrap » à l’aide de culottes. de chaussettes et même de soutiens-gorge.
>> A écouter: Maxime Labrit à propos de l’histoire de la CMT
Peu d’alternatives possibles
Alors que dans les années 1960, l’arrivée sur le marché d’une contraception hormonale féminine est une véritable révolution, désormais, certaines femmes ne veulent plus de cette charge hormonale et mentale. Mais en l’absence d’alternatives convaincantes, dans les couples hétérosexuels, cette charge est toujours principalement assumée par les femmes. Une offre élargie en matière de contraception masculine permettrait une meilleure équité contraceptive.
Parce qu’en termes de contraception masculine, officiellement, le préservatif et la vasectomie sont les deux seules options disponibles, confirme le Dr Laurent Vaucher, urologue au Centre de fertilité du CHUV. Mais les choses pourraient bientôt changer, notamment grâce à des injections hormonales dont les études sont en cours, et aux recherches consacrées à une pilule non hormonale ciblant un dérivé de la vitamine A essentiel à la production de spermatozoïdes. Affaire à suivre…
Comme Frédéric, les hommes motivés à s’impliquer dans le partage de la charge contraceptive dans leur couple n’ont donc actuellement d’autre option, s’ils veulent se passer de préservatif sans opter pour la vasectomie jugée trop invasive, que de s’intéresser à la CMT.
La vasectomie est en nette progression dans la majorité des hôpitaux de Suisse romande. Elle concerne principalement les jeunes pères. Entre 2018 et 2019, le CHUV de Lausanne a enregistré une hausse de 34% de ses opérations. A Genève, les HUG constatent une augmentation de 30%, tandis que les vasectomies progressent de 51% au Centre lémanique d’urologie, qui regroupe trois cliniques vaudoises (Bois-Cerf, Cecil et La Source).
Source: RTS 2020
La contraception masculine, terrain peu fertile pour les pharmas
En 2021, après trois ans de commercialisation sur internet, faute d’études, la vente de l’Andro-switch est suspendue en France sur décision de l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. « L’ADN des spermatozoïdes pourrait être altéré par les températures auxquelles on les soumet avec la contraception thermique », explique Caroline Gautier, médecin chez PROFA, Centre vaudois de référence en santé sexuelle. Pour être validée et officielle, la méthode doit donc faire l’objet de recherches approfondies, et cela coûte cher.
De manière générale, le financement de la recherche est un gros frein au progrès en matière de contraception masculine. Comme l’explique le Dr Vaucher: « Cela fait des années qu’on travaille dessus. Des études sont faites, mais ça ne débouche sur rien. Pour l’instant, personne n’a vu un intérêt à financer cela ». Pour le spécialiste, faute d’un véritable avantage concurrentiel, l’industrie pharmaceutique n’investit pas.
Le sexisme de la recherche en cause
Pour Marion Gumowski, étudiante en médecine, co-autrice d’une étude intitulée Les freins et les facilitateurs au développement des contraceptions masculines parue en 2022 sur le site Unisanté, une forme de sexisme dans la recherche serait en partie responsable de l’échec du développement des méthodes contraceptives masculines: « De nombreux essais cliniques ont été abandonnés parce qu’on ne tolère pas les effets secondaires chez les hommes, même s’ils sont moindres, alors qu’on les tolère chez les femmes ».
>> A écouter: Marion Gumowski à propos du sexisme dans la recherche
Les premières études sur la contraception masculine hormonale qui ont été faites montraient des effets secondaires comme des troubles de l’humeur, de l’acné, de l’agressivité et parfois des troubles du sommeil. Les études ont rapidement été avortées. « Pourtant, si l’on compare ces effets secondaires à ceux des premières pilules contraceptives féminines, ils sont identiques. Or on n’a pas arrêté les études et même la mise sur le marché des pilules hormonales féminines pour autant », souligne le Dr Vaucher.
Le financement participatif au secours de l’Andro-switch
L’anneau en silicone Andro-switch est très bon marché (il coûte environ 40 CHF à la vente) et permet d’être contracepté plusieurs années. Ce n’est donc pas auprès des grands groupes pharmas que Maxime Labrit a cherché des fonds, mais par le biais du financement participatif. Une première pour un dispositif médical.
En mars 2023, bonne nouvelle, les fonds pour la certification sont débloqués grâce à Entrelac.coop, une initiative citoyenne visant à promouvoir des dispositifs contraceptifs accessibles et sûrs pour les personnes à testicules. Le financement de 300’000 dollars provient du Male Contraception Initiative, un fonds de financement qui soutient la recherche en contraception masculine et une meilleure égalité homme-femme. Cet argent permet ainsi d’amorcer les premières étapes de l’essai clinique pour démontrer la sécurité et l’efficacité du dispositif et viser l’homologation de l’Andro-switch d’ici 2026.
Les contraceptés, des hommes très motivés
Si le sexisme dans la recherche explique en grande partie l’absence d’options en matière de contraception masculine, il n’en est pas la seule cause. Historiquement, la contraception masculine est victime d’une grande méconnaissance dans le milieu médical, car, selon la sociologue Lucile Quéré, chargée de cours à l’Université de Lausanne en études genres: « Les recherches scientifiques ne se sont pas historiquement orientées vers le corps masculin parce que c’est le corps féminin qui était investi comme le lieu de la fertilité ».
Le manque d’informations scientifiques sur le sujet pèse aujourd’hui lourdement sur la démocratisation de méthodes contraceptives masculines thermiques. Un constat qu’a fait Julien, 34 ans, lors de la visite post-partum de sa compagne chez une gynécologue: « J’ai évoqué mon envie d’opter pour un anneau contraceptif. Elle m’a dit que ça n’existait pas et qu’à ma place, elle ne jouerait pas avec sa fertilité… J’ai laissé tomber. »
Se contracepter sans suivi médical
L’inculture du corps médical en matière de contraception masculine ne surprend pas Eric Sandmeier, conseiller en santé sexuelle chez PROFA: « Si rien n’existe sur le plan médical officiellement, ça ne sert à rien d’aller déranger des médecins. Au moins, être ignorant ça évite de véhiculer des idées fausses » souligne-t-il. Mais sans offre, pas de demande et sans demande, pas d’offre ou du moins, pas d’intérêt à financer la recherche. C’est le serpent qui se mord la queue.
Face à la méconnaissances des médecins, Frédéric décide de s’informer tout seul. C’est sur internet et notamment sur le site de Maxime Labrit, Thoreme.com, qu’il trouve les informations utiles pour se contracepter. Il y découvre même des tutoriels lui permettant d’effectuer lui-même des spermogrammes de contrôle nécessaires à la vérification du taux de spermatozoïdes afin de valider le succès de la méthode. C’est aussi sur internet que Frédéric se procure son anneau.
>> A voir: Frédéric explique comment il s’est informé
Un intérêt grandissant malgré le manque d’informations
L’intérêt pour la contraception masculine existe, confirme Eric Sandmeier. En tant qu’organisation faîtière des centres de santé sexuelle, SANTÉ SEXUELLE SUISSE (SSCH) constate depuis 2021 une augmentation des demandes de conseils relatifs à la méthode thermique. Mais faute d’homologation des dispositifs, la prudence reste de mise.
Actuellement, pour se contracepter, les hommes doivent donc faire preuve d’une grande motivation et de débrouillardise. Alan, 30 ans, a choisi un slip chauffant appelé SpermaPause. « Il s’agit d’une pochette chauffante que l’on glisse dans le slip et qui chauffe plus fort que le corps. Je ne dois le porter que quatre heures dans la journée, ce qui n’est clairement pas insurmontable, mais c’est un peu expérimental », dit Alan en souriant.
Je trouvais le boxer chauffant plus simple d'utilisation et moins contraignant que l'anneau Alan, utilisateur du SpermaPause
Pour obtenir un suivi médical, Alan traverse la frontière et se rend en France, comme l’explique sa compagne Meili: « Au début, nous nous sommes rendus chez PROFA à Lausanne et on nous a dit que ça n’était pas reconnu et peu sûr… Ça nous a refroidi. C’est seulement quand je suis allée me faire retirer mon implant en France – parce que c’est beaucoup moins cher qu’en Suisse – qu’on nous a orienté vers le planning familial en France où on nous a aidés ».
>> A voir: Alan présente le boxer chauffant
Pour Maxime Labrit, tout l’intérêt de la CMT est qu’elle met l’utilisateur au centre de son parcours de soin: « Cette contraception centre la pratique de la personne sur sa propre responsabilité. Ce n’est pas comme une pilule que l’on prend et qui agit sur le corps. Là, la personne est actrice dans son corps de ce processus de suspension, donc ça place l’usager au centre d’un parcours de soin ce qui, souvent, n’est pas prôné dans le domaine médical avec des professionnels qui ont tendance à se placer au-dessus de leurs patients ».
Ces utilisateurs qui ébranlent la sphère médicale
Aujourd’hui, en Suisse, la méthode thermique concernerait plus d’un millier d’hommes. « C’est difficile à déterminer puisqu’une partie des gens fabriquent eux-mêmes leur dispositif. Des chiffres que j’ai officiellement, on est aux alentours de 1500 personnes qui sont dans la pratique actuellement en Suisse. C’est un chiffre qui augmente de mois en mois parce que le message se diffuse, parce que les associations de terrains sont de plus en plus ouvertes et que le corps médical commence à se former », explique Maxime Labrit.
Depuis novembre 2022, les choses ont en effet vraiment commencé à bouger en Suisse romande. D’abord avec la tenue d’une conférence, la première en Suisse, sur la CMT, au CHUV de Lausanne. En avril 2023, c’est Maxime Labrit lui-même qui est venu en tournée dans toute la Suisse romande pour faire de la sensibilisation notamment auprès des plannings familiaux et des professionnels de la santé sexuelle.
Par ailleurs, les premiers ateliers consacrés à la contraception thermique testiculaire ont été mis en place en Suisse par une conseillère en santé sexuelle, Martha Krüger, dès le mois de mai 2023.
>> A écouter: Martha Krüger à propos de ses ateliers
Les sollicitations du terrain pour débloquer la recherche
Grâce à l’insistance d’hommes contraceptés ou intéressés à le devenir, un programme de suivi d’un groupe d’hommes, dirigé par le Dr Sara Arsever, a vu le jour aux HUG en juin 2023. « On a été souvent sollicité par des personnes du terrain intéressées par la contraception thermique testiculaire depuis le printemps 2020. A l’époque, on n’était pas formé sur le sujet. On s’est rendu compte qu’il y avait très peu de connaissances scientifiques de cette méthode malgré le fait qu’elle est utilisée. C’est de là qu’est venue l’idée d’essayer de développer des évidences et de mieux comprendre le phénomène », explique-t-elle.
Avec cette étude, la volonté du Dr Arsever et de son équipe est de mieux accompagner les hommes contraceptés afin de réduire les risques d’une éventuelle mauvaise pratique.
>> A voir: Dr Sara Arsever à propos de son étude
Un changement de mentalité plus qu'une révolution
La contraception thermique est écologique, économique et tend à favoriser l’égalité homme-femme en offrant aux couples une option permettant l’équité contraceptive. La méthode semble particulièrement intéressante pour toute une génération préoccupée et sensibilisée à ce type de problématiques.
Pour Alan et Frédéric, le choix de se contracepter était une évidence, d’une part pour épargner à leur compagne respective les effets secondaires d’une contraception hormonale, et d’autre part parce que cela représente pour eux l’occasion de partager cette charge.
Le partage de la charge contraceptive est un argument en faveur de la contraception masculine pour certains. Il est en revanche un obstacle pour d’autres. Dans son étude, Marion Gumowski révèle en effet que certaines femmes ne seraient pas prêtes à déléguer la contraception à leur conjoint, car elles craindraient que cela vienne s’ajouter à leur propre charge mentale…
Une évolution générationnelle
Le Dr Vaucher n’a encore jamais reçu de patient intéressé par la démarche. « Je pense que mettre un anneau restera réservé à des personnes très motivées et ouvertes d’esprit. Or pour moi, la contraception masculine doit être ouverte à tout le monde et pas seulement à une population militante », souligne-t-il. Un avis partagé par Marion Gumowski qui évoque un « manque de motivation des hommes », mais aussi des « préjugés liés à la virilité ». « On parle quand même de mettre un élastique autour de ses couilles », glisse Frédéric qui comprend les réticences.
>> A voir: l’avis du Dr Sara Arsever sur la démocratisation de la CMT
Pour le Dr Vaucher, il est néanmoins évident que les mentalités sont en train de changer. Lui-même a trois fils et constate un véritable intérêt chez eux pour les questions de contraceptions. « Les trois sont intéressés, ce qui n’était pas du tout le cas pour ma génération », souligne-t-il. Le professionnel se montre plutôt optimiste quant à la démocratisation prochaine d’une méthode de contraception masculine, mais pour lui, elle ne sera pas thermique.
Je suis certain que d’ici 10 ans, il y aura quelque chose, mais ce serait probablement plutôt sous forme d’injections hormonales Dr Laurent Vaucher, urologue
Démocratiser la contraception thermique et la proposer, c’est offrir une option de plus aux hommes et aux couples. Et même si cette méthode risque peut-être de rester le choix d’une minorité d’hommes, le changement de mentalité qui s’opère pourrait bien permettre de faire un pas de plus vers l’équité contraceptive.
Lara Donnet
Texte et multimédia: Lara Donnet
Photos: Depositphotos et AFP
Vidéo schématique: Association GARCON
Illustration originale: Maou Comics
Lectures utiles: Les contraceptés – enquête sur le dernier tabou, BD de Guillaume Daudin, Stéphane Jourdain et Caroline Lee, éditions Steinkis, 2021. Le coeur des Zobs, de Bobika, éditions Mâtin!, 2022.