Manque de neige, hausse record des températures, coût écologique des canons à neige. En Valais, les discussions autour de l’avenir du ski reprennent dès la réouverture des domaines skiables. Face à de nouvelles réalités, le secteur touristique essaie de se diversifier mais alors, réel changement ou coup de bluff?
Plus de quarante jours sur une année. Voilà ce que la Suisse a perdu depuis 1970 en termes de précipitations neigeuses, d’après une étude réalisée par Martine Rebetez, climatologue à l’Université de Neuchâtel. Le constat inquiète, d’autant qu’il touche aussi, à certains moments, notamment en décembre et au début du mois de janvier, la haute altitude. « Cette année, je suis étonné de voir cette pluie constante à près de 2000 mètres », confirme Robert Bolognesi, nivologue, autrement dit, scientifique de la neige.
Le mythe du 4 saisons
Face à un changement climatique qui frappe à la porte du canton de manière de plus en plus répétée, les offices du tourisme mais aussi les services de communication des stations de ski ou encore les élus communaux ou cantonaux, tentent de proposer de nouvelles activités.
L’un des mantras qui revient le plus souvent dans la bouche des acteurs du secteur est le concept du « tourisme quatre saisons ». Comme son nom l’indique, l’objectif est de développer un tourisme 365 jours par an, une façon d’anticiper la chute des bénéfices sur la saison d’hiver.
Sur le site officiel de l’Etat du Valais aussi, les intentions sont clairement affichées. Le canton s’engage à soutenir « la transition des modèles d’affaires des acteurs du tourisme vers un tourisme quatre saisons durable et moins dépendant des activités hivernales », peut-on lire. L’État valaisan ajoute qu’il octroie « des aides à fonds perdus » pour le développement d’une « exploitation annualisée » des remontées mécaniques et « de nouveaux produits coordonnées » dans les destinations, « afin d’équilibrer l’activité entre les saisons ».
Dans les faits pourtant, le tourisme quatre saisons semble avant tout être un élément de langage en Valais. Un tour dans le Val d’Anniviers au printemps suffit à s’en rendre compte. « En mai, je viens ici pour faire une coupure, pour faire du sport, parce que c’est moins speed qu’en hiver. Mais avoir quelques activités ou plus de choix, ça serait cool », témoigne Pierre Ribaux, un jeune Yverdonnois qui possède un chalet familial à Zinal. « Si on est vraiment axé sur le sport, on a la nature et ça peut suffire. Mais par exemple, l’autre jour on voulait aller aux bains… Hélas, ils étaient fermés. C’est vraiment dommage », ajoute-t-il.
Bains mais aussi restaurants, hôtels, bars, magasins et bien sûr remontées mécaniques. À Zinal, une grande partie des établissements et infrastructures tirent la prise à la fin de la saison hivernale. Un peu plus loin dans la vallée, à Saint-Luc, c’est le même constat : le village tourne au ralenti. Et quand on leur pose la question, les différents acteurs du secteur reconnaissent volontiers le caractère un peu trop ambitieux du quatre saisons, à l’instar de Vincent Theytaz, conseiller communal en charge du tourisme de la commune d’Anniviers.
Vidéo : Vincent Theytaz explique qu’il faut d’abord passer par un tourisme « deux saisons » avant d’un tourisme « quatre saisons »
Deux saisons, l’été et l’hiver, et non pas quatre. Une réalité qui se constate un peu partout dans le canton. Pour certains, comme Jean-Daniel Melly, parlementaire vert au Grand Conseil valaisan, cette période de creux est d’ailleurs nécessaire pour offrir du repos aux habitants des villages d’altitude. D’après lui, le tourisme quatre saison doit surtout se développer ailleurs, notamment en plaine.
Vidéo : Jean-Daniel Melly explique qu’il faut diversifier le tourisme avec des balades ou randonnées
L’hôtellerie et restauration, une piste d’avenir
En été, il existe une saison touristique en Valais, avec un nombre conséquent d’activités qui vont du trail à la trottinette tout-terrain en passant par le VTT ou encore la tyrolienne. Selon de nombreux experts, le phénomène devrait d’ailleurs prendre de l’ampleur à l’avenir. La fréquence accrue et la prolongation des vagues de chaleur renforcent la demande pour des destinations d’altitude, qui peuvent offrir une évasion rafraîchissante aux voyageurs. La marge de progression est par ailleurs bien réelle. A titre d’exemple, les recettes estivales représentaient seulement 12,5% du total durant l’exercice 2022-2023 de la société des remontées mécaniques de Grimentz-Zinal.
En comparaison, l’automne et le printemps font véritablement figure de parents pauvres des politiques touristiques de la région. Pourtant, il existe bien quelques tentatives dans certaines destinations touristiques. On évoque par exemple souvent le développement de bains thermaux ou d’itinéraires pour vélos électriques comme l’avenir du tourisme toute saison.
Mais les stations investissent surtout dans un secteur précis : l’hôtellerie-restauration. Une solution qui, si elle ne règle pas tout de suite la question de l’autonome et du printemps, permet d’avoir un contrôle de l’ensemble de la chaîne touristique. C’est en tout cas l’analyse qu’en fait Manu Broccard, professeur dans la filière tourisme de la Haute école de gestion de Sierre.
Vidéo : Manu Broccard explique qu’il faut penser le tourisme autrement
Dans le Val d’Anniviers, c’est sans aucun doute la station de Grimentz-Zinal qui fait figure de précurseur. Ici, les remontées mécaniques ont commencé à investir dans des hôtels et des restaurants, il y a une dizaine d’années déjà.
Récemment, c’est l’emblématique projet de l’Espace Weisshorn qui a fait la Une de la presse. Niché à près de 3000 mètres, à l’arrivée du téléphérique qui relie Grimentz à Sorebois, sur le domaine skiable de Zinal, ce restaurant doit ouvrir cet hiver : un projet devisé à quelques 7 millions de francs, dont 30% sont financés par des fonds propres de la société des remontées mécaniques.
Avec ses baies vitrées, l’établissement offrira une vue panoramique sur certains des plus hauts sommets du canton mais la différence se fera surtout dans l’assiette. Pour Simon Crettaz, président des remontées mécaniques, il était devenu capital de répondre aux attentes de certains clients, plus exigeants en matière culinaire, le fameux « nuggets-frites-ketchup » d’altitude ne suffisant plus à tout le monde.
Audio : Simon Crettaz explique qu’un nouvel ouvrage répond à une demande
Et pour transformer ce restaurant en une véritable expérience gastronomique, la société des remontés mécaniques de Grimentz-Zinal n’a pas lésiné sur les moyens. Elle a en effet engagé Didier de Courten, chef étoilé qui jusqu’alors s’occupait du restaurant Le Terminus, en plaine, du côté de Sierre. Au total, le grand chef aura en fait la responsabilité de tout le pôle hôtellerie-restauration de la société, soit dix établissements, donc cinq hôtels.
Quant à l’Espace Weisshorn, le but reste quand même de l’exploiter à d’autres moments de la saison. En tout, il sera ainsi ouvert 280 jours par an et pourra être loué pour des soirées à thème, des repas d’entreprise, des banquets, des événements liés à la chasse ou encore des mariages.
Un canton qui s’estime à l’abri
Si des projets ponctuels existent, l’économie touristique valaisanne semble encore loin d’une révolution copernicienne. Ici, l’hiver reste roi. Au contraire d’autres régions, comme les Préalpes vaudoises ou fribourgeoises, le Valais dispose globalement de montagnes plus hautes, qui lui laissent une plus grande marge de manœuvre en ce qui concerne l’enneigement.
Si la hausse des températures estivales affecte très nettement les glaciers, elle ne concerne pas la neige. Pour Robert Bolognesi, le ski ne sera ainsi pas menacé au cours des prochaines décennies. D’après lui, il y aura encore « pendant longtemps » suffisamment de neige au-dessus de la barrière des 1500 mètres. Or en Valais, il existe passablement de domaines skiables qui flirtent ou sont largement au-dessus de cette altitude.
Dans le canton, ce n’est donc pas la pratique en soi du ski qui semble en danger, mais plutôt certaines périodes de l’année, historiquement très lucratives, comme la semaine qui va de Noël à Nouvel an. Lors de l’hiver 2022-2023, le manque de neige a été criant un peu partout dans le canton à ces dates.
Face à la raréfaction de la ressource, qui se répète de plus en plus fréquemment, les stations ne sont pas sur un pied d’égalité. Sur le petit domaine skiable de Nax, cette période est particulièrement périlleuse, elle représente d’habitude jusqu’à 30% des recettes. Pour la saison 2022-2023, les remontées mécaniques n’ont pu ouvrir qu’au début du mois de janvier. Pour le président de la société, Fred Pont, cette nouvelle réalité météorologique poussera les stations à s’adapter.
Audio : Fred Pont explique qu’il ne faudra plus compter sur Noël/Nouvel An
Les destins ne sont toutefois pas les mêmes pour tous. À Grimentz-Zinal, domaine situé un peu plus en altitude, et surtout beaucoup plus grand et disposant de beaucoup plus de canons à neige, la question ne s’est jamais posée. Le domaine anniviard a ouvert dès la mi-novembre et n’a jamais fermé ses portes durant les fêtes de Noël et de Nouvel An. Pascal Bourquin, directeur des remontés mécaniques de Grimentz-Zinal, reconnaît volontiers la chance dont dispose le domaine en se trouvant tout près d’un barrage. Une situation qui lui permet d’avoir accès à l’eau et donc à la neige artificielle.
Une empreinte écologique réelle
On le voit, il y a donc une véritable différence de moyens pour lutter contre le manque de neige. Une différence qui s’articule souvent autour du nombre de canons. À Nax, la société des remontées mécaniques n’en possède que trois alors qu’à Grimentz-Zinal, ils sont plus de 260 à fabriquer de la neige artificielle. Des acquisitions qui ont bien sûr un prix. Comptez entre 20’000 et 50’000 francs par c
Canons à neige mais aussi dameuses pour préparer les pistes, téléskis, télésièges, funiculaire et autres télécabines. La pratique du ski est coûteuse d’un point de vue économique mais aussi énergétique et écologique. Pourtant, les acteurs ne semblent pas prêts à y renoncer. Au contraire, les grands travaux continuent et les domaines skiables semblent toujours vouloir viser plus loin et plus haut. Une course en avant que dénonce Stéphane Genoud, professeur HES-SO Valais, spécialisé dans les questions énergétiques: « C’est vrai, on est clairement capable de fabriquer de la neige à dix voire quinte degrés. Mais cela n’a pas de sens. Il faut se poser les bonnes questions ».
Confronté à ces critiques, les présidents et autres directeurs de remontées mécaniques bottent le plus souvent en touche. D’après eux, la pratique du ski n’est pas véritablement polluante, ou tout du moins pas plus qu’une autre activité, et des efforts ne cessent d’être fournis pour la rendre plus écologique. Pascal Bourquin est notamment de cet avis. D’après lui, tout est fait pour éviter de surconsommer.
Audio : Pascal Bourquin illustre que les remontées mécaniques ne consomment pas énormément
Un avenir aussi pérenne que fragile
Au final, l’avenir des stations de ski valaisannes est incertain, du moins pour les spécialistes. Les professionnels du secteur, bien que conscients du changement climatique, peinent à anticiper un virage radical de leur business model, n’évoquant qu’à demi-mot le développement d’autres activités, à d’autres moments de l’année. Pour Manu Broccard, il est pourtant essentiel de se projeter plus loin.
Rassurés par l’altitude mais aussi les prévisions qui n’annoncent pas un danger immédiat, les acteurs du secteur sont aussi piégés par le succès fantastique du ski : un produit touristique qui a été pendant des décennies et qui reste encore en Valais une véritable poule aux œufs d’or.
Audio : Christophe Clivaz explique qu’il y a un problème à réfléchir à autre chose que le ski
Pour Christophe Clivaz, conseiller national Vert valaisan, ces profits ont créé une véritable dépendance, qui aveugle maintenant le secteur et lui empêche de voir plus loin. « La dépendance au sentier », un concept économique qui démontre qu’un succès retentissant qui se confirme d’année en année peut créer l’inertie des décideurs publics. Ceux-ci étant constamment influencés par les décisions passées qui ont été des réussites, ce qui leur faire penser que tout changement de trajectoire dans les politiques publiques est impossible ou dangereux.
Texte et multimédia
Yves Crettaz
Ph otos
Keystone, Reuters, RTS, JBC Architectes SIA, Qoqa
14 septembre 2023