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Transparence et opacité de l’évangélisme

L’église évangélique Hillsong est installée à Genève depuis deux ans. Elle appartient à un réseau mondial basé en Australie qui a des airs de grande entreprise. Derrière une apparente transparence, l’opacité règne quant aux aspects financiers qui entourent le fonctionnement du mouvement.

Par Yannick Weber

Dimanche matin, Genève, au théâtre de la Madeleine. Loin d’une tragédie, c’est un show spectaculaire qui se trame. Chaque semaine, le lieu est investi par environ 250 fidèles de l’église Hillsong, issue des mouvements évangéliques anglo-saxons. L’accueil est chaleureux, les nouveaux venus sont spontanément abordés par les habitués, histoire qu’ils se sentent à l’aise. «Bienvenue à la maison», dit le pasteur, posté à l’entrée du théâtre. Les journalistes, par contre, sont encadrés. «Merci de ne pas filmer le moment du don, intime la femme du pasteur. C’est un moment de grâce.» C’est là tout le paradoxe de l’église: ouverte, expressive, mais atteinte d’une soudaine pudeur quand sont abordées les questions liées à l’argent.

Les moyens par lesquels réaliser un don sont nombreux: carte de crédit, bulletin de versement, ou une app.

Et c’est pourtant l’omniprésence de l’argent, du produit marketing, qui frappe dans et autour du culte. Le comptoir central, dans le hall du théâtre, sert de point de vente, où sont disponibles livres, CDs et produits brandés Hillsong. Quant à la quête, en pleine célébration, le public est plongé dans le noir, tandis que sur scène, un responsable encourage les fidèles à donner. Les moyens pour le faire sont d’ailleurs multiples: le traditionnel seau qui circule dans les rangs, le bulletin de versement disponible à l’entrée, la carte de crédit, ou l’application Hillsong Give, gratuite dans l’Apple Store. De quoi se demander si l’on a affaire à une église ou à une entreprise.

VIDEO: Jessica Darcey, co-responsable de Hillsong Genève, explique en quoi le mouvement se différencie d’une entreprise à but lucratif.

L’avis n’est pas partagé par Philippe Gonzalez, sociologue des religions à l’UNIL. «L’église Hillsong, comme plusieurs autres de la même mouvance comme ICF et C3, a un conseil d’administration et fonctionne avec un modèle de franchise. Si quelqu’un veut créer une congrégation et l’affilier à Hillsong, il doit acheter sa franchise à la maison-mère», explique-t-il. Le mouvement est structuré autour d’un «Board of directors», dont les membres se présentent en costard-cravate dans le rapport annuel publié sur le site de l’église. Les finances sont auditées par Ernst & Young. En 2017, l’église a réalisé 131 millions de dollars australiens de chiffre d’affaires et son bénéfice s’est monté à 6 millions de dollars, en augmentation de 217% par rapport à 2016.

Dieu peut faire beaucoup plus avec 10% de votre salaire que vous même avec le 90% restant.

Le rapport, ainsi que tous ceux des années précédentes, est aisément accessible sur le site de l’église. La masse de chiffres à disposition laisse une impression de grande transparence. Cette masse d’argent engrangée provient de plusieurs sources. On peut relever le succès de l’industrie musicale liée au mouvement. Hillsong a créé un label de musique éponyme et les ventes de produits qui en sont issus lui ont rapporté 13 millions. Mais le revenu principal reste la générosité des fidèles: près de 60 millions de dollars de donations. Mayron, un habitué de Hillsong depuis son arrivée en Suisse, conçoit sa participation de façon analogue à celle de la consommation d’un simple produit culturel.

VIDEO: Mayron, d’origine brésilienne, explique ses motivations pour donner de l’argent à l’église.

Pourtant, cette générosité est largement motivée par les incitations au don lors des cultes, pendant ce moment où l’enregistrement vidéo avait été proscrit et dont le fidèle se garde de parler face à la caméra. Un orateur exhortait alors le public à faire don de 10% de leur salaire, ce que les églises appellent la dîme. Celle-ci était de mise chez les catholiques avant d’être abandonnée. Les évangéliques, eux, s’y accrochent. «Dieu peut faire beaucoup plus avec 10% de votre salaire que vous même avec le 90% restant», prêchait alors l’homme au micro.

Le discours est habilement contradictoire. Se trouvaient en alternance des appels à renoncer à la société de consommation et à l’obsession de l’argent d’une part, et des demandes sans ambiguïté d’offrandes financières à l’église de l’autre. Pendant que le seau traversait les rangées de fidèles, l’orateur rassurait: que chacun se sente libre de ne pas donner. Un sentiment de liberté issu du discours, simultané à la pression du groupe qui lui, donnait en masse. La recette est gagnante, et la majorité des personnes présentes se sont joyeusement délestées de leurs avoirs.

«Il est clair que toute église est aussi un groupe réel, qui a besoin de finances, relativise Jörg Stolz, sociologue à l’Université de Lausanne. Chez les évangéliques, on a ce concept de dîme, où chacun donne 10% de son salaire. Mais dans les églises établies, catholiques ou protestantes, le financement est assuré majoritairement par l’impôt ecclésiastique. C’est moins que la dîme, mais c’est aussi une contribution importante, parfois même de gens qui ne vont eux-mêmes pas à l’église.» La problématique, alors, résiderait plutôt dans les autres sources de financement des groupes religieux. Là, Hillsong se montre bien plus opaque.

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Crédit: Hillsong Church Annual Report 2017

Les dons des fidèles ne représentent que deux tiers de toutes les donations reçues par Hillsong. Le rapport indique que 24% de cette source de revenu provient de fondations. Lesquelles, et pour poursuivre quel but, la précision ne se trouve nulle part. Il y a encore moins d’informations concernant les 11% d’autres donateurs. Enfin, 6% des revenus totaux de Hillsong sont labellisés «Autres». C’est-à-dire que près de 40 millions de dollars, soit 30% des 131 millions engrangés en 2017 par l’église, sont d’origine totalement cachées au public.

Quant aux dépenses, les catégories sont elles aussi à même de laisser une impression de flou. 4 dollars sur 10 sont destinés au fonctionnement de l’église, dont 40% de ceux-ci utilisés à rémunérer les pasteurs et les leaders. Le sujet a déjà fait polémique dans certains médias anglo-saxons. En 2010, le fondateur de l’église avait dévoilé qu’il recevait une rémunération d’environ 300’000 dollars. Puis, la communication s’est restreinte. En 2015, le Daily Telegraph australien mentionnait l’opacité des rémunérations des pasteurs de l’église, mais révélait aussi ses stratégies fiscales avantageuses, car elle exploite le statut d’organisation sans but lucratif reconnu par l’Australie, l’exonérant d’impôts.

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Hillsong Church Annual Report 2017

La question financière entourant Hillsong a été soumise à l’observation de Line Dépraz, pasteure de l’église réformée vaudoise et membre du conseil synodal. Comme le relevait Jörg Stolz, aucun groupe religieux n’échappe à la problématique de son financement. L’église protestante vaudoise est financée par l’impôt, mais son budget doit être validé chaque année par les députés au Grand Conseil. Pour elle, il est préférable que les discussions sur le sujet soient franches et ouvertes.

AUDIO: Line Dépraz, pasteure protestante, regrette le tabou entourant la question de l’argent dans la religion.

Le débat a déjà été ouvert sur, notamment, le financement des mosquées suisses par des donateurs des pays du Golfe. Certains appellent à un contrôle étatique pour savoir qui donne et établir les motivations qui sont derrière. D’autres souhaitent un désinvestissement total de l’Etat du domaine religieux. Hillsong, elle, bien nommée parfois «megachurch», ou comme la décrit Jessica Darcey une «église globale», pourrait bien parvenir à échapper à toute surveillance des autorités et poursuivre son puissant développement: elle a déjà réussi à échapper au fisc.

Le dimanche à Genève, en tout cas, les fidèles qui se rassemblent finissent dans un état proche de la transe lors du culte célébrant leur divinité, et semblent peu préoccupés par les questions financières ou l’opacité qui règne autour de leur mouvement. «Il faut tout de même rappeler que ces groupes ont été créés pour glorifier Dieu, avant de vouloir enrichir leurs responsables», note Jörg Stolz. Glorifier Dieu, oui, mais dans l’idéal en étant le plus nombreux possible. La croissance fulgurante des revenus de Hillsong ne se fait pas non plus sans une augmentation du nombre de ses membres, grâce à une stratégie prosélyte assumée.

«Il existe une concurrence à l’intérieur des milieux évangéliques. Ces mouvements anglo-saxons que l’on nomme charismatiques vont siphonner les églises évangéliques plus classiques pour attirer les jeunes», relève pour sa part Philippe Gonzalez.

Les deux sociologues s’accordent à dire que, dans sa globalité, le mouvement évangélique ne présente qu’une croissance relative en Suisse. L’émergence et l’expansion de ces nouveaux groupes se fait aux dépends d’autres congrégations idéologiquement proches. Les évangéliques ont touché le plafond de verre et ne peuvent le transpercer: ils ne parviennent pas à attirer un public qui n’est pas déjà acquis aux valeurs de leurs églises.

Hillsong présente une construction contradictoire. Ses shows, ses cultes, sont ultra-modernes; ses valeurs, conservatrices. Elle se montre accueillante et gratifie chacun d’un «Bienvenue à la maison»; elle cache nombre d’aspects financiers derrière des chiffres faussement transparents. La mise en scène du culte même résume à elle seule cette tension entre ouverture et fermeture: pendant que la scène est illuminée de lumières, le public, lui, demeure dans l’obscurité.

Yannick Weber

Photos: Yannick Weber, Twitter (Line Dépraz)

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