Aucune éolienne ne tourne sur le territoire fribourgeois, malgré une carte des vents favorable. Plus étonnant, aucun projet n’est en phase d’être réalisé. Trois évolutions récentes, politiques et techniques, pourraient cependant débloquer la situation.
Aujourd’hui, le « projet éolien » le plus avancé du canton de Fribourg suffirait à peine à produire l’électricité de deux ménages suisses. Il s’agit d’une installation hélicoïdale de 3.6 kW (voir photo du haut), que l’entreprise Soleol prévoit d’installer sur son site, à Estavayer-le-Lac. Ce mât de 12 mètres fait piètre figure face au parc du Schwyberg, le grand projet du canton, qui aurait eu une puissance de 18 MW (9000 ménages). En novembre dernier, le Tribunal fédéral a cependant admis le recours d’organisations environnementales, qui reprochaient l’impact du projet sur la nature et le paysage.
On n’imaginait pas que les projets
provoqueraient autant d’oppositions Lionel Perret, responsable romand de Suisse Eole
Les promoteurs de l’éolien, eux, sont dubitatifs. Lionel Perret, responsable romand de Suisse Eole, reconnaît que la branche ne s’attendait pas à ces difficultés. «Il y a dix ou quinze ans, on n’imaginait pas que les projets provoqueraient autant d’oppositions, sur Fribourg ou ailleurs». Le canton n’est, il est vrai, pas tout à fait une exception. Les projets éoliens essuient aussi de nombreux échecs sur Vaud ou dans l’Arc jurassien. En Suisse romande, seules 28 éoliennes fonctionnent actuellement. Cette situation est due à la fois aux oppositions d’ONG, mais également à celles d’habitants des communes concernées qui, quand ils sont consultés, refusent l’implantation de tripales.
Suite à l’échec du Schwyberg, l’unique projet avancé du canton, la situation sur le territoire fribourgeois est bloquée durant deux ans au moins. Car désormais, l’Office fédéral du développement territorial demande aux cantons d’insérer les sites éoliens dans leur plan directeur. Sur Fribourg, une version révisée de ce plan doit être mise en consultation publique d’ici à la fin de l’année 2017. Le Conseil d’Etat adoptera ensuite le projet en 2018 et l’approbation du Conseil fédéral est attendue pour 2019 au plus tôt.
Pour l’instant, l’éolien fribourgeois n’est donc qu’au stade de la prospection. Mais les sites potentiels sont nombreux, surtout dans les préalpes, au sud et à l’est du canton.
Sources: plan directeur cantonal
D’ici à 2019, trois évolutions pourraient faciliter la mise en place de projets éoliens: les deux premières sont d’ordre politique, la dernière du domaine technique.
La nouvelle loi donne de l’importance à l’éolien
La première évolution qui pourrait changer la donne dans le domaine éolien est politique. Il s’agit de la nouvelle loi sur l’énergie, accepté le 21 mai dernier par le peuple suisse. Dans son article 12, il est noté que «L’utilisation des énergies renouvelables et leur développement revêtent un intérêt national» et ce, au même titre que la protection de la nature. Désormais, les tribunaux qui prennent une décision sur les recours menés par des organisations environnementales doivent donc donner une importance similaire à la faune, la flore et au paysage qu’à l’augmentation de l’électricité renouvelable dans le mix énergétique suisse.
Des organisations de protection du paysage sont d’ailleurs montés au créneau contre la stratégie énergétique 2050. Selon Michel Fior, Secrétaire général de Paysage Libre Suisse, «Les éoliennes auront de toute évidence un poids nettement plus important dans la pesée des intérêts que jusqu’à présent». Et de prédire: «Un oui équivaut à l’installation de centaines de mâts sur les crêtes des préalpes suisses.
D’autres ONG, comme Birdlife, qui a pourtant fait recours contre le projet du Schwyberg, étaient en faveur de la nouvelle loi sur l’énergie. Pour François Turrian, directeur de l’association, mettre sur un plan d’égalité protection de la nature et production d’électricité est certes un petit bémol, mais pas un motif suffisant pour refuser la stratégie énergétique de Doris Leuthard. «Le droit de recours des organisations est garanti. Ce n’est donc pas un blanc-seing en faveur de projets qui porteraient des atteintes crasses à la protection de la nature».
Pour les promoteurs de l’éolien, dont Greenwatt, qui a chapeauté le projet du Schwyberg, le oui du peuple le 21 mai a bien été vu comme un coup de pouce. La loi permettra de plus d’accélérer les procédures.
VIDEO: L’avis de Greenwatt sur la nouvelle loi sur l’énergie
Les ONG vont collaborer avec les promoteurs
Aujourd’hui, la Suisse est clairement à la traîne dans le domaine de l’éolien. En 2016, seul 0.2% de la consommation électrique nationale a été produite grâce au vent. Au niveau européen, ce chiffre atteint 11.4%. L’écart est impressionnant. Si la grande majorité des projets suisses n’a pas vu le jour, c’est bien, entre autre, à cause des recours d’organisations environnementales. Pourtant, ces dernières ne sont pas contre l’éolien en tant que tel. La plupart, comme le WWF, Pro Natura ou Greenpeace militent même pour que la part d’énergies renouvelables indigènes augmente. Mais quand un projet concret pose des problèmes à la nature environnante, elles n’hésitent pas à faire opposition.
La deuxième évolution qui pourrait débloquer les projets éoliens vise justement à éviter ces confrontations. En fin d’année passée, Suisse Eole a annoncé une collaboration avec le WWF. Pour Benoît Stadelmann, directeur du travail régional romand au WWF, c’est un moyen de trier entre les bons et les mauvais projets. «Nous voulons que l’éolien se développe en Suisse, mais il faut maîtriser ses impacts sur la biosphère». Autant, dans ce cas, travailler sur les projets dès leur genèse, pour éviter les désaccords qui surviendraient par la suite.
Suisse Eole estime pour sa part que cette collaboration permettra de donner une légitimité aux prochains projets éoliens. L’association espère également pouvoir dialoguer avec d’autres ONG environnementales dans le futur.
AUDIO: Lionel Perret s’exprime sur la collaboration avec le WWF
Des mâts plus hauts
La production d’électricité est un domaine qui dépend fortement des évolutions technologiques. En quelques décennies, les ingénieurs ont réussi à améliorer l’aérodynamisme des pâles et la stabilité des mâts, augmentant ainsi la productivité des éoliennes. Mais ce qui pourrait faire toute la différence, dans le canton de Fribourg, c’est peut-être la taille des installations. Aujourd’hui, le moyeu des mâts installés en Suisse culmine rarement beaucoup plus haut qu’une centaine de mètres au-dessus du sol. Certaines entreprises, comme la danoise Vestas, ont cependant déjà construit des éoliennes off-shore dont le moyeu se situe à 140 mètres de hauteur.
Jusqu’il y a peu, les cartes des vents ne prenaient pas en compte les courants qui se situent au-delà de 100 mètres. Or, selon une nouvelle étude menée par l’Office fédéral de l’énergie, une augmentation de vitesse de l’ordre de 20% peut être constatée. Le potentiel de productivité du canton augmente donc sensiblement avec des mâts plus hauts. Certains sites, en plaines, qui n’étaient pas intéressants avec de plus petites éoliennes, deviennent alors rentables. Or, pour Matthias Rapp, collaborateur scientifique de la Fondation Paysage, «si l’environnement est déjà construit, avec des infrastructures lourdes, l’impact sur le paysage des éoliennes n’est plus un problème». Les oppositions et recours pourraient ainsi être limités.
L’éolien a vécu des débuts difficiles en Suisse et sur le canton de Fribourg en particulier. Difficile de savoir quelle évolution décrite sera la clé pour faire évoluer la situation. Peut-être une combinaison des trois. Mais selon toute probabilité, les premiers mâts sur terres fribourgeoises ne devraient pas être construits avant un horizon de cinq à dix ans.
Bernard Utz
Pour aller plus loin
- La situation dans le canton de Vaud: L’éolien vaudois, ce mirage métallique.
- La situation dans le Jura: L’éolien suisse et ses vents contraires dans l’Arc jurassien.
- Les plus grandes éoliennes off-shore: World’s biggest wind turbine (en anglais).
- Statistiques européennes sur l’éolien: Wind in power (en anglais)